A. de QUATREFAGES Physiologie comparée. — Les Métamorphoses et la Généagenèse, seconde partie Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 3, 1856 (pp. 859-883). Physiologie comparée. — Les Métamorphoses et la Généagenèse, seconde partie IV – Phénomènes de généagénèse chez les annelés, les mollusques et les rayonnés. Jusqu’ici, J’ai cherché à faire comprendre comment on était arrivé peu à peu à la connaissance des phénomènes généagénétiques[1]. Il resterait maintenant à les expliquer où plutôt à montrer comment ces phénomènes d’apparence si exceptionnelle viennent se ranger néanmoins dans le cadre général de nos connaissances les plus positives ; mais avant d’aborder le côté théorique de mon sujet, il me faut citer encore un certain nombre d’exemples nécessaires pour motiver des conclusions parfois différentes de celles qu’ont tirées des mêmes faits quelques-uns de mes plus illustres confrères. Un intérêt particulier s’attache d’ailleurs à ces exemples : on y peut trouver la solution définitive d’une des questions les plus controversées par les philosophes aussi bien que par les naturalistes, et j’espère qu’on voudra bien me suivre, ne fût-ce que pour savoir s’il se produit ou s’il ne se produit pas des générations spontanées. Déjà on a pu reconnaître combien la généagénèse va se compliquant de plus en plus, de l’hydre jusqu’à l’aurélie. Les faits de même nature se multipliant, et présentant des particularités chaque jour plus variées, il a fallu, pour s’y reconnaître, les rattacher à un certain nombre de types. C’est ce qu’a fait M. van Bénéden, qui a proposé de les partager en cinq groupes ou catégories. Avec quelques restrictions de forme plus que de fond[2], nous adopterons ses idées à cet égard, et nous regarderons les exemples déjà cités comme caractérisant chacun de ces groupes par la nature essentielle et la succession des phases du développement. Dans la première catégorie, nous placerons l’hydre et les animaux qui se multiplient comme elle, quelque soit d’ailleurs leur rang dans l’échelle zoologique ; la seconde catégorie aura pour type les ascidies composées ; à la troisième appartiendront les pucerons, à la quatrième les biphores, à la cinquième l’aurélie. Il s’en faut néanmoins que dans chacune de ces catégories la généagénèse se produise toujours d’une façon identique. À mesure qu’on a acquis une connaissance plus sérieuse de ces singuliers phénomènes, on a vu, presque dans chaque espèce, chaque phase du développement s’accompagner de particularités différentes et parfois bien inattendues. Ici, dans l’impossibilité de tout dire, nous nous bornerons à rappeler brièvement quelques-uns des faits les plus curieux que nous présentent les principaux groupes du règne animal, et, sans nous astreindre rigoureusement à la classification de M. van Bénéden, nous suivrons les cadres zoologiques. En procédant ainsi, nous resterons fidèle à l’ordre adopté dans les autres parties de ce travail. En outre nous mettrons par la en pleine lumière un résultat qui a bien son importance : nous montrerons les phénomènes se compliquant progressivement à mesure que l’on descend davantage l’échelle des êtres, comme si la simplification même des organismes obligeait la nature à multiplier quelques-uns des actes nécessaires pour en assurer la reproduction. Constatons d’abord qu’aucun animal vertébré ne se reproduit par généagénèse, et que ce mode de multiplication est extrêmement rare chez les invertébrés à organisation élevée. Dans la classe des insectes, où les espèces se comptent par cent mille, nous n’en connaissons que deux exemples, celui que présentent les pucerons [3] et celui que M. Filippi a découvert chez un hyménoptère de la fa mille des ptéromaliens [4], auquel il n’a pas, croyons-nous, donné encore de nom spécifique. Comme un grand nombre de ses proches parens, cet insecte, à en croire le savant professeur de Turin, déposerait ses œufs dans l’œuf même d’un petit coléoptère [5] qui fait beaucoup de mal aux vignes en rongeant les bourgeons et en roulant les feuilles pour y déposer ses œufs (rynchites betuleti). De l’œuf du ptéromalien sortirait un animal assez semblable à un infusoire transparent, à structure presque homogène, présentant en arrière quelques anneaux hérissés de poils et une longue queue qu’il agite avec vivacité. À l’intérieur de cette fausse larve germerait lentement une sorte de ver armé de deux mâchoires, qui envahirait peu à peu tout le premier animal, puis repousserait l’espèce de tégument formé de la dépouille de son parent, et se changerait alors en nymphe pour devenir bientôt un insecte parfait. On voit qu’il s’agit encore ici d’un cas des plus simples. Le scolex produit directement le proglottis, mais celui-ci n’arrive à l’état parfait qu’en subissant une métamorphose. Si nous rapportons ce fait particulier à ce qui se passe chez les papillons, nous pourrons dire : De l’œuf est sortie une chenille nue, qui a produit par bourgeonnement interne une chenille velue, laquelle s’est transformée d’abord en chrysalide et plus tard en papillon. Des cinq classes composant le sous-embranchement des annelés supérieurs ou annelés à pieds articulés, les insectes seuls paraissent se reproduire par généagénèse ; on n’a du moins encore rien observé de semblable chez les myriapodes, les arachnides, les crustacés ou les cirrhipèdes. Ce phénomène se rencontre au contraire chez un grand nombre de vers, c’est-à-dire chez les annelés inférieurs. Sans parler des helminthes, dont l’histoire mérite d’être traitée à part, nous le voyons se montrer chez des annélides, chez des némertiens, chez des naïs, petits vers aquatiques voisins des vers de terre, etc. Dans tous ces groupes, la généagénèse revêt des caractères particuliers, elle est depuis longtemps connue sous le nom de génération fissipare. Ici l’animal se coupe de lui-même en deux, d’ordinaire par le travers. Chez quelques planaires et certaines naïs, la division a lieu sans préparation apparente, et chaque moitié, ainsi isolée, se complète en produisant par bourgeonnement la queue ou la tête qui lui manque. Pendant plusieurs générations, les individus produits de la sorte sont neutres aussi bien que le parent ; puis, sous l’empire de conditions encore inconnues, les sexes se montrent, et l’espèce se propage de nouveau par œuf. Chez un petit némertien, que j’ai souvent trouvé aux environs de Paris, les choses se passent à peu près ainsi ; seulement la tête de l’individu fils se forme avant la séparation de celui-ci. Il en est encore de même chez les myrianes et les syllis. Chez ces annélides, l’animal ainsi créé de toutes pièces germe et grandit entre le dernier et l’avant-dernier anneau du corps. On voit parfois chez les premières jusqu’à six individus placés bout à bout, et composant une sorte de chapelet dont le fil serait représenté par l’intestin qui passe de l’un à l’autre [6]. Dans les syllis, je n’ai jamais trouvé qu’un seul individu, mais en revanche il est chargé de fonctions bien importantes. C’est toujours lui, et lui seul, qui est mâle ou femelle ; le parent reste neutre. Pour en revenir à notre comparaison habituelle, on voit qu’ici l’œuf du papillon aurait produit une chenille unique, laquelle se diviserait spontanément pour engendrer de nouveaux individus, mais que ces derniers seraient tantôt d’autres chenilles semblables à la première, et dont au moins un certain nombre deviendraient tôt ou tard papillons, tantôt des papillons au grand complet, qui resteraient quelque temps enchaînés à leur mère, battant de l’aile pour s’échapper et n’y parvenant que plus tard. Il nous reste peu de chose à dire de l’embranchement des mollusques. Aucun mollusque proprement dit ne présente le phénomène qui nous occupe. Dans le sous-embranchement des molluscoïdes, la généagénèse paraît être au contraire la règle générale. Tous ces animaux sont plus ou moins voisins soit des ascidies soit des biphores ; ils doivent se reproduire par des procédés analogues, et ce que nous savons de leur histoire justifie cette présomption. Dans l’embranchement des rayonnes, la classe des échinodermes (oursins, holoturies, etc ), celle des acalèphes (orties de mer) et celle des polypes exigeraient chacune de longs développemens, si nous voulions faire connaître en détail les phénomènes si variés et parfois si complexes de leur reproduction. La généagénèse se montre ici à tous les degrés. En outre, comme dans bien d’autres cas, l’étude embryogénique, en nous révélant des merveilles inattendues, a éclairé d’un jour tout nouveau l’histoire de tous ces êtres et modifié sur bien des points les opinions reçues. Déjà nous avons parlé de l’hydre et des aurélies. Citons encore quelques faits à l’appui de cette assertion. Parmi les polypes qui, sous la forme d’arbrisseaux ou de petites plantes, tapissent les rochers et même les fucus de nos côtes, prenons pour exemple cette jolie campanulaire geniculée dont Löwen a suivi avec tant de patience le curieux développement [7] ; mais interprétons d’ors et déjà, grâce aux travaux de Steenstrup et de ses successeurs, les résultats obtenus par le naturaliste suédois [8]. — De l’œuf de cette campanulaire sort une larve ciliée qui se fixe sur un corps solide, s’épate, et ressemble alors à un petit gâteau creusé d’une cavité ; au centre de celle-ci se forme un amas de granulations qui grandit peu à peu et s’allonge en une tige droite, creuse, qui bientôt se recouvre d’un étui corné transparent. Un courant intérieur règne dans le canal de cette tige, et, accumulant des granules nourricière à l’extrémité, y développe un véritable bourgeon. Celui-ci s’organise peu à peu et prend d’abord la forme d’une cloche renversée fermée par une membrane cornée. La matière vivante qui en tapisse l’intérieur se détache bientôt et forme une sorte de bouton conique, sur lequel poussent des tentacules ; enfin au centre de ces derniers s’ouvre un orifice, une véritable bouche semblable à celle de l’hydre. Le premier polype est alors complet ; il brise la membrane tendue en avant de sa cellule et se développe au dehors comme une fleur qui vient de rompre son calice. Ce premier individu est toujours un polype nourricier ; il est neutre et exclusivement chargé de chasser pour lui et pour ses frères futurs. Ceux-ci se montrent successivement, toujours d’abord sous la forme de bourgeons, et parcourent les mêmes phases, si bien qu’au bout de quelque temps la colonie ressemble à une petite plante assez régulièrement coudée en zigzag, portant à chacun de ses angles, à l’extrémité d’un court pédicule, un de ces polypes chasseurs. À ce moment, de nouveaux bourgeons se montrent à l’aisselle des polypes, entre les rameaux et le tronc du polypier. Ces bourgeons ressemblent d’abord aux premiers, mais ils tiennent à un pédicule beaucoup plus court, et ils deviennent beaucoup plus grands. La cellule qui en résulte est cinq ou six fois plus vaste que celle dont nous avons parlé, et le tube vivant qui remplit toutes les ramifications du polypier la traverse d’un bout à l’autre. C’est sur les côtés de cet axe que germent dans des espèces de loges les polypes reproducteurs. Chacun d’eux renferme un ou deux œufs bien caractérisés, qui grandissent en même temps que la mère, éclosent dans son intérieur et deviennent autant de larves ciliées. Les polypes percent aussitôt la membrane capsulaire pour s’épanouir au dehors. Ils ressemblent alors à une méduse dépourvue d’appareil digestif, et celui-ci leur serait en effet inutile. Restés en communication avec les parties vivantes du polypier, ils profitent de la nourriture qu’apportent à la communauté leurs frères à longs tentacules. D’ailleurs leur vie est courte. Les larves ne tardent pas à s’échapper pour aller fonder au loin de nouvelles colonies. Leur rôle une fois joué, ces polypes-mères se flétrissent sur place et sont peu à peu résorbés. Quoique paraissant d’abord en différer beaucoup, ces faits se rattachent de très près à ce que nous avons vu se passer dans les aurélies. Dans les deux cas, nous voyons sortir de l’œuf une larve ciliée, un scolex ; toutefois chez la campanulaire le premier polype résulte non d’une simple métamorphose, mais bien d’un véritable bourgeonnement, qui produit un être très différent du premier. Il y a donc ici une seconde génération de scolex, un deutoscolex, qui se multiplie sous sa nouvelle forme. Le polypier qui en résulte est en quelque sorte un deutoscolex composé, lequel engendre le strobila, représenté par la capsule renfermant les polypes reproducteurs. Enfin ces polypes-mères, qui portent des œufs dans leur sein, sont autant de proglottis correspondant aux petites méduses qui se transforment en aurélies et à ces dernières elles-mêmes ; seulement ils doivent vivre et se flétrir sans avoir jamais mené une vie indépendante. Les rapprochemens que nous venons de faire sembleront peut-être discutables aux personnes qui ne connaissent pas l’ensemble des faits ; mais qu’on parcoure seulement les principaux travaux publiés par MM. Ehreuberg [9], Krohn, Kœlliker, Dalyell, Dujardin [10], et l’on ne conservera guère de doute à cet égard. Qu’on lise attentivement les grands mémoires de M. van Bénéden sur les campanulaires et les tubulaires [11], et, malgré des erreurs de détermination depuis longtemps rectifiées par l’auteur lui-même, on verra les faits en apparence les plus éloignés irrécusablement rattachés les uns aux autres par une foule de faits intermédiaires. Chez ces animaux placés au bas de l’échelle, la nature semble se plaire à dédaigner les lois d’embryogénie si constantes dans les groupes supérieurs. On trouve dans un même genre et d’une espèce à l’autre les différences les plus sensibles. Nous venons de voir avec Löwen la méduse proglottis d’une campanulaire rester fixée au polype qui l’a engendrée, et voilà que dans une autre espèce, la campanulaire gélatineuse, M. Desor nous montre l’animal, parvenu à la même phase, brisant la capsule reproductrice et s’échappant pour nager dans le liquide où il se métamorphosera plus tard [12]. Le même observateur signale des branches du polypier qui se chargent exclusivement de polypes reproducteurs femelles, tandis que d’autres ne portent que des polypes reproducteurs mâles. En un mot, plus on avance dans ce champ de découvertes, plus il semble s’agrandir et présenter à chaque pas de nouveaux aspects. De ce qui précède on peut déjà conclure que les rapports des polypes avec les acalèphes sont bien plus intimes qu’on ne le croyait il y a dix ans à peine. Les recherches les plus récentes tendent à diminuer encore la distance primitivement établie entre ces deux classes. Les lecteurs de la Revue se rappellent peut-être encore ce que je leur disais, il y a quelques années, des stéphanomies, de ces guirlandes animées aux fleurs d’émail, aux filamens de cristal pressés sur un axe transparent, que surmonte une vessie remplie d’air et servant de flotteur à ces singuliers organismes [13]. Ces êtres étranges peuvent être pris pour type d’un groupe que Cuvier créa sous le nom d’acalèphes hydrostatiques, et que le naturaliste allemand Escholtz appela plus tard siphonophores. Bien longtemps les zoologistes sont restés dans le doute sur la nature de ces animaux. MM. Vogt [14] et Leuckart [15], ramenés par un examen attentif aux idées de notre célèbre voyageur naturaliste Lesueur, proposèrent, il y a peu d’années, de les regarder comme des polypes composés, et cette manière de voir a été pleinement confirmée, surtout par les travaux de MM. Huxley [16], Kœlliker [17], Geyenbaur [18], et par nos propres recherches [19]. Nous devons dès-lors nous attendre à retrouver, chez les siphonophores les divers modes de reproduction signalés plus haut. Tel est en effet le résultat des investigations les plus récentes. Dans son beau travail sur les siphonophores de la mer de Nice, M. Yogta mis ce fait hors de doute [20]. la aussi la généagénèse se montre dans tout son développement, mais aussi dans toute sa variété. Toutefois son dernier terme paraît être presque toujours un animal médusiforme, à existence tantôt prolongée et tantôt passagère, à organisation souvent fort simple et d’autres fois plus complexe, tantôt libre comme dans j’aurélie, tantôt fixe, comme chez les campanulaires de Löwen, et qui seul acquiert les attributs du sexe mâle ou femelle, qui seul se reproduit par œufs. Il est, croyons-nous, inutile de recommencer ici le rapprochement déjà tant de fois fait ailleurs, et de comparer ce qui se passe chez les siphonophores aux simples métamorphoses des papillons. Au-delà des acalèphes et des polypes, nous ne trouvons plus que des animaux de nature encore quelque peu douteuse, les infusoires, les éponges, réunis sous le nom de rayonnes globuleux. Ici encore nous rencontrons la généagénèse, ou du moins nous constatons la mise en œuvre de ses procédés. Les éponges sont certainement des êtres composés, quoiqu’il soit bien difficile, peut-être impossible de déterminer chez elles l’individu. Ces êtres, encore problématiques aux yeux de quelques naturalistes, possèdent une charpente tantôt cornée, comme dans l’éponge usuelle, tantôt calcaire ou siliceuse, et représentée souvent par de simples aiguilles ou des spicules entrelacés. Sur les moindres ramifications de cette espèce de squelette s’étend et se moule une sorte de vernis. Ce vernis n’est autre chose que la matière vivante qui constitue l’animal. Chaque espèce, constante dans ses élémens, est variable dans sa forme, dans ses proportions, autant qu’un polypier quelconque. Comme ces derniers, les éponges peuvent multi plier par bouture, par division spontanée même. Les observations de Grant [21], confirmées par MM. Audouin et Milne Edwards, les recherches d’autres naturalistes nous ont appris en outre qu’il s’échappe de leur intérieur de véritables larves ciliées toutes semblables à des infusoires. Chez la spongille, espèce d’eau douce, fort commune aux environs de Paris, et qu’on a prise longtemps pour une plante, M. Laurent a vu ce mode de reproduction se montrer pendant tout l’été ; mais en automne le tissu de la spongille se farcit pour ainsi dire de petits corps arrondis, d’un blanc jaunâtre, enveloppés d’une coque assez résistante, et qu’on regardait autrefois comme des graines. Sont-ce là de véritables œufs ? sont-ce de simples germes ? Bien qu’on ne puisse y distinguer ni vitellus, ni vésicule de Purkinje, ni tache de Wagner, bien que la sphère unique qui les compose paraisse homogène, peut-être à cause de son opacité, la première détermination nous paraît la mieux fondée. Toujours est-il que ces corps reproducteurs survivent à la destruction du parenchyme qui les renferme, et se développent au printemps en autant de spongilles, qui toutes peuvent en enfanter un certain nombre d’autres par les procédés indiqués plus haut. Chacun de ces œufs ou germes est donc capable de produire non pas un seul, mais bien plusieurs individus procédant indirectement de lui, directement les uns des autres, et par conséquent nous pouvons ranger la spongille parmi les animaux qui se propagent par généagénèse. À plus forte raison, en dirons-nous autant des infusoires. Ici encore il est permis de mettre en doute la nature des corps reproducteurs qui, selon toute probabilité, ouvrent le cycle des transformations, ou mieux des générations [22]. Par suite peut-être seulement de leur extrême petitesse, on ne peut y reconnaître les parties que nous avons vues entrer dans la composition d’un œuf complet. Au lieu de trois sphères emboîtées, on distingue à peine une seule sphère homogène transparente, pouvant se transformer de toute pièce en monade, c’est-à-dire pouvant revêtir la forme des êtres qui sont pour nous le dernier terme de la création vivante ; mais cette forme se modifie, et l’on voit apparaître des transformations, des métamorphoses, des généagénèses, malheureusement encore ; bien incomplètement connues, et seulement chez un petit nombre d’espèces. Déjà pourtant l’on peut soupçonner qu’ici les phénomènes de reproduction sont plus variés encore que dans aucun des groupes que nous ayons étudiés, et qu’ils s’accompagnent de circonstances toutes nouvelles. Un Français auquel on n’a pas suffisamment rendu justice hors de notre pays, le docteur Pineau, est, croyons-nous, le premier qui soit entré dans cette voie de recherches hérissée de difficultés de tout genre. Dès 1845, il publiait ses premières observations sur le développement et les métamorphoses des vorticelles. Il venait sur le même sujet en 1848 [23], de Rouen, confirmait en partie ces résultats et reconnaissait chez les infusoires plusieurs modes de génération [24]. Quatre ans après, un élève d’Ehrenberg, M. Stein, faisait connaître les résultats de ses propres expériences, rectifiait et complétait sur quelques points notre compatriote, mais, sous d’autres rapports, n’allait pas même aussi loin que lui [25]. De cet ensemble de travaux, on peut conclure avec certitude que bien des états transitoires ont été pris chez les infusoires, comme chez les polypes, pour des états permanens, et qu’on a multiplié outre mesure les espèces, faute de savoir quelles phases chacune d’elles doit traverser pour atteindre à sa constitution définitive. Ainsi M. Pineau a vu les monades prendre d’abord la forme d’une actinophrys c’est-à-dire présenter un corps arrondi, d’où sortent, comme autant de rayons, des prolongemens très grêles de matière vivante et lentement contractile [26]. Au bout de quelque temps, un pédicule pousse au-dessous de ces petits êtres, qui se trouvent peu à peu élevés, prennent la figure d’une poire portée sur une longue queue, s’entourent d’expansions rayonnantes de plus en plus nombreuses, et deviennent ainsi ce que les naturalistes nomenclateurs ont appelé des acinètes. Alors la partie supérieure de la poire s’affaisse pour ainsi dire, se creuse d’une cavité circulaire et échancrée, sur le bord de laquelle apparaissent des cils vibratiles ; les expansions rayonnantes rentrent dans la masse commune ; la cavité supérieure se change en un large rebord ; un orifice buccal se montre ; un cordon très contractile s’organise dans le pédicule, et l’acinète lui-même est devenu une de ces élégantes vorticelles semblables à autant de petites urnes vivantes qui flottent à l’extrémité d’un fil animé prêt à se replier sur lui-même, comme un élastique de bretelle, au moindre choc, au moindre ébranlement. Dans cet état, notre infusoire se multiplie aussi bien par division spontanée que par bourgeons, qui apparaissent à la base de l’urne, et, selon les espèces, se groupent en bouquet autour de la vorticelle mère, ou bien se détachent et vont se fixer au loin. Il paraît se reproduire en outre par plusieurs autres procédés. D’après Stein, la vorticelle, après avoir vécu quelque temps dans cet état, se replierait en quelque sorte sur elle-même, reprendrait la forme d’une sphère, émettrait de nouveau des rayons, en un mot repasserait à l’état d’acinète. Dans son intérieur, on distinguerait une sorte de noyau [27] qui, jouant le rôle de bourgeon interne, grandirait, s’organiserait et deviendrait un jour vorticelle. Celle-ci, une fois complètement développée, romprait le corps de l’acinète, qui n’en continuerait pas moins à vivre, reproduirait un autre noyau qui, à son tour, deviendrait une autre vorticelle, et ainsi de suite. Tel serait, d’après Stein, le mode ordinaire de multiplication de ces jolis infusoires ; mais il arriverait aussi parfois que le noyau se fractionnerait en un nombre considérable de nucléoles très petits, qui deviendraient autant de centres d’organisation, et on verrait alors s’échapper de l’acinète mère, non pas une seule vorticelle, mais trente ou quarante monades (monas colpoda ou scintillans), destinées sans doute à recommencer ce cercle de transformations et de multiplications à peu près indéfinies. Ainsi, d’après Stein, les vorticelles qu’il a étudiées posséderaient indépendamment de la fissiparité et de la germination externe, deux autres modes de multiplication. À en croire M. Pineau, dont les observations paraissent aussi précises que celles du professeur de Tharaud, on trouverait dans ce même groupe un cinquième moyen de reproduction. Selon lui, certaines vorticelles bien caractérisées s’enkisteraient, comme nous l’avons dit plus haut, et perdraient bientôt leur pédicule. Alors l’animal subirait une franche métamorphose et deviendrait un oxytrique, infusoire depuis long temps connu, assez semblable à une navette, portant sur les côtés des bandes de cils vibratiles très fins, tandis qu’en avant et en arrière on trouve une courte rangée de soies grosses et raides. Sous cette nouvelle forme, l’infusoire, au lieu d’être fixé, est libre, très agile, et tellement vorace, qu’il avale souvent des individus de sa propre espèce dont le volume est à peine d’un tiers inférieur au sien. En admettant l’exactitude de cette dernière observation, il y a un grand intérêt à découvrir ce que deviennent ces oxytriques. Or c’est précisément ce qu’a fait M. Jules Haime, jeune savant aussi bien connu déjà des lecteurs de la Revue que des naturalistes. Notre collaborateur a pris pour sujet de ses études l’oxytrique gibbeuse (oxytricha gibba) [28]. Il a constaté de nouveau chez elle les traits de mœurs que je rappelais tout à l’heure, et l’a vue se reproduire par fissiparité ; puis il a reconnu qu’à un moment donné les individus ainsi produits deviennent de plus en plus lents dans leurs mouvemens, se contractent, perdent leurs cils et s’enkistent dans une coque flexible sécrétée par les tégumens. À cette époque, l’oxytrique n’est plus qu’une petite masse de matière vivante, sans trace aucune d’organisation, et renfermée dans une sphère d’environ trois centièmes de millimètre en diamètre. À l’intérieur de cette masse se passent des mouvemens insaisissables à l’œil, mais reconnaissables à leurs effets. À diverses reprises, des granulations irrégulières sortent de cette espèce de boule ; un petit vide se forme à l’intérieur, et des cils vibratiles commencent à se montrer ; de nouvelles expulsions ont lieu ; la masse intérieure se partage en deux portions, dont une seule est vivante, et bientôt le nouvel être, abandonnant la partie morte, sort de sa prison temporaire avec les caractères d’un infusoire ovoïde ayant à peine un tiers de la longueur de l’oxytrique. Dans cet état, il appartient au genre loxode des naturalistes classificateurs. Après avoir vécu quelque temps sous cette forme, il se remet en boule ; une abondante sécrétion s’échappe de tout son corps, puis la bouche apparaît comme une petite échancrure ; un poil proportionnellement très fort, très gros, pousse à côté d’elle ; quatre ou cinq autres se montrent en arrière ; le corps bombé en dessus, presque plat en dessous, se couvre de grosses bosselures, et l’infusoire se meut avec une rapidité extrême, tantôt nageant à l’aide de ses cils, tantôt marchant sur ses poils, qui lui servent de pattes. Sous cette forme, si différente de celles qu’il avait présentées jusqu’ici, l’oxytrique a été décrit et figuré comme étant la trichode lyncée (trichoda lynccus). Si nous admettons que les observations de M. Haime continuent « elles de M. Pineau, ce qui est fort probable ; si nous supposons, ce qui est bien permis, que la vorticelle, étudiée par ce dernier, avait d’abord passé par les divers états dont nous avons parlé en premier lieu, voici quelles seraient les phases parcourues par une trichode. L’œuf ou germe produirait une monade, laquelle se transformerait en actinophrys, qui deviendrait un acinète, bientôt changé en vorticelle. De celle-ci sortirait l’oxytrique, qui se métamorphoserait d’abord en loxode, puis en trichode. Ayant d’arriver à ce dernier état, l’infusoire dont nous avons esquissé l’histoire aurait tour à tour été rangé dans sept genres différens, décrit sous une dizaine de noms, et pourtant le cercle de ses transformations n’est peut-être pas épuisé, car M. Haime n’a pu découvrir dans la trichode lyncée les corps reproducteurs, pour ne pas dire les œufs, qu’il a si nettement vus dans d’autres espèces. N’oublions pas que sous toutes ces formes l’infusoire dont nous venons d’esquisser l’histoire peut se multiplier par fissiparité, par gemmation, — et sans recourir à aucune comparaison, nous comprendrons toutes les difficultés de ces études, tout l’intérêt des faits étranges qu’elles nous révèlent [29]. Nous avons réservé, pour en parler en dernier lieu, l’histoire des échinodermes, que nous avons déjà nommés dans l’embranchement des rayonnes, bien que cette classe, comprenant les holothuries, les oursins, les étoiles de mer, soit justement placée en tête des rayonnés radiaires ou rayonnés supérieurs. Nous n’avons pas agi ainsi sans motif. Quelques naturalistes ont nié qu’il y eût au fond identité entre les phénomènes que présentent ces animaux et ceux dont nous venons d’esquisser le tableau ; d’autres ont exprimé au moins des doutes. Or quiconque aura bien saisi ce que nous entendons par généagénèse, quiconque admettra avec nous que le caractère fondamental pour ce mode de génération consiste dans la production de plusieurs individus distincts à l’aide d’un seul germe primitif, n’aura pas même un instant d’hésitation ; mais il comprendra en même temps ce que le développement des échinodermes présente d’exceptionnel par suite des emprunts que la généagénèse semble faire ici aux procédés de la simple métamorphose. Les faits curieux que nous allons indiquer ont été entrevus par plusieurs personnes seulement depuis peu d’années. Dès 1844, Saars, que l’on trouve presque toujours en tête des naturalistes modernes quand il s’agit du monde marin, fît connaître le développement de deux astéries (asterias sanguinolenta et asteracantion Mulleri), Il vit ces échinodermes, par une exception bien rare chez des animaux aussi bas placés dans l’échelle, couver en quelque sorte leurs œufs. Il constata que la larve sortant de ceux-ci ressemble d’abord à un infusoire, et présente ensuite l’apparence d’un animal composé de deux moitiés latérales symétriques, lequel se transformait plus tard en rayonné [30]. Un peu après, le célèbre embryogéniste Baër appliquait aux oursins la fécondation artificielle, mais ne parvenait à saisir que les premiers temps du développement [31]. Presqu’à la même époque, deux Marseillais, MM. Dufossé [32] et Derbès [33], observaient chez les oursins à peu près les mêmes faits ; mais le second donnait des figures très différentes de celles de Saars. Deux naturalistes norvégiens, MM. Koren et Danielssen, reconnaissaient à cette époque la bipinnaire porte-étoile (bipinnaria asterigera) pour une phase du développement des véritables astéries [34]. Enfin l’illustre physiologiste de Berlin, Jean Müller, étudia en 1845 à Helgoland les animaux marins de la Mer du Nord, décrivit le plutée paradoxal (pluteus paradoxus), poursuivit ses recherches dans la Méditerranée et l’Adriatique, et commença en 1848 une série de publications qui ont ajouté un chapitre de plus à l’histoire du développement des êtres [35]. Comme presque tous ses prédécesseurs, Millier a vu les échinodermes pondre des œufs d’où sortent des larves ciliées [36]. D’abord ces larves sont sphériques, puis elles s’allongent, acquièrent une charpente calcaire formée de branches longues et grêles, et prennent les formes les plus bizarres, entre autres celles d’un chevalet de peintre ou d’une double échelle sans barreaux. Des cils vibratiles, tantôt couvrant les bras, tantôt disposés en houppes, servent à la locomotion de ces singuliers êtres, qui nagent vivement. Tous possèdent un appareil digestif complet, et entre autres un estomac gros et renflé. C’est sur les parois mêmes de ce dernier viscère et sur l’un des côtés que commence à se montrer le futur échinoderme. Chez les oursins et les ophiures, il apparaît sous la forme d’un disque circulaire aplati, qui semble se mouler sur l’estomac et l’enveloppe bientôt tout entier. En grandissant, ce disque prend un aspect rayonné ; peu à peu, les ambulacres, les piquans, se montrent ; puis la bouche s’ouvre au dehors, toujours sur le côté de la larve. Celle-ci est alors en partie résorbée et en partie laissée de côté quand le nouvel animal est complètement formé. Chez la plupart des astéries, les choses se passent à peu près de même ; mais chez d’autres, la larve (tornaria) est en entier absorbée par l’échinoderme qui a poussé à l’intérieur. Enfin, chez les holothuries, la couronne de tentacules naît bien sur l’estomac de la larve ; mais la plupart des organes de celle-ci sont directement utilisés, et, par une simple transformation, acquièrent leurs caractères définitifs. Nous ne pouvons insister ici sur tout ce que ce mode de développement offre de remarquable. Bornons-nous aux considérations qui se rattachent immédiatement à notre sujet [37]. De l’œuf d’un oursin sort une espèce d’infusoire qui se métamorphose en pluteus. À l’intérieur de celui-ci germe un être de nature tout autre. Nous avons la deux générations bien distinctes produites par des procédés différens, quoique devant toutes deux leur existence à un seul germe primitif. Il y a donc généagénèse ; mais ce qui distingue ici ce phénomène, ce sont les emprunts que la seconde génération fait à la première. Dans toutes les espèces que nous avons étudiées précédemment, le bourgeon ne prend au parent que des matériaux de croissance ; il se fait nourrir, mais il tend de plus en plus à s’isoler. Que la chose se passe à l’extérieur, comme chez les polypes, ou à l’intérieur, comme chez les biphores, le phénomène reste le même. Chez les échinodermes au contraire, le bourgeon, en grandissant, englobe des organes tout faits et se les approprie. Dans son ensemble, l’animal pousse par généagénèse ; mais l’estomac chez les oursins et les ophiures, l’appareil digestif tout entier et d’autres organes encore chez les holothuries, n’ont à subir qu’une simple métamorphose. — Le développement des échinodermes constitue donc un véritable chaînon qui réunit ces deux ordres de faits et empêche un de ces sauts qui semblent répugner si fort à la nature [38]. center>De la généagénèse chez les helminthes ou vers intestinaux ; génération spontanée [39] Les animaux dont nous avons parlé jusqu’à présent ont de quoi intéresser tout d’abord l’homme du monde aussi bien que le naturaliste. Les fleurs vivantes d’un polypier, la guirlande d’une stéphanomie attirent le regard de la jeune fille comme celui du savant. Il nous faut maintenant parler d’êtres bien différens, et dont le nom seul soulève une sorte de répulsion instinctive. Que le lecteur veuille bien nous suivre pourtant ; nous lui épargnerons les détails trop techniques, tout en cherchant à faire connaître quelques points d’une histoire qui touche aux plus importantes questions de la physiologie générale et philosophique. Jusqu’à ces dernières années, on avait exclusivement réservé le nom d’helminthes ou d’intestinaux à des vers cachés dans l’intérieur du corps d’autres animaux. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi. On a reconnu que ces parasites internes ont au dehors de très proches parens. Les némertes et les planaires, dont nous avons souvent parlé dans la Revue, tiennent de fort près aux trématodes, dont il sera question tout à l’heure. Ces affinités récemment reconnues ont fait placer les helminthes non plus avec les rayonnes, parmi lesquels Cuvier les avait relégués, mais à la suite des annélides. Par conséquent, à vouloir rester fidèle aux cadres zoologiques, nous aurions dû déjà nous occuper de ces êtres étranges, mais il nous a paru préférable de leur consacrer un chapitre spécial. Le genre de vie exceptionnel de la plupart d’entre eux, les phénomènes si complexes de leur développement, le jour inattendu que l’étude des helminthes a jeté sur quelques-uns des plus obscurs problèmes de la science, justifieront suffisamment cette dérogation à l’ordre suivi partout ailleurs dans ce travail. Au point de vue où nous sommes placé, les helminthes à vie extérieure et indépendante n’offrent aucun intérêt spécial : les espèces parasites seules doivent nous occuper. Ces dernières ont été divisées en un certain nombre de groupes parmi lesquels nous choisirons les trématodes, les cestoïdes et les cystiques. Les premiers sont des animaux en général d’une petite taille, plats et pourvus d’ordinaire d’une ou plusieurs ventouses qui leur servent à se fixer à la manière des sangsues. La douve du foie, si commune chez les moutons, peut donner une idée de ce groupe. Les seconds, dont les ténia, improprement nommés vers solitaires, peuvent être regardés comme le type, atteignent parfois une longueur de plusieurs mètres. Chez ces vers, ce qu’on appelle le corps se compose d’articulations aplaties, très petites et peu marquées en avant, puis de plus en plus larges et distinctes. Un bouton arrondi, tantôt garni de ventouses, tantôt armé de crochets, surmonte la partie la plus grêle de cette espèce de ruban festonné. C’est ce bouton que l’on nomme la tête. Enfin la plupart des vers cystiques ressemblent à de petites vessies portant sur quelques points de leur surface une ou plusieurs têtes de ténia surmontant un pédicule toujours très court. Les cestoïdes n’habitent guère que le tube digestif ; les trématodes se trouvent dans presque tous les viscères ; les cystiques semblent préférer les tissus eux-mêmes, et on les rencontre au milieu des muscles, au centre du cerveau, etc. Tous ces vers, on le voit, ne se nourrissent et, qui plus est, ne respirent que par l’intermédiaire de l’animal qui les renferme. De ce fait nous pouvons tirer dès à présent une conséquence fort importante, et qui trouvera plus loin son application. Toute espèce animale ayant sa nourriture propre, sa température spéciale, ses liquides particuliers, il s’ensuit que chacune d’elles présente un ensemble de conditions différentes et par conséquent constitue pour les helminthes un petit monde à part. Ces parasites devront donc se répartir selon les exigences de leur nature propre et ne pourront habiter indifféremment dans tous les animaux. L’expérience confirme ces inductions de la théorie. Chaque espèce animale pour ainsi dire nourrit ses helminthes particuliers. À vouloir faire l’énumération complète de tous ces parasites, il faudrait passer en revue la création entière et fouiller à fond tous les autres animaux. Mais d’où viennent ces êtres étranges qui envahissent parfois par myriades les viscères et les tissus, pénètrent jusque dans la boîte du crâne et dans la cavité même des yeux ? Destinés à une vie tout exceptionnelle et pour ainsi dire de seconde main, est-il possible qu’ils naissent et se propagent comme les autres animaux, comme ceux-là même dont ils ne sont à vrai dire que des appendices parasitaires ? Répondre à ces questions, c’est toucher à une autre bien plus générale, et que la science de tous les temps a transmise d’âge en âge à notre siècle, qui seul pouvait en aborder la solution. La puissance créatrice qui a donné naissance aux êtres vivans est-elle épuisée, ou bien agit-elle encore aujourd’hui à la surface de notre globe ? En d’autres termes, le phénomène appelé génération équivoque ou spontanée est-il une réalité ? On sait comment répondaient les anciens. Pour eux, tout corps en putréfaction engendrait de nouveaux organismes, et la fable d’Aristée n’était que l’application spéciale d’une doctrine générale. Ces idées universellement adoptées se propagèrent jusqu’à nos jours. Il fallut les expériences et les observations de Redi, de Vallisnieri, pour démontrer aux savans du XVIIe et du XVIIIe siècle que les larves d’insectes n’étaient pas un produit de la décomposition. À partir de ce moment, des notions plus justes sur l’origine de bien des êtres commencèrent à se faire jour, et les partisans de la génération spontanée perdirent du terrain. Pourtant ils ne se tinrent pas pour battus et restreignirent seulement le champ d’application de leurs doctrines. Or, à mesure que la science faisait des progrès, ce champ se rétrécissait de plus en plus. Alors ils se divisèrent. Les uns, parmi lesquels nous citerons Lamarck, Burdach, Dugès, continuèrent à regarder les agens physiques, la chaleur, la lumière, l’électricité, comme suffisant pour organiser et animer la matière brute de façon à la transformer en êtres vivans. Les autres, au nombre desquels on compte Redi lui-même, Rudolphi, Morren, Oken, Nordmann, reconnurent que dans les êtres organisés et vivans les forces plastiques peuvent éprouver une sorte de déviation, d’où résultent de nouveaux êtres, très différens des premiers. Pour eux, par exemple, les parcelles du vitellus d’un mollusque isolées par le travail du framboisement donnent directe ment naissance à une espèce d’infusoire ; les alimens digérés sous l’influence de la vie se transforment en ténia ; les sucs destinés à renouveler les fibres musculaires s’organisent en cysticerques,… etc. De ces deux opinions, la première s’appuie particulièrement sur des faits empruntés à l’histoire des infusoires, la seconde sur l’existence des vers intestinaux. Peut-être un jour traiterons-nous avec détail cette grande question de la génération spontanée, et montrerons-nous comment les expériences de Schwan et de Henle ont démontré le transport des germes dans les infusions que ne protégeaient pas les perfectionnemens dus à la science moderne. Bornons-nous aujourd’hui à constater que ces germes seuls engendrent les animalcules que Spallanzani et tant d’autres ont cru produits de toutes pièces, et que la moitié des argumens invoqués en faveur de la génération équivoque sont par là même anéantis. Restent ceux que l’on emprunte à l’histoire des helminthes et surtout à l’isolement de certaines espèces, à l’absence chez elles d’appareil reproducteur, à leur existence dans les cavités closes et jusque dans l’intimité des tissus. Ces argumens sont-ils mieux fondés que les autres, et, par une exception désormais reconnue pour être unique, certains helminthes, sinon tous, naissent-ils spontanément là où les rencontre le scalpel ? C’est de l’embryogénie seule qu’on pouvait attendre une réponse à cette question, et depuis plusieurs années bien des efforts avaient été tentés pour résoudre cette dernière difficulté. En France M. Dujardin, en Allemagne MM. Bojanus, Baër, Kœlliker, Nordmann, Siebold, Wagner, etc., avaient découvert des faits nombreux et importans, mais isolés. Pas un helminthe n’avait été suivi, même dans les premiers temps de son évolution. À chaque instant, on se heurtait à des espèces agames, et pour expliquer leur existence c’est à peine si, il y a vingt ans, les naturalistes les plus hardis admettaient qu’il pourrait bien y avoir ici à tenir compte de métamorphoses comparables à celles des insectes [40]. Voici où en était la science vers 1840. On ne savait absolument rien de l’embryogénie des cystiques ni des cestoïdes. Quant aux trématodes, on disait : Dans les viscères des mollusques d’eau douce se produisent, on ne sait comment, des sporocystes, espèces d’enveloppes vivantes pourvues d’un tube digestif parfaitement caractérisé, mais toujours dépourvues d’organes reproducteurs. Les sporocystes produisent à la fois de nouveaux corps semblables à eux-mêmes et des germes qui se développent en cercaires, animaux ayant à peu près la forme de têtards, pouvant vivre librement dans l’eau, mais toujours également neutres. Ces cercaires sont les parasites nécessaires des sporocystes. Après s’être développés à l’intérieur de ces derniers, les cercaires en rompent les parois, s’enkistent à peu près comme les insectes diptères dont nous avons parlé dans un chapitre précédent, et terminent leur courte existence dans la prison dont elles se sont entourées. — D’après cette façon d’interpréter les faits observés, un animal sans sexe, venu on ne sait d’où, produisait par gemmation à la fois des êtres semblables à lui et des êtres d’une nature toute différente, lesquels ne se seraient jamais propagés directement. — Il est inutile de faire ressortir ce qu’avaient de vague et d’évidemment incomplet de semblables notions. Par sa théorie de la génération alternante, Steenstrup porta le flambeau au milieu de ces ténèbres, qui semblaient s’épaissir par suite même des efforts tentés pour les dissiper. Fort des recherches de ses devanciers et des siennes propres, il rangea franchement les distomes, helminthes du groupe des trématodes, à côté des corynes et des méduses sous le rapport du mode de reproduction. Le savant danois montra, dans les corps étranges qu’on désignait sous le nom de sporocystes, de véritables nourrices de trématodes, dans les cercaires les larves de ces mêmes trématodes. À partir de ce moment, l’histoire de ce groupe commença à s’éclaircir. En 1850, M. van Bénéden fit imprimer un mémoire fort important dans lequel, en s’appuyant sur l’observation directe, il annonçait que les vers cystiques ne sont autre chose que des scolex de cestoïdes [41]. Peu après, M. Kiichenmeister publia ses premières expériences, et démontra expérimentalement ce fait si important et si nouveau. En 1853, ces deux auteurs, répondant à l’appel de l’Académie des Sciences, complétèrent leurs recherches précédentes en conservant chacun son point de vue particulier, et sur bien des points essentiels ils se confirmèrent l’un l’autre. En outre, M. van Bénéden aborda l’étude des trématodes et de quelques autres groupes. Depuis cette époque, de nouveaux faits se sont produits. MM. Gastaldi [42], Filippi [43], Siebold [44], ont ajouté à ce que nous savions sur les distomes ; MM. Lewald, Siebold, Wagener [45], van Bénéden, Leucfcart, etc., ont répété et étendu les expériences de M. Küchenmeister, et, grâce à l’ensemble de ces travaux, nous pouvons aujourd’hui tracer, sinon l’histoire particulière de chaque espèce, du moins l’histoire générale de ces êtres, naguère encore si mystérieux. Parlons d’abord des trématodes, et prenons pour exemple quelqu’une de ces espèces voisines du monostome changeant ou du distome militaire [46], qui ont été l’objet des études de MM. de Siebold et van Bénéden. — La description générale des trématodes, que nous avons donnée tout à l’heure, suffit pour qu’on ait une idée de ces animaux ; on peut se les figurer comme de petites sangsues, vivant à l’intérieur de certains mollusques d’eau douce. Or, dans le corps même de ces helminthes, on trouve des centaines d’œufs dont le vitellus a déjà subi ses premières transformations, et est devenu une larve ciliée. Celle-ci quitte ses enveloppes, nage quelque temps à l’état de liberté, et arrive dans le corps d’un mollusque. Là, elle se fixe, semble se décomposer, et laisse à sa place un très petit corps ovoïde qui a germé dans son intérieur. Ce corps, considéré comme un parasite nécessaire par les auteurs allemands, comme un organe énigmatique par M. Dujardin, grandit, s’allonge, et acquiert en arrière deux appendices latéraux. C’est la le sporocyste de Baër. À son appareil digestif bien caractérisé, pourvu d’un oesophage musculeux et d’un intestin bifurqué, à ses mouvemens de reptation, il est impossible de ne pas le reconnaître pour un animal. Cet animal n’a pas d’organe reproducteur ; en revanche, toute la surface interne de son corps est susceptible de produire des germes. Ceux-ci tombent dans la cavité générale à l’intérieur de laquelle ils ont pris naissance, se développent, et deviennent tantôt des sporocystes semblables au premier et tantôt des cercaires. Les cercaires, longtemps prises pour des infusoires, ressemblent à de petits têtards, au corps ovale, armé d’une longue queue servant à la natation. Chez elles, l’organisation se complique et tend à se compléter. À un tube digestif, dont la forme rappelle déjà celle du futur distome, viennent s’ajouter des organes sécréteurs, des crochets, etc., mais on ne trouve encore aucune trace d’appareil reproducteur, Quand elles ont pris tout leur accroissement, les cercaires rompent les parois du sporocyste où elles sont nées et se répandent dans l’eau, où elles vivent quelque temps à la façon des infusoires. Puis vient pour elles le temps de la métamorphose. Elles s’attachent alors à quelque mollusque, pénètrent dans son intérieur, perdent leur queue et s’enkistent à peu près comme les stratiomes, dont nous avons fait l’histoire en racontant les métamorphoses des insectes. Leur organisme devient le siège d’un travail de refonte comparable en tout point à celui dont nous avons parlé à propos de ces diptères, et dont le résultat le plus remarquable est l’apparition d’un double appareil de reproduction. Peu à peu le distome acquiert tous ses caractères, et bientôt il ne lui reste qu’à rompre sa coque pour mener la vie étrange à laquelle il est destiné. Il est impossible de ne pas reconnaître ici tous les caractères de la généagénèse la plus franche, mais compliquée de phénomènes qui sont du ressort de la métamorphose proprement dite. De chaque œuf sort une larve ciliée produisant par gemmation interne un sporocyste. Celui-ci, par le même procédé, engendre à la fois de nouveaux sporocystes et des cercaires, c’est-à-dire des générations à développement tantôt moins, tantôt plus avancé. Chaque cercaire passe en outre par des états comparables à ceux qui caractérisent l’évolution d’un insecte. Elle est d’abord libre et mobile comme la larve du stratiome ; elle s’enkiste comme cette dernière, et par un procédé très analogue ; elle devient immobile, et passe pour ainsi dire à l’état de chrysalide. Alors elle subit un remaniement organique comparable à tous égards à celui qui métamorphose la nymphe du diptère en insecte parfait. Enfin dans les deux cas le terme des changemens s’annonce par le développement de l’appareil qui seul assure la reproduction par œufs. Si nous appliquons à nos trématodes la nomenclature adoptée déjà pour les autres groupes dont nous avons parlé, nous dirons : La larve ciliée est le scolex du distome ; le sporocyste en est le strobila. Chaque cercaire est un proglottis ; mais ici les proglottis, avant d’arriver à l’état de distome parfait, subis sent les métamorphoses proprement dites, toutes semblables à celles des insectes en général, des diptères en particulier. Une circonstance bien curieuse vient compliquer encore ces phénomènes, déjà si complexes. Nous avons vu des insectes vivre d’abord dans l’eau à l’état de larves, puis dans l’air, quand des métamorphoses successives les ont amenés à l’état d’animaux parfaits. Selon la période d’existence à laquelle ils sont parvenus, ces insectes habitent donc des milieux, des mondes différens. Les trématodes présentent des faits tout semblables ; seulement les milieux, les mondes par lesquels doit passer l’helminthe pour se placer dans les conditions nécessaires au progrès de son développement sont autant d’espèces animales distinctes. Il faut qu’il aille de l’une à l’autre, et ces migrations s’accomplissent le plus souvent par un procédé aussi simple qu’inattendu. Le parasite subit les chances de l’individu qui le porte. Lorsque celui-ci est mangé par quelque autre animal, l’helminthe l’est en même temps et voyage ainsi avec les alimens dont il fait en quelque sorte partie. Suivant que sa nouvelle habitation convient ou non à sa nature, il meurt et est digéré, ou bien il résiste à l’action dissolvante des liquides qui le baignent, et entre dans une nouvelle phase de développement. Par exemple, un œuf de distome, tombé sur la feuille de quelque végétal aquatique, est avalé par un limnée ou une paludine ; il éclot à l’intérieur du mollusque et en gendre un scolex (larve ciliée), qui produit sur place son strobila (sporocyste). De celui-ci sortent plusieurs proglottis (cercaires) qui d’abord nagent quelque temps autour de l’animal où elles ont pris naissance. Quand arrive le moment de leur métamorphose, celles qui se fixent sur les pierres, les feuilles, etc., ne tardent pas à périr, mais toujours quelques-unes ont rencontré des larves d’insectes ou des mollusques appropriés à leur nature, ont percé leurs tégumens et ont placé leur coque dans des conditions convenables. Elles restent là jusqu’au moment où leur hôte temporaire est à son tour avalé par quelque grenouille ou quelque oiseau d’étang, et c’est dans ce dernier seulement que le jeune distome acquiert ses caractères définitifs et complète son organisation. Ces migrations singulières, accomplies par un procédé si bien fait en apparence pour amener la mort des helminthes, se retrouvent chez les cestoïdes et les cystiques. Ici elles ont pu être constatées par des expériences directes, et le résultat de ces expériences a été de montrer que ces deux groupes, presque universellement admis comme distincts jusqu’à ces derniers temps, n’en formaient en réalité qu’un seul, de prouver que les prétendus helminthes cystiques ne représentaient qu’une phase du développement des cestoïdes. L’honneur d’être arrivé à cette conclusion à la suite d’observations et de recherches poursuivies avec une rare constance appartient à M. van Bénéden ; celui de l’avoir démontrée par des expériences précises revient à M. Kûchenmeister [47]. Grâce aux travaux de MM. van Bénéden et Küchenmeister, nous possédons aujourd’hui du développement et des migrations de tous ces êtres une histoire générale, accueillie d’abord avec quelque doute, mais que des faits chaque jour plus nombreux nous semblent de plus en plus devoir faire regarder comme l’expression de la vérité. D’après le naturaliste belge, chaque œuf de ténia donne naissance à un protoscolex ayant la forme d’un petit animal à corps presque homogène où l’on ne distingue, à vrai dire, que six crochets, ou mieux six aiguillons très aigus disposés en trois groupes [48]. Les deux aiguillons du milieu, réunis comme une lancette, perforent les tissus placés devant eux ; les deux paires latérales, prenant leur point d’appui sur l’ouverture ainsi pratiquée et se rabattant en arrière, poussent l’embryon en avant, à peu près comme les bras d’un homme qui se hisserait à travers une trappe étroite. Ces jeunes cestoïdes cheminent ainsi devant eux par une impulsion tout instinctive. Il en périt toujours un grand nombre en route, mais quelques- ns arrivent jusque dans l’organe qui leur convient, et là ils se transforment en une vésicule sur laquelle germent par généagénèse des têtes de ténia qui sont autant de deutoscolex [49]. Quand l’animal où se sont passés ces premiers phénomènes est mangé par un autre, la vésicule disparaît, les têtes de ténia restent isolées, et alors en arrière de chacune d’elles se développe le cestoïde proprement dit. Celui-ci est d’abord lisse ; mais bientôt il se segmente, et chaque segment est en réalité un animal, un individu distinct réunissant les deux sexes. Quand ce segment est suffisamment développé, quand son appareil reproducteur est rempli d’œufs fécondés, il se détache, est expulsé au dehors et ne tarde pas à mourir. Les milliers d’œufs qu’il renfermait, entraînés par les vents, mêlés à la poussière, sont disséminés en tout sens. L’immense majorité périt. Un bien petit nombre de ces germes seulement est avalé par quelque animal dont l’organisation se prête à leur développement, et chacun d’eux devient le point de départ d’un nouveau cycle de transformations et de migrations. On voit que les ténias, regardés jusqu’à ce jour par la majorité des helminthologistes comme des animaux simples, sont en réalité non-seulement des animaux composés, mais encore de véritables strobila, et que chacun de leurs prétendus articles est un proglottis. Bien des expériences ont confirmé ces vues du savant de Louvain. Prenons pour exemple le cœnure cérébral (cœnurus cerebralis). Cet helminthe, connu depuis bien longtemps, était regardé comme se développant, on ne savait par quel procédé, au milieu même de la substance du cerveau des moutons. C’est la présence de cet hôte incommode qui détermine chez nos bêtes à laine la maladie connue sous le nom de tournis. Le cœnure ressemble à une ampoule demi-transparente, remplie de liquide et ayant parfois la grosseur d’un œuf ; sur sa surface et en continuité de tissu avec ses parois, on trouve un nombre variable de têtes très semblables à celles d’un ténia. Le cœnure est donc un cystique. Chez lui pas plus que chez toutes les espèces de cet ordre, on n’aperçoit la moindre trace d’appareil reproducteur. Comment donc peut-il se multiplier ? C’est le problème qu’a résolu M. Küchenmeister. Guidé par ses expériences antérieures, il a fait manger des cœnures à un chien, et bientôt dans les intestins de ce dernier on a trouvé un ténia qui jusqu’à ce jour, au dire de l’auteur, n’aurait été rencontré que chez le loup [50]. Puis, quand ce dernier helminthe a été bien développé, l’expérimentateur a donné à des moutons des segmens de ce ténia dont les œufs montraient déjà les embryons à six crochets. Au bout de quelques jours, ces moutons ont été attaqués du tournis. On les a tués alors, on leur a ouvert le crâne, et on a trouvé dans leur cerveau des cœnures à divers degrés de développement. En réalité, M. Küchenmeister avait semé des ténias dans le chien en lui donnant des cœnures, et des cœnures dans les moutons en leur donnant des segmens mûrs de ténia. Les partisans de la génération spontanée disaient : — Comment expliquer, en dehors de cette doctrine, l’existence de tant d’intestinaux, toujours dépourvus d’organes reproducteurs et apparaissant au cœur même de nos tissus, dans les muscles (cysticerque), dans le cerveau (cœnure) ?… Grâce aux travaux des habiles naturalistes dont nous avons raconté trop succinctement les recherches, nous pouvons aujourd’hui leur répondre : — Toutes ces prétendues espèces agames ne sont que les phases diverses du développement d’espèces sexuées. Déjà dans quelques cas on a suivi les changemens de toute sorte que celles-ci subissent pour passer de l’état de germe à l’état d’animal complet, et l’analogie autorise à penser qu’il en est de même des autres. C’est là un résultat des plus importans. Le dernier argument invoqué en faveur des générations équivoques tombe pour ne plus se relever, et nous pouvons répéter avec toute certitude le magnifique aphorisme de Harvey : — Tout être vivant vient d’un œuf. — Mais pour se développer tout œuf doit être fécondé : l’élément mâle est aussi nécessaire que l’élément femelle, et par conséquent tout être vivant a son père et sa mère. Un père, une mère, un œuf, voilà dans l’état actuel des choses l’origine de tout animal. Les phénomènes de la généagénèse masquent, sans jamais l’altérer au fond, cette grande vérité. C’est ce que nous espérons démontrer pleinement dans la dernière partie de ce travail. ◄ III V ► ▲ Voyez la livraison du 1er juin. Dans l’ouvrage où il caractérise ces groupes, — la Génération alternante et la Digénèse, — M. van Bénéden rapporte au troisième quelques espèces qui me paraissent devoir rentrer dans le deuxième ; il place dans le dernier les pucerons, dont la généagénèse est bien plus simple que celle des méduses et des intestinaux, etc. Avec MM. Owen, Steenstrup, van Bénéden, etc., j’ai regardé la reproduction agame des pucerons comme due à un phénomène de gemmation interne. Les recherches de plusieurs naturalistes semblent en effet démontrer que les corps reproducteurs qui se développent pendant l’été dans les pucerons privés d’ailes sont de simples bourgeons caducs. Toutefois un savant allemand bien connu par d’importans travaux, M. Leydig, a cru reconnaître, il y a trois ou quatre ans, que ces corps sont de véritables œufs. Dans ce cas, il s’agirait, non plus de la généagénèse, dont nous parlons en ce moment, mais de la parthénogenèse, dont il sera question plus tard. L’ordre des hyménoptères renferme tous les insectes à quatre ailes membraneuses qui se rapprochent de l’abeille. Les ptéromaliens forment une famille dans cet ordre. Les coléoptères, vulgairement scarabées, ont une seule paire d’ailes membraneuses recouvertes à l’état de repos par des élytres cornées. Mémoire sur l’Embryogénie des Annélides, par M. Milne Edwards, Annales des Sciences naturelles, 1845. Les lecteurs de la Revue connaissent déjà les curieux phénomènes que présente la reproduction des myrianes et des syllis. (On peut voir à ce sujet la livraison du 15 février 1846). Voyez aussi notre Mémoire sur la Génération alternante chez les Syllis. — Annales des Sciences naturelles, 1844. Observations sur le Développement et les Métamorphoses des genres campanulaire et syncoryne. Ce travail, publié d’abord en suédois, a été traduit en allemand et en français. — Annales des Sciences naturelles, 1841. Ueber den Generationswechsel. Corallenthiere des Rothen Meeres, 1834. Mémoire sur le Développement des Méduses et des Polypes hydraires, 1845, Annales des Sciences naturelles. J’ai fait connaître avec quelque détail les résultats principaux de ce beau travail dans un de mes articles intitulés Souvenirs d’un Naturaliste, Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1845. Mémoires de l’Académie de Bruxelles, 1843 et 1844. Lettre sur la Génération médusipare des Polypes hydraires, 1849, Annales des Sciences naturelles. Je regrette de ne pouvoir reproduire ici bien des passages de ce mémoire, en particulier de ne pouvoir exposer les différences qui existent entre les observations de M. Desor et celles de M. Saars relativement au développement des aurélies. M. Desor a vu entre autres les proglottis, c’est-à-dire les méduses bien caractérisées, se former par bourgeonnement à l’intérieur du scyphistoma, c’est-à-dire à l’intérieur de la méduse encore à l’état hydraire, et sortir empilés par la bouche du polype qui persiste après leur séparation totale. Comme il s’agit ici de faits simples et d’une observation aisée, il me semble que les deux naturalistes pourraient bien avoir raison et qu’une différence d’espèces suffit pour expliquer leurs apparentes contradictions. Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1845. Océan und Midlmeer, 1848. Mémoire sur la Structure des Physalies et des Siphonophores en général, 1851, traduit dans les Annales des Sciences naturelles, 1852. Ce premier mémoire de Leuckart avait été fait sur des animaux conservés dans l’alcool. L’auteur l’a depuis complété et étendu dans un nouveau travail qui forme la première partie de ses Zoologische Untersuchungen, 1853. Sur la structure des acalèphes, journal l’Institut, 1851. Die Schwimmpolupen oder Siphonophoren von Messina, 1858. Beilrœge zur nähren Kenntniss der Schwimmpolypen, 1854. Mémoire sur l’Organisation des Physalies, Ann. des Sc. naturelles, 1854. Recherches sur les Animaux inférieurs de la Méditerranée, premier mémoire sur les Siphonophores de la mer de Nice. 1854. Les travaux de Grant remontent à 1826 et ont paru dans le New Edinburgh philosophical Journal. L’existence des corps reproducteurs chez les infusoires a été vivement niée et alarmée à diverses reprises et par plusieurs naturalistes. Malgré les perfectionnemens immenses apportés depuis vingt ans au microscope, la discussion dure encore, l’excessive petitesse des objets, les difficultés extrêmes d’une observation suivie, la rapidité des phénomènes, ou leur grande lenteur sous l’empire de circonstances restées inconnues, retarderont longtemps encore la solution définitive de ce problème. Toutefois mes observations personnelles en ce point s’accordent parfaitement avec celles qu’ont publiées MM. Ebrenberg, Pouchet, et plus récemment MM. Focke et Jules Haime. Je crois donc à la réalité de ces germes, dont l’existence n’est nullement incompatible avec les phénomènes découverts par MMi Stehv Pineau, etc. Bien au contraire, en admettant que ces observateurs ont eu sous les yeux les phases différentes d’un développement généagéoétique, on fait aisément rentrer dans un groupe de faits de mieux eu mieux connus les phénomènes en apparence les plus anormaux. Annales des Sciences naturelles, troisème série, 1845, 1848. L’Institut, 1849. Recherches sur le développement des vorticelles comparé à celui des grégarines. Ce mémoire, publié en 1852 dans le Zeitschrift fur Wissenschaftliche Zoologie, a été traduit en anglais et en français dans les Annales des Sciences naturelles, 1852. Les premières recherches de Stein remontent à 1849. M. Pineau, partisan de la génération spontanée, a cru que ces actinophrys provenaient de la transformation immédiate des matières en putréfaction en animaux vivans. C’est un des points sur lesquels Stein l’a combattu avec raison. Ce noyau (nucleus) existe chez un très grand nombre d’infusoires, mais non pas chez tous, comme semblent le croire quelques naturalistes. Il parait jouer un rôle très important dans tous les phénomènes qui se rattachent à la division spontanée. Je ne l’ai pas trouvé chez les espèces les plus manifestement élevées en organisation. Peut-être pourra-t-il servir d’indice précieux, en ce que sa présence suffirait pour caractériser une larve, tandis que son absence annoncerait la présence, sinon d’un infusoire parfait, au moins d’un animal très avancé dans la voie de ses transformations. Observations sur les Métamorphoses et l’Organisation de la Trichoda lynceus, 1853, Annales des Sciences naturelles. J’aurais aimé à compléter cette esquisse des travaux sur la généagénèse des infusoires par l’exposé succinct des curieuses recherches de M. Focke sur l’embryogénie des navicules ; mais d’une part l’exposé des phénomènes devient ici plus difficile encore, et d’autre part les résultats auxquels est arrivé l’auteur ont peut-être besoin, de confirmation. (Voyez notre Rapport sur les Études physiologiques de M. Focke, Comptes-Rendus de l’Académie des Sciences, 1885.) J’en dirai à peu près autant des travaux, d’ailleurs si intéressans, de M. Stein sur la multiplication des grégarines Un mémoire récent a jeté du doute sur plusieurs faits que ce savant paraissait regarder comme de montrés. (Rapport de M. van Bénéden sur deux mémoires envoyés au concours de 1853, Bulletin de l’Académie royale de Belgique.) Mémoire sur le Développement des Astéries, traduit dans les Annales des Sciences naturelles, 1844. L’Institut, 1845. Observations sur le Développement des Oursins, dans les Annales des Sciences naturelles, 1847. Observations sur les Phénomènes qui accompagnent la formation de l’embryon chez l’oursin comestible, 1848, Annales des Sciences naturelles. Observations sur la Bipinnaria asterigera, imprimé en suédois en 1847, traduit la même année en français. Ueber die Larven und Métamorphose der Echinodermen. Six fascicules ont paru à divers intervalles. Ils ont été analysés avec beaucoup de soin par M. Dareste dans les Annales des Sciences naturelles, 1852,1853. Ce mode de reproduction n’est pourtant pas général dans la classe des échinodermes. Certaines espèces d’ophiures, animaux très voisins des astéries, sont ovovivipares. C’est là un fait dont je me suis assuré dès 1842 (Comptes-Rendus hebdomadaires de l’Académie des Sciences). J’ai retiré du ventre d’une seule mère jusqu’à six petits parfaitement formés, et qui, placés dans mes vases remplis d’eau de mer, y ont vécu comme s’ils étaient nés naturellement. Les travaux mêmes de mes confrères, qui ont rencontré des phénomènes si différens dans d’autres espèces, donnent, je crois, plus d’importance à cette observation. Nous voulons pourtant signaler au moins ce fait si exceptionnel d’un animal destiné à devenir rayonné, et qui commence par se caractériser en animal bilatéral comme un annelé. C’est la seule exception connue à une règle d’embryogénie sur laquelle nous avons souvent insisté ici même, et surtout dans la livraison du 1er janvier 1847. Un naturaliste dont je regrette de ne pas avoir connu le travail quand j’ai commencé cette étude, M. Edouard Claparède, est arrivé, en ce qui touche les échinodermes, à une conclusion à peu près semblable à celle qu’on vient de lire, bien que nous soyons l’un et l’autre à un point de vue très différent (Bibliothèque de Genève, 1854). Je me hâte d’ajouter que les articles de l’écrivain genevois m’ont seuls appris l’existence d’un mémoire de M. Leuckart sur les métamorphoses et la génération alternante. Saurais eu à discuter ce travail en parlant de la métamorphose proprement dite et à signaler dans la manière d’envisager ce phénomène plusieurs points de rapport entre ma manière de voir et celle du naturaliste allemand. Je dois dire entre autres qu’il avait avant moi signalé l’insuffisance des matériaux assimilables comme cause immédiate de ce phénomène ; mais M. Leuckart parait regarder cette cause comme suffisant pour tout expliquer, et en cela il me semble avoir été trop absolu (Ueber Métamorphose, Ungeschlechtlige Vermehrung, Generationswechsel, 1851, Zeitschrift fur Wissenschaftliche Zoologie). Je reviendrai d’ailleurs sur ce travail de M. Leuckart. Dans sa séance du 22 mars 1852, l’Académie des Sciences avait mis au concours pour le grand prix des sciences physiques à décerner en 1853 la question suivante : « Faire connaître par des observations directes et des expériences le mode de développement des vers intestinaux et celui de leur transmission d’un animal à un autre ; appliquer à la détermination de leurs affinités naturelles les faits anatomiques et physiologiques ainsi constatés. » Les difficultés extrêmes que présentait cette question, le peu de temps accordé pour la résoudre pouvaient faire redouter l’absence de tout concurrent ; mais deux naturalistes préparés de longue main répondirent à l’appel de l’Académie. MM. van Bénéden, professeur de zoologie à l’université de Louvain, et Küchenmeister, médecin à Zittau, envoyèrent, le premier un véritable ouvrage, où l’histoire des helminthes était traitée sous presque tous ses rapports et qu’accompagnait un atlas contenant près de mille figures originales, — le second un mémoire très important également accompagné de planches. Sur un rapport très développé que nous présentâmes au nom de la commission chargée de juger ce concours, l’Académie décerna à M. van Bénéden le prix et à M. Küchenmeister une mention très honorable. Elle décida en outre que l’ouvrage de M. van Bénéden serait imprimé à ses frais ; mais l’étendue même de ce travail en a retardé la publication, et il est resté inédit jusqu’à ce jour. Voir les Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, 1853. Les observations de M. Ch. de Siebold sur le monostome changeant [monostomum mutabile) datent de 1835. Ce sont elles qui ont ouvert la voie à un ensemble de découvertes déjà considérable, et qui s’accroît chaque jour. Les Vers cestoïdes ou acolyles considérés sous le rapport de leur classification, de leur anatomie et de leur développement. Cenni sopra alcuni nuovi elminti della rana esculenta, 1854. Mémoire pour servir à l’histoire génétique des trématodes dans les Mémoires de l’Académie de Turin, 1854. Ce mémoire a été reproduit dans les Annales des Sciences naturelles, quatrième série, t. II. — Deuxième mémoire sur le même sujet, 1855. Mémoire sur le Leucochloridium, 1854. — Mémoire sur la reproduction des Helminthes en général, 1854, traduit dans les Annales des sciences naturelles, 1855. Die Entwicklung der Cestoden nach eigenen Untersuchungen, 1854. Les distomes et les monostomes sont des genres appartenant à l’ordre des trématodes. Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, 1853, et Annales des Sciences naturelles, quatrième série, t. Ier. Notice sur le ténia dispar et sur la manière dont les embryons de cestoïdes pénètrent à travers les tissus. — Bulletin de l’Académie royale de Belgique, 1854. Dans ce tableau du développement des cestoïdes, dont le fond appartient incontestablement à M. van Bénéden, nous réunissons le résultat des recherches de ce savant aux résultats obtenus par M. Küchenmeister. C’est ce dernier qui a vu les vésicules d’abord simples donner naissance par gemmation à des têtes de ténia. La détermination des espèces ainsi obtenues présente encore quelques obscurités que n’a pu entièrement dissiper le dernier travail de M. de Siebold, et sur lesquelles M. Valenciennes a insisté avec une autorité que je suis le premier à reconnaître [Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, 1854) ; mais ces difficultés de détail ne me paraissent infirmer en rien les résultats généraux dont j’ai cherché à donner une idée.