Revue scientifique, 1846 - I Revue des Deux Mondes, tome 13, 1846 V. de Mars Revue scientifique Le désir de rattacher au mouvement scientifique qui s’opère chez nous les travaux des divers savans répandus dans toute l’Europe a dû nécessairement retarder l’exécution du projet que nous avions annoncé l’année dernière aux lecteurs de la Revue, et que nous considérons comme un des développemens les plus essentiels que soit destiné à prendre ce recueil. Rien ne nous aurait été plus facile, à la vérité, que de donner périodiquement, comme le font la plupart des journaux quotidiens, une analyse détaillée des travaux de l’Académie des Sciences ; mais une telle analyse, qui, dans ces journaux, n’est parfois qu’un simple abrégé des Comptes-Rendus publiés chaque semaine par cette académie, nous a semblé peu digne de nos lecteurs. Avant donc d’entreprendre cette revue scientifique, nous avons dû attendre d’avoir tout préparé, en France et à l’étranger, pour pouvoir, à des intervalles assez rapprochés entre eux, offrir à des lecteurs instruits, mais auxquels nous ne supposerons pas des connaissances spéciales, le tableau des progrès les plus remarquables des sciences pures et appliquées. Dans ce tableau, que nous essaierons d’animer, quand il y aura lieu, par des biographies et par des anecdotes scientifiques, viendront naturellement prendre place les grandes questions industrielles, ainsi que les faits et les discussions d’un autre ordre, qui pourraient intéresser directement l’enseignement des sciences et le progrès des études. Complétant, comme c’est notre intention, une telle revue générale par des articles spéciaux, chaque fois que l’importance des matières l’exigera, nous aurons l’assurance de tenir nos lecteurs au courant du véritable mouvement des sciences, beaucoup mieux que si, au lieu de rédiger une analyse critique et originale des travaux les plus considérables, nous nous bornions au travail banal et facile d’enregistrer, d’après les Comptes-Rendus de l’Académie des Sciences, qui sont entre les mains de chacun, le titre de tous les mémoires, importans ou non, présentés à cet illustre corps. Le monde savant s’est ému récemment à l’annonce des expériences de M. Faraday, relatives à l’influence que certains corps aimantés exercent sur quelques phénomènes lumineux. C’est là évidemment le fait scientifique le plus considérable qui ait été annoncé dans ces derniers temps. Le nom de l’inventeur, les idées tout-à-fait particulières qu’il s’est formées sur la théorie et l’explication de ces phénomènes, et jusqu’à la difficulté que nos plus habiles physiciens ont éprouvée d’abord pour reproduire les observations de l’illustre chimiste anglais, tout a semblé concourir à la fois pour appeler vivement l’attention du publie sur une découverte aussi curieuse qu’inattendue. Ce n’est pas, du reste, la première fois que M. Faraday sait frapper ainsi l’imagination des savans de l’Europe. Attaché dans sa jeunesse à cet Humphry Davy dont les découvertes chimiques remplissaient le monde entier, il dut apprendre, à une si excellente école, l’art difficile de sonder les secrets de la nature et d’en obtenir des réponses catégoriques, à l’aide de ces experimenta crucis dont Bacon, depuis deux siècles, avait proclamé la nécessité, mais qu’il est beaucoup plus facile de conseiller que de mettre à exécution. On a prétendu que le nouveau baronnet Davy rendait parfois à son humble préparateur le dédain dont lui-même, lorsqu’il n’était qu’un petit pharmacien, avait eu à souffrir de la part de cette aristocratie anglaise à laquelle son admirable talent parvint plus tard à le rattacher. Pour l’honneur des sciences, nous espérons que ces bruits n’ont aucun fondement, et que le jeune Faraday ne reçut de son maître que des exemples dignes du génie de tous les deux. Il ne serait pas possible de donner ici une analyse détaillée des travaux qui ont valu à M. Faraday une si juste célébrité. Chimiste et physicien à la fois, M. Faraday a enrichi la science de plusieurs découvertes capitales, parmi lesquelles on doit compter en première ligne la liquéfaction d’un grand nombre de gaz qu’on ne croyait, avant lui, pouvoir obtenir qu’à l’état aériforme. Tout le monde a dû remarquer que la vapeur d’eau répandue dans une masse d’air se réduit à l’état liquide, ordinairement sous la forme de petites gouttes, lorsque cet air se trouve suffisamment refroidi. Pareille chose arriverait, si, même sans perte de chaleur, le même air éprouvait une compression considérable. C’est en combinant ingénieusement ces deux genres d’action, une très grande pression avec un froid artificiel dont l’intensité dépasse de beaucoup tout ce que l’homme a jamais supporté dans les climats les plus rigoureux, que M. Faraday est parvenu à rendre liquides des corps qu’on n’avait jamais pu se procurer qu’à l’état aériforme, ou, comme disent les chimistes, à l’état gazeux. Cette découverte, fort importante sous le rapport théorique, peut devenir la source d’applications très utiles. En effet, en réduisant ces gaz à l’état liquide, on a créé des moteurs d’une puissance extrême, et dont l’énergie est si grande, que c’est dans cette énergie même que réside la difficulté de les employer et de les diriger. Introduire ainsi, sur une grande échelle, l’action mécanique dans la chimie, c’était déjà une heureuse innovation ; mais produire à distance et par le mouvement seul une classe entière de phénomènes qu’on croyait jusqu’alors ne pouvoir être causés que par des actions moléculaires, c’était quelque chose de plus nouveau encore et de plus inattendu, et c’est là ce que fit M. Faraday, lorsqu’en imprimant certains mouvemens à des aimans placés dans des conditions particulières, il put produire des courans électriques et dégager des quantités considérables d’électricité. Cette découverte, plus importante encore peut-être par l’originalité des moyens employés que par les résultats obtenus, excita dès le principe l’attention de tous les savans, qui se hâtèrent de répéter et de varier les expériences du célèbre chimiste anglais. Parmi ceux qui ont suivi avec le plus de succès une telle voie, il faut nommer principalement MM. Nobili et Antinori en Italie, M. de Larive à Genève, et en France M. Peltier, esprit inventif et ingénieux, qui s’était formé tout seul, et qui a été enlevé dans la force de l’âge, avant d’avoir vu s’ouvrir pour lui les portes de cet Institut, objet de l’ambition de tous nos esprits distingués, et au sein duquel ses remarquables travaux le rendaient si digne d’être admis. Nous aurons peut-être une autre fois l’occasion de revenir sur ce sujet, et de montrer combien il importerait d’étendre ces recherches et d’étudier généralement l’influence que le mouvement exerce, ainsi que le temps, sur la production de certains phénomènes physiques. La découverte de M. Faraday, dont nous venons de parler, et qui a donné naissance à ce chapitre de la physique dans lequel on traite du développement de l’électricité par induction, n’est certainement pas isolée ; elle doit se rattacher à un ordre de faits qu’il faudrait étudier dans leur ensemble, pour connaître en général les circonstances dans lesquelles un corps en mouvement produit, à distance, sur un autre corps, des actions qui n’auraient pas lieu, si les deux corps restaient en repos. Quant aux actions lentes, qui ne se manifestent qu’au bout d’un temps très long, et dont la nature nous offre de si nombreux exemples, elles ne sauraient être constatées que par une observation attentive et persévérante. Un ouvrage dans lequel un savant italien, le comte Paoli, a réuni un très grand nombre de faits curieux sur le mouvement intérieur des corps solides, pourrait servir de guide aux physiciens qui voudraient se vouer à ce genre de recherches. Si le progrès des lumières a permis à tout homme instruit d’avoir des notions, suffisantes sur la constitution de ces grands corps qui composent notre système planétaire, les gens du monde sont bien loin de s’être formé quelque idée de la constitution intime des petits corps que nous avons sans cesse sous les yeux. Rien, probablement, ne les étonnerait plus que d’entendre dire que ces corps, qui nous paraissent si inertes, que les murs de nos maisons, que les meubles dont nous nous servons, ne sont nullement en repos, et que les particules extrêmement tenues dont ces murs ou ces meubles se composent sont continuellement en oscillation, et forment une infinité de petits systèmes planétaires composés d’innombrables astres imperceptibles. Toujours en mouvement, sans que l’harmonie de l’équilibre moléculaire soit troublée, ces points matériels parcourent des routes aussi parfaitement réglées que les orbites de la terre et de la lune, mais dont la petitesse défie tous les microscopes. C’est, sur ces systèmes moléculaires, qu’il nous importerait tant de connaître et qu’il est si difficile d’étudier directement, que les influences lentes paraissent agir avec le plus d’efficacité. Si nous nous bornions à dire, comme on l’a déjà fait, que par sa dernière découverte M. Faraday a montré qu’à l’aide d’un électro-aimant, le plan de polarisation d’un rayon de lumière peut être changé, nous aurions annoncé une chose qui n’apprendrait rien aux physiciens de profession, et qui resterait complètement inintelligible pour la masse des lecteurs. Bien qu’il soit généralement difficile d’initier le public à ces sortes de conceptions, nous ne renonçons pas cependant tout-à-fait à l’espoir de faire comprendre, du moins par analogie, en quoi consiste le fait découvert par M. Faraday. Quelques mots d’explication préliminaire sont ici indispensables. Chacun sait que la lumière se réfléchit plus ou moins à la surface de tous les corps, et qu’en traversant les corps transparens un rayon de lumière se brise, se réfracte, comme disent les physiciens, et produit ces couleurs brillantes et variées qui ressemblent aux couleurs de l’arc-en-ciel. A défaut d’autres instrumens de physique, un petit miroir à barbe placé devant nos yeux et une carafe d’eau exposée au soleil suffiraient pour établir ces deux grandes propriétés de la lumière qu’on appelle la réflexion et la réfraction. Quiconque a eu l’occasion, dans sa vie, de se trouver dans une chambre ornée de deux glaces placées vis-à-vis l’une de l’autre a pu remarquer facilement les images nombreuses que ces deux glaces se renvoient mutuellement par une suite de réflexions répétées. Les glaces dont on se sert dans les appartemens sont étamées ; mais on sait que cette préparation n’est pas nécessaire pour produire la réflexion, et l’on n’a qu’à jeter les yeux sur le premier bassin, sur la première pièce d’eau qu’on rencontrera, pour se convaincre que des corps transparens peuvent, sans étamage, réfléchir abondamment la lumière et renvoyer à l’œil l’image des objets qui les environnent. Ces choses une fois admises, supposons, pour fixer les idées, que sur la surface d’une lame de verre bien polie, mais sans tain, on fasse arriver un rayon de lumière, de façon que ce rayon faisant, avec la surface de cette lame, un certain angle (cet angle que les physiciens ont déterminé est de 35 degrés 25 minutes), il doive être réfléchi verticalement de haut en bas. Si maintenant, au-dessous de cette lame de verre, on en place une autre égale et parallèle à la première, le rayon réfléchi verticalement par celle-ci rencontrera cette seconde surface qui le réfléchira de nouveau, de manière qu’après ces deux réflexions l’image de l’objet d’où le rayon lumineux émanait sera portée à l’œil d’un observateur placé convenablement. Mais si cette seconde lame de verre, conservant toujours la même inclinaison par rapport au rayon vertical, commence à tourner autour de ce rayon comme elle pourrait le faire autour d’un axe ou d’un pivot, il arrivera que l’image de l’objet doublement réfléchi, qu’on voyait assez bien d’abord, commencera par s’affaiblir, et finira par disparaître complètement : elle reparaîtra ensuite peu à peu, pour disparaître encore à mesure que le mouvement de rotation s’accomplit, de façon que, lorsque le second miroir aura fait une révolution complète, l’image aura disparu deux fois et reparu également deux fois. Pour nous représenter plus facilement la chose, imaginons qu’une glace plane sans tain soit placée dans une chambre à peu près comme le sont quelquefois dans les galeries certains tableaux qu’on incline en baissant un peu la partie supérieure, afin qu’ils soient mieux vus, et supposons en même temps qu’une autre glace, exactement pareille à la première, soit placée parallèlement au-dessous de celle-ci. Supposons en outre que cette seconde glace soit implantée obliquement sur un support droit placé au centre d’une de ces petites tables rondes, si communes dans les appartemens, et qui, sans changer de place, peuvent tourner horizontalement sur elles-mêmes, autour de la tige ou du pied qui les soutient. Si un rayon lumineux, après avoir rencontré obliquement, comme nous l’avons dit tout à l’heure, la première glace, est reflété de haut en bas dans la direction de la verticale, il sera réfléchi de nouveau par le second miroir, et portera à l’œil d’un observateur placé comme il faut l’image de l’objet d’où émane le rayon lumineux. Imprimons actuellement un mouvement horizontal de rotation assez lent à la table, et par conséquent à la glace placée sur cette table. Il semblerait que, si l’observateur suit exactement le mouvement de la table en tournant avec elle, l’image qu’il avait vue d’abord ne le quittera plus, et pourtant il n’en est rien. Cette image paraîtra et disparaîtra à chaque quart de révolution. Le phénomène devient plus net si, au lieu d’employer des glaces non étamées, on se sert de lames de verre noir. Un tel phénomène constitue ce qu’on appelle la polarisation de la lumière. Cette belle découverte de Malus a donné naissance, dans ces derniers temps, à une des branches les plus attrayantes et les plus difficiles de la physique. Nous ne pousserons pas cette exposition plus loin. Il suffira de dire qu’une telle propriété de la lumière, que cette polarisation se produit dans une foule de circonstances diverses, et que les rayons lumineux se polarisent non-seulement à la surface des corps par réflexion, mais aussi en traversant certains corps diaphanes par réfraction. Tantôt cette polarisation se manifeste par des modifications dans l’intensité de la lumière, tantôt elle se rend sensible par des changemens de couleur. Dans les expériences de M. Faraday, il arrive que des rayons polarisés, traversant des corps diaphanes qui ordinairement ne leur font éprouver aucune modification, sont sensiblement modifiés lorsque, dans le voisinage de ces corps, on place des aimans très puissans. Les aimans qu’il faut employer dans ces recherches ne sont pas de ces aimans naturels que tout le monde connaît ; ce sont des corps qui ne deviennent magnétiques que sous l’influence de certains courans électriques découverts en Danemarck par M. Oersted, et dont M. Ampère a donné chez nous une savante théorie. Pour faire mieux comprendre, par un exemple, en quoi consiste l’observation fondamentale de M. Faraday, il suffira de dire qu’on en prendrait une idée assez plausible si l’on imaginait qu’en plaçant un aimant dans le voisinage d’une carafe qui, exposée aux rayons du soleil, produit cette espèce de petit arc-en-ciel si cher aux enfans, on pourrait modifier les couleurs ou la position de cet iris. Transportez aux rayons polarisés ce qui arriverait ici pour les rayons réfractés, changez les aimans ordinaires en électro-aimans, et vous aurez l’expérience de M. Faraday que nous avons essayé de faire comprendre à nos lecteurs, et que M. Pouillet a eu le mérite de répéter le premier et de modifier ingénieusement, d’après des indications fort obscures qui étaient arrivées sur le continent. Si ces indications n’ont pas été plus complètes, c’est que M. Faraday avait cru d’abord que l’influence des aimans s’exerçait directement sur les rayons lumineux, ce qui renverserait toutes les idées reçues dans la science, et que trouvant, chez la plupart des physiciens, de l’opposition à ses idées théoriques, il a probablement voulu répéter ses expériences avant de les livrer au public. Les nouvelles recherches ne paraissent avoir nullement modifié sa manière de voir. C’est du moins ce qui résulte de son mémoire imprimé, dont quelques exemplaires viennent d’arriver à Paris. Au reste, une telle question ne tardera pas à être discutée à fond par des physiciens qui possèdent la confiance de toute l’Europe. M. Biot a commencé à la traiter dans le Journal des Savans avec toute l’autorité qui s’attache à son nom, célèbre à plus d’un titre, et M. Despretz a annoncé qu’il allait entreprendre des expériences pour reconnaître si les mêmes effets se produisent lorsqu’on cherche à agir sans intermédiaire sur les rayons lumineux. D’autres travaux se préparent sur le même sujet. Sans prétendre nullement nous ériger en juge, nous avouerons qu’il nous serait difficile de nous persuader que, dans l’expérience de M. Faraday, l’action des aimans plût s’exercer directement sur les rayons lumineux. Nous aimerions mieux considérer les phénomènes observés comme l’effet d’une espèce d’aimantation particulière produite par les courans électriques sur les corps que M. Faraday fait traverser au rayon polarisé. M. Becquerel, à qui l’on doit tant d’ingénieuses découvertes sur l’électricité et sur le magnétisme, a depuis long-temps reconnu que tous les corps peuvent donner lieu à certains phénomènes magnétiques ; il n’y aurait donc rien d’extraordinaire à concevoir dans l’expérience de M. Faraday que les molécules des corps sur lesquels on a opéré pussent ressentir une action analogue à celle qu’éprouvent certains corps répandus dans un liquide après qu’on les a réduits en parcelles très minces. On sait que, par l’action des courans électriques, il est possible de produire une espèce de frémissement dans certaines barres métalliques, et l’on n’ignore pas non plus que, d’après une curieuse observation de M. Biot, le seul frémissement qu’éprouvent les laines de verre, lorsqu’on y exécute des vibrations longitudinales, suffit pour faire naître, entre les particules de ces lames, des relations de position et de mouvement qui leur donnent la faculté, tant qu’elles demeurent dans cet état, de modifier la polarisation des rayons lumineux. Pourquoi les courans électriques qui excitent ce frémissement dans des barres métalliques ne produiraient-ils pas un effet analogue dans les corps diaphanes que M. Faraday a soumis à l’observation ? Peut-être pourrait-on éclairer cette question en soumettant à l’action d’aimans très énergiques les plaques de verre avec lesquelles on répète habituellement les expériences acoustiques de Chladni, et en examinant si les figures observées par cet habile physicien, dans la poussière répandue sur ces lames, ne changeraient pas de forme lorsqu’on ferait vibrer les plaques sous l’influence de ces aimans. Pendant qu’en Angleterre M. Faraday ouvrait aux expérimentateurs un nouveau champ de recherches, un autre savant, M. Melloni, bien connu des physiciens pour ses belles et originales observations sur la chaleur rayonnante, s’appliquait, avec une grande sagacité, à faire réussir à Naples une expérience qui avait été mille fois tentée ailleurs sans succès. Il s’agit de la chaleur lunaire, que théoriquement on savait devoir exister, mais que personne jusqu’à présent n’était parvenu à rendre sensible à nos thermomètres. Enfin M. Melloni, qui possède des instrumens très délicats, a pu constater que non-seulement la lune nous envoie de la chaleur, mais que, de plus, cette chaleur, comme on pouvait le prévoir, varie avec les phases de notre satellite, c’est-à-dire qu’elle augmente ou diminue suivant que la face de la lune que nous voyons est plus ou moins éclairée par le soleil. Cette chaleur varie en outre avec la distance à laquelle est placé cet astre et avec sa hauteur sur l’horizon. Après avoir ainsi prouvé l’existence de la chaleur lumineuse de la lune, c’est-à-dire de la portion de la chaleur solaire réfléchie par cet astre, il serait intéressant de reconnaître la chaleur obscure, c’est-à-dire la chaleur que la lune nous envoie lorsque la face qui est tournée vers nous n’est pas éclairée par le soleil. Ces observations nous semblent dignes d’exercer l’habileté des physiciens : en les généralisant et en les étendant aux différentes planètes, aux étoiles, et surtout aux comètes périodiques dans leurs retours successifs, on pourrait probablement acquérir quelques données sur la constitution calorifique de l’univers, et sur l’état thermométrique des diverses régions de l’espace que notre système planétaire paraît destiné à visiter, si, comme tout semble l’annoncer, le soleil se meut, nous entraînant à sa suite. Une idée théorique de M. Poisson, qui attribuait une grande influence sur l’état calorifique de notre globe à ces alternatives séculaires de chaud et de froid par lesquelles, à son avis, nous devions passer en traversant des régions de l’espace diversement échauffées, nous fait attacher un grand prix à ces sortes d’observation. Toutes les conceptions d’un esprit aussi éminent méritent une attention particulière, et nous espérons que M. Melloni, qui, sous un ciel favorable, possède des moyens si délicats de recherche, voudra ne pas négliger un sujet qui lui a déjà fourni d’intéressans résultats. Peut-être, pour reconnaître des différences si minimes de température, le célèbre physicien italien sera-t-il forcé de modifier ses appareils, et d’employer plutôt des miroirs réfléchissans que des verres, qui, on le sait, interceptent toujours une portion notable des rayons calorifiques. Quoi qu’il en soit, ces observations délicates et difficiles ne peuvent qu’accroître la réputation du savant auquel le roi de Naples a confié la direction de l’observatoire météorologique, qu’avec une libéralité de vues très louable ce prince fait construire sur le Vésuve. Les expériences que M. Faraday et M. Melloni entreprenaient presque au même moment sur des sujets si différens leur étaient suggérées à tous les deux par des idées théoriques sur l’identité des divers agens, la lumière, la chaleur, le magnétisme, l’électricité, dont les physiciens s’occupent de préférence. Tout en faisant des réserves formelles] au sujet de ces idées systématiques sur la nature d’agens que nous connaissons si peu, nous ne pouvons qu’applaudir aux tentatives que l’on fait pour étudier les analogies qui existent entre les différentes forces qu’emploie la nature. C’est là de la bonne et utile induction ; seulement on doit savoir se tenir en garde contre cet esprit de généralisation qui entraîne parfois les intelligences les plus robustes, et à propos duquel Galilée, ce grand physicien qui a découvert tant de faits importans sans jamais s’aventurer dans le pays des hypothèses, inséra dans le Saggiatore un charmant apologue que tous les observateurs devraient apprendre par cœur. S’il est nécessaire de résister à l’esprit de système, à plus forte raison faut-il s’imposer une grande réserve dans l’examen des faits merveilleux que la crédulité est toujours disposée à admettre, lors même qu’ils ne tombent pas dans le domaine de l’industrie. Aussi c’est avec un sentiment de pénible surprise que l’on a vu un savant astronome proposer sérieusement à l’institut de s’occuper d’une prétendue fille électrique qui, on l’a reconnu, mais un peu tard, était plus digne de figurer sur les tréteaux que de se montrer devant cette docte assemblée. Nous sommes de l’avis de M. Magendie, qui déclarait que l’Académie ne doit pas s’occuper de pareilles niaiseries ! Quoique sévère, cet avertissement ne manquait pas d’opportunité, et désormais l’Académie des Sciences en fera probablement son profit pour résister à ce désir excessif de popularité et de bruit qui rend parfois certains savans si peu difficiles dans le choix des moyens. Du reste, les tours annoncés ces jours derniers par Angélique Cottin n’ont pas même le mérite de l’originalité. Dans un petit livre fort amusant, publié en 1797 à Paris, sous ce titre : Les Fredaines du Diable, on lit l’histoire d’un marchand luthier, de la rue Croix-des-Petits-Champs, dont les harpes et les violons dansèrent à qui mieux mieux, pendant trois semaines, devant une multitude ébahie. Alors cependant l’Académie n’intervint pas ; on ne fit pas d’expériences, et deux mots d’un commissaire de police suffirent pour faire cesser immédiatement cette momerie. Les graves accidens arrivés récemment sur certains chemins de fer ont ému à l’Académie des sciences les personnes les plus compétentes en cette matière. Sur la proposition de M. Piobert, la section de mécanique a demandé que l’Académie adressât au gouvernement quelques observations sur un sujet qui intéresse à un si haut point les intérêts et la sûreté des voyageurs. Les conclusions de la commission ont été combattues avec une grande insistance par M. Arago et par quelques-uns de ses amis. Le célèbre astronome demandait que la commission fût invitée à compléter son travail et à signaler au ministre des travaux publics les inventions les plus aptes à prévenir le danger. La commission, par l’organe de MM. Dupin, Poncelet, Piobert et Morin, a repoussé avec énergie les propositions de M. Arago. Ce débat, qui a occupé une séance entière, s’est terminé par un vote fort significatif. Dans la crainte probablement de servir de réclame et de recommander à l’attention du gouvernement des projets d’un mérite douteux, l’Académie a purement et simplement adopté les conclusions de la commission. Plus tard, si le gouvernement le désire, la section de mécanique pourra soumettre à des expériences décisives certaines inventions sur lesquelles il est prudent aujourd’hui de ne pas se prononcer. A cette occasion, nous ne saurions nous empêcher d’émettre le vœu que les télégraphes électriques qui doivent être établis sur tous les chemins de fer soient principalement affectés au service propre, et pour ainsi dire intérieur, de ces nouvelles voies de communication, et destinés à propager sur toute la ligne les nouvelles et les avis si nécessaires à la sûreté des convois. Rien ne serait plus facile d’abord que de signaler ainsi des cas de détresse, et toute personne ayant quelque habitude des combinaisons mécaniques comprendra qu’il deviendrait également très aisé de remplacer les signaux, si peu utiles, que font les cantonniers sur les chemins de fer, par des signaux simples, et d’un sens clair que l’électricité porterait instantanément à des distances très considérables. Par ce moyen, avec un certain nombre d’appareils peu compliqués, placés par exemple de kilomètre en kilomètre, on pourrait savoir tout ce qui se passe sur la ligne entière, et à l’aide d’un mécanisme qu’il est facile de construire un convoi annoncerait lui-même d’avance son arrivée ainsi que le nombre de kilomètres qu’il a parcourus déjà, sans que l’intervention des hommes fût nullement nécessaire. Nous n’insisterons pas davantage sur ce point : le principe une fois compris, on peut le modifier de mille manières dans l’application, et l’on conçoit qu’à l’aide de tels signaux, chaque convoi étant averti à tout instant de la marche et de la position des autres convois, ces rencontres si fréquentes et si fatales aujourd’hui deviendraient à peu près impossibles. L’idée que nous indiquons ici est fort simple et nous semble mériter l’attention des ingénieurs. Nous ne nous arrêterons pas aujourd’hui sur l’application qu’on a faite de certaines propriétés de la lumière à la détermination de la quantité de sucre cristallisable qui se trouve dans certains mélanges. Sans examiner ici le mérite de ce procédé, dont l’emploi exige des précautions fort délicates, nous dirons que ce n’est pas sans quelque surprise que nous avons remarqué l’absence du nom de M. Biot dans des écrits où cette application était recommandée à l’industrie. Il est bon du reste d’ajouter qu’en Allemagne les fabricans emploient, depuis quelque temps, un instrument de M. Mitscherlich, fondé sur les mêmes principes, et qui paraît d’un emploi facile et suffisamment exact. L’Institut vient de faire une grande perte. M. Bessel, l’un des huit associés étrangers de l’Académie des Sciences, est mort à Koenigsberg le 17 mars dernier. Cet illustre savant, que les astronomes de l’Europe avaient reconnu pour leur chef, était, chose rare, aussi supérieur dans la pratique des observations que dans la connaissance des hautes théories mathématiques. Il ne semblait pas d’abord destiné à la carrière des sciences : ce fut par l’influence de M. Olbers que M. Bessel abandonna le commerce pour embrasser l’étude de l’astronomie. Nous le répétons, la science et l’Institut ont fait une grande perte. C’est probablement dans la prévision d’un tel malheur que quelques-uns de nos savans avaient facilité dernièrement à M. Demidoff, si connu pour ses richesses, l’entrée de l’Académie des Sciences… Et il y a encore des gens qui prétendent que les écus n’ont pas d’esprit ! La Revue a déjà eu l’occasion de parler en détail des manuscrits de Fermat et de la nouvelle édition des œuvres de cet illustre géomètre, entreprise par ordre du gouvernement. La ville de Toulouse ne pouvait pas rester indifférente à l’annonce de cet hommage rendu à la mémoire d’un homme dont la gloire est indissolublement liée à celle de cette antique cité. Le conseil municipal de Toulouse a décidé qu’un monument serait élevé dans cette ville à Fermat, et qu’une grande souscription nationale, à laquelle ce conseil a commencé par contribuer pour 25,000 francs, serait ouverte dans toutes les villes de France. Nous nous associons de grand cœur à une telle manifestation, au succès de laquelle nous ne manquerons pas de contribuer de toutes nos forces quand il y aura lieu. D’intéressantes trouvailles ont été faites, dans ces derniers temps, au sujet de Fermat. Non-seulement son origine et sa biographie ont été éclairées par des recherches entreprises avec zèle et persévérance dans les archives de la ville de Beaumont de Lomagne, mais le nombre des écrits inédits de ce grand mathématicien a été notablement augmenté par les soins de M. Despeyrons. Ce jeune savant, envoyé l’année dernière à Vienne sous les auspices de M. le ministre de l’instruction publique et de M. le ministre des affaires étrangères, dans la vue de découvrir de nouveaux manuscrits de Fermat, a rempli sa mission avec un succès digne de la confiance que le gouvernement lui avait témoignée. Pendant que la France rend un tel hommage à la gloire d’un des plus beaux génies qui l’aient illustrée, l’Allemagne s’apprête à tirer de l’oubli les manuscrits de ce grand Kepler dont les malheurs ne se terminèrent pas avec la vie. C’est un particulier, le professeur Frisch de Stuttgard, qui a eu le courage d’entreprendre l’œuvre gigantesque, si souvent annoncée sans effet, de réunir et de publier ensemble tous les ouvrages, inédits ou déjà imprimés, de cet homme célèbre. Un tel projet, que nous espérons voir bientôt réalisé, mérite l’approbation et le concours de tous les amis des sciences. Il est vivement à souhaiter que les manuscrits inédits de Kepler, qui se trouvent actuellement dans la bibliothèque de l’académie des sciences de Saint-Pétersbourg, soient mis à la disposition de M. Frisch. Le gouvernement russe, qui a fait annoncer dernièrement une édition complète des œuvres d’Euler, mais qui n’a jamais donné suite au projet formé par Lexell, il y a soixante-dix ans, de publier les écrits inédits de Kepler, qu’il possède, ne peut que s’honorer en mettant ces richesses littéraires à la disposition de M. Frisch. Il faut enfin soustraire ces écrits si précieux aux chances de destruction dont ils ont été si souvent menacés. Remis par Louis Kepler, fils du grand mathématicien, à Hevelius, célèbre astronome de Dantzick, à la mort de celui-ci, ils passèrent, avec une partie de ses propres manuscrits, entre les mains de son gendre, le conseiller Lange, qui les vendit, en 1707, pour 100 florins (ils se composaient de vingt-deux volumes autographes in-folio), au mathématicien Hansch de Leipzig. A l’aide de quelques secours qu’il reçut de l’empereur Charles VI, Hansch fit paraître un volume contenant les lettres adressées à Kepler par les plus célèbres savans de l’Europe : mais bientôt les secours s’arrêtèrent, et Hansch, tombé dans la dernière misère, dut mettre en gage, pour vivre, les manuscrits de celui qui, dans sa vie, avait si souvent manqué de pain. Nous ne suivrons pas ces précieux volumes dans les divers antres de prêteurs sur gages où on les traîna ignominieusement. Enfin, en 1774, après avoir été vainement offerts à tous les astronomes de l’Europe, ils furent achetés par le gouvernement russe. Espérons que rien ne s’opposera désormais à ce qu’ils soient portés à la connaissance du public dans la grande collection annoncée par le savant professeur de Stuttgard. Nous ne dirons qu’un mot, en terminant, sur le débat que M. Quinet paraît vouloir perpétuer à propos du programme de son cours au Collège de France. Dans la dernière assemblée des professeurs, M. Quinet a pu se convaincre que la grande majorité de ses collègues repoussaient ses prétentions. Peut-être la polémique qui a eu lieu à cet égard, il y a quelques mois, dans les journaux, et les injures grossières que M. Quinet a laissé répandre (d’autres emploieraient peut-être un mot différent) sur quelques-uns de ses confrères, ont-elles contribué à augmenter la majorité qui s’est déclarée contre lui. Par le temps qui court, on ne saurait pas essayer impunément de faire de la terreur dans la presse. M. Quinet parle actuellement d’oubli et de calomnie ; comment se fait-il que ce professeur, qui avait passé si rapidement et avec si peu de travail à l’état de grand citoyen, en soit réduit au bout de quelques mois à faire entendre des plaintes si amères ? Nous ne cesserons pas de le répéter, M. Quinet a un moyen bien simple d’imposer silence aux critiques : qu’il fasse un véritable cours de littérature méridionale, qu’il prouve par ses leçons, ou du moins par ses écrits, qu’il possède à fond les langues du midi de l’Europe, et tous les doutes disparaîtront à son égard. Ses Vacances en Espagne, dont les premières livraisons viennent de paraître, et que la Revue ne peut manquer de soumettre à un examen détaillé, n’offrent nullement la preuve des connaissances qu’on lui demande. V. DE MARS.