La constitution du soleil d’après de récentes recherches R. Radau Revue des Deux Mondes T. 15, 1876 LA CONSTITUTION DU SOLEIL D’APRÈS DE RÉCENTES RECHERCHES __________ I. Le Soleil, par le père A. Secchi, S. J. 2e édition, Paris 1876. — II. La Constitution physique du soleil, par M. Faye, de l’Institut, 1874. ________________ Les beaux jours de l’astronomie descriptive semblent revenus. Délaissée longtemps par les observatoires pour une besogne moins attrayante peut-être, mais plus urgente, — l’inventaire des astres sans nombre et la détermination exacte de leurs positions sur la sphère céleste, l’étude des mouvemens de la lune et de toutes les planètes, — elle a repris faveur depuis que des moyens d’observation nouveaux promettent des découvertes d’un ordre capital. La certitude du succès a multiplié le nombre des volontaires désireux de contribuer d’une manière sérieuse au progrès de notre connaissance de l’univers. En Italie, où la sérénité du ciel semble inviter à ce genre d’études, on a vu se fonder, il y a peu d’années, la Société des spectroscopistes, qui se donne pour tâche de surveiller le soleil et d’en dessiner jour par jour les changeans phénomènes, — tâche pénible et vaste, dont l’illustre directeur de l’observatoire du Collège romain, le révérend père Secchi, a été quelque temps presque seul en Italie à porter le poids. En Angleterre et en France, en Amérique, en Allemagne, l’analyse spectrale appliquée aux corps célestes n’a cessé de se développer entre les mains des Janssen, des Lockyer, des Huggins, des Young, des Rutherfurd, de tant d’autres qui se sont jetés avec ardeur dans la carrière nouvelle ouverte, par l’apparition de cette admirable méthode. Dans toutes les parties du monde, des observatoires spéciaux sont voués à l’étude régulière de l’astre qui si longtemps s’est dérobé à nos investigations sous son voile de lumière. I Ce qui en effet a empêché les astronomes des siècles derniers d’étudier le soleil d’une manière suivie, ce qui en rend toujours encore l’observation difficile, c’est sa lumière trop forte pour des yeux humains. À l’horizon seulement, où d’épaisses vapeurs éteignent l’éclat de ses rayons, nous pouvons le contempler sans danger, et c’est ainsi que des taches exceptionnellement larges ont été vues de temps en temps sur le disque du soleil aux époques les plus anciennes ; les annales des Chinois mentionnent jusqu’à quarante-cinq cas de ce genre. Galilée lui-même, lorsqu’il essaya sur les astres du ciel le pouvoir magique de sa première lunette, n’osa affronter le soleil qu’au moment du coucher : encore les observations qu’il lit ainsi devaient-elles finir par lui coûter la vue. Le père Scheiner, qui découvrit le phénomène des taches solaires à Ingolstadt en 1611, pendant que Galilée de son côté les montrait tous les jours aux lettrés de Rome dans le jardin Bandini, avait trouvé un autre moyen de se garantir de l’éclat du soleil : il interposait entre l’œil et l’oculaire de la lunette un épais verre bleu. Plus tard, il imagina de projeter l’image du soleil, formée par la lunette, sur un écran de papier blanc. Enfin l’astronome hollandais Jean Fabricius, qui avait devancé Scheiner et Galilée de quelques mois dans la découverte des taches, recevait l’image solaire dans une chambre obscure, à travers un trou circulaire pratiqué dans le volet. Tant qu’on ne se sert que d’une lunette de dimensions modérées, les verres de couleur, épais et d’une teinte foncée, sont d’un emploi commode, bien qu’ils ne garantissent pas toujours l’œil d’un éblouissement plus ou moins persistant, et que la chaleur concentrée des rayons solaires les fasse souvent éclater, de sorte qu’il faut toujours avoir une provision de verres de rechange. On ne tarda donc pas à reconnaître certains détails de la structure des taches, à distinguer le noyau noir de la pénombre grise qui l’entoure, à remarquer les facules ou points brillans dont les environs des taches sont parsemés ; mais pendant deux siècles on n’alla guère plus loin. C’est qu’en effet les anciennes lunettes étaient trop faibles pour montrer beaucoup de détails, et lorsqu’on faisait plus tard usage d’instrumens puissans, on ne savait rendre la chaleur et la lumière supportables, même pour un œil protégé par un verre bleu, qu’en réduisant notablement l’ouverture de l’objectif par un diaphragme ou écran circulaire, qui faisait perdre une partie des avantages des grands instrumens et nuisait à la netteté de l’image. Dans une bonne lunette, l’image d’une étoile se réduit à un point lumineux ; mais, lorsqu’on a recours à un diaphragme, ce point devient un petit disque d’autant plus sensible que le diaphragme est plus étroit. Il en est de même dans le cas du soleil : chaque point étant dilaté, il en résulte une image plate et confuse où les détails sont comme noyés. On n’est parvenu à dégager ces détails que depuis qu’on s’est décidé à employer l’ouverture entière des grands instrumens ; mais il a fallu auparavant trouver des moyens plus efficaces que les verres de couleur pour atténuer la chaleur et l’aveuglante lumière du soleil. William Herschel avait essayé de remplacer les verres colorés par des liquides, il avait employé entre autres un mélange d’eau et d’encre ; mais la chaleur y provoquait des mouvemens tumultueux qui troublaient la vision. Son fils, sir John, proposa d’observer le soleil avec un télescope à miroir de verre non étamé. Grâce au faible pouvoir réflecteur du verre, on devait ainsi obtenir une image beaucoup moins vive et susceptible d’être examinée à travers un verre bleu. Ce procédé a été récemment employé par M. Chacornac. À son tour, Léon Foucault a proposé d’argenter la surface antérieure de l’objectif d’une lunette ; ce dernier ne laisse plus dès lors passer qu’une très faible proportion des rayons incidens, et donne une image très douce et agréable à l’œil ; mais les astronomes se décident difficilement à sacrifier ainsi un objectif qui a coûté 20 000 ou 30 000 francs. Il est plus avantageux d’employer des oculaires spéciaux comme celui de sir John Herschel, qui ne laisse arriver à l’œil qu’une fraction de la lumière incidente réfléchie par un prisme de cristal, ou mieux encore un oculaire polariscopique. On dit qu’un rayon lumineux est polarisé lorsque toutes les vibrations se font dans un même plan. Quand on a obtenu ce résultat par un artifice quelconque (par exemple à l’aide d’une première réflexion), le rayon est en quelque sorte désarmé : il suffit maintenant de lui présenter un miroir sous un angle convenable pour l’affaiblir autant qu’on veut par une nouvelle réflexion. Les oculaires polarisans permettent donc d’éteindre la lumière et la chaleur de l’image solaire au degré voulu sans en altérer la couleur ni les détails. Aussitôt qu’on appliqua ces oculaires à de puissantes lunettes, on découvrit que la surface lumineuse du soleil ou la photosphère, loin d’être unie, se compose d’une multitude d’amas, de grumeaux de matière incandescente, séparés par un réseau d’intervalles obscurs. Ce sont des astronomes anglais, MM. Nasmyth, Dawes, Stone, qui ont les premiers reconnu cette structure de la surface solaire il y a quinze ans ; mais déjà William Herschel en avait signalé l’aspect « marbré » ou « rugueux » et constaté l’existence d’une infinité de petits points noirs auxquels il avait donné le nom de pores. M. Nasmyth compare les amas brillans à des feuilles de saule, M. Stone les appelle « des grains de riz ; » chaque observateur a recours à l’image qui lui paraît le mieux traduire ses impressions. D’après le père Secchi, on peut se faire une idée de l’aspect de la surface solaire en regardant sous le microscope du lait un peu desséché quand les globules ont perdu leur forme régulière. La granulation est surtout apparente dans les premiers momens de l’observation ; mais bientôt l’image se trouble, et les détails deviennent moins distincts, parce que l’œil se fatigue en même temps que l’objectif s’échauffe ainsi que l’air contenu dans le tube de la lunette. Le père Secchi attribue à ces grains ou filets brillans une largeur moyenne d’un tiers de seconde, ce qui représente de 200 à 300 kilomètres en mesures itinéraires. Un astronome américain, M. Langley, qui dispose d’une lunette de 33 centimètres d’ouverture, affirme qu’avec de forts grossissemens ces grains se résolvent à leur tour en granules beaucoup plus petits. Sans doute le degré de subdivision apparente ne dépend que du pouvoir des instrumens dont on fait usage. Dans le voisinage des taches, les grains de riz s’allongent, se soudent les uns aux autres, en se groupant perpendiculairement aux bords de la pénombre ; ils offrent alors, d’après M. Dawes, l’aspect des brins de paille enchevêtrés d’un toit de chaume ; pour d’autres, c’est une multitude de petits ruisseaux qui ravinent le talus d’un gouffre où ils vont se déverser. Les éclipses totales de soleil auraient fourni aux anciens astronomes de précieuses occasions d’étudier le contour du bord solaire à l’abri des rayons éblouissans qui, en temps ordinaire, l’empêchent d’être visible, et qui sont interceptés par la lune lors d’une éclipse. Malheureusement ce n’est guère que depuis une trentaine d’années, depuis l’éclipsé de 1842, que l’attention des savans s’est portée de ce côté. Jusqu’alors on se bornait à noter l’instant précis de l’occultation du soleil par la lune, en vue de la rectification des tables astronomiques, et l’on ne se dérangeait point pour aller observer une éclipse dans l’Inde ou en Chine. Les descriptions obscures et confuses qu’un certain nombre d’observateurs anciens avaient données des phénomènes dont ils avaient été témoins n’étaient pas comprises. L’éclipse totale de 1842, dont l’observation avait été préparée de longue main, et qui devait être visible en France, en Autriche et en Italie, fut une véritable révélation : pour la première fois on eut des relations concordantes et précises du phénomène de la couronne, de celui des protubérances roses qui font saillie le long du bord solaire, et l’on se demanda quelle était la signification réelle de ces étranges apparences. Les éclipses suivantes, notamment celle du 18 juillet 1860, pour laquelle les astronomes de tous les pays s’étaient donné rendez-vous en Espagne, et celle du 18 août 1868, qui fut observée dans l’Inde et l’Indo-Chine et qui présentait une durée exceptionnelle (6’ 25"), ont fait faire de grands pas à notre connaissance du soleil. En 1860, le père Secchi et M. Warren de la Rue réussirent à photographier les diverses phases de l’éclipsé, avec l’auréole et les protubérances ; en 1868, M. Janssen reconnut la nature chimique des protubérances et trouva le moyen de les observer en tout temps. Les protubérances avaient d’abord causé tant de surprise que plus d’un astronome en contesta la réalité, et ne voulut y voir qu’une illusion d’optique, un simple effet de diffraction, comme les franges colorées qui se produisent quand la lumière rase les bords d’un orifice étroit. On chercha longtemps le moyen de les voir en dehors des éclipses. On explorait le bord du soleil à l’aide de verres ou de liquides colorés qui devaient éteindre la plus grande partie des rayons du spectre et ne laisser passer que les rayons rosés des protubérances. M. Huggins essaya sans succès une dissolution de carmin dans l’ammoniaque, combinée avec une solution de chlorophylle. Peut-être ce procédé réussirait-il, si l’on découvrait un milieu strictement monochromatique qui ne donnerait passage qu’aux rayons rouges de la raie principale des protubérances. En attendant, grâce à M. Janssen, le problème a été résolu par un tout autre moyen. Cette belle découverte, qui est devenue le point de départ d’un vaste ensemble de travaux sur la physique solaire, a été elle-même une conséquence imprévue des applications de l’analyse spectrale à l’étude des astres. Depuis 1860, le spectroscope était employé à scruter la constitution chimique du soleil ; mais tout se réduisait encore aux inductions qui se tirent des raies noires du spectre solaire, raies que l’on attribue, avec M. Kirchhoff, à une absorption exercée par les vapeurs des diverses substances dont le soleil est formé. On sait que la coïncidence d’un grand nombre de ces stries noires avec les raies brillantes des vapeurs et des gaz incandescens a permis de reconnaître dans le soleil la présence de beaucoup de corps simples connus des chimistes. Pourtant ces raies obscures ne sont, pour ainsi dire, que des épreuves négatives du spectre caractéristique de ces corps ; depuis quelques années, grâce surtout à M. Janssen, on les entrevoit directement par leurs raies brillantes. Pendant l’éclipsé du 18 août, qu’il observait à Gontour, dans l’Inde, M. Janssen avait vu le spectre ordinaire du soleil céder la place à un spectre. gazeux, fourni par la pâle lueur de deux protubérances et composé de cinq raies brillantes dont les principales appartenaient à l’hydrogène ; il en conclut que ces appendices roses sont des nuages d’hydrogène incandescent, et il se promit de revoir les raies lumineuses au grand jour. L’état du ciel l’empêcha de faire une tentative immédiatement après l’éclipsé ; mais le lendemain, en promenant la fente du spectroscope le long du bord solaire, M. Janssen vit quelques-unes des raies noires du spectre ordinaire se prolonger par de fines pointes brillantes, de la couleur des rayons dont les raies noires marquent la place dans le spectre. Ces lignes brillantes n’étaient autres que les raies caractéristiques de l’hydrogène, qu’il avait déjà vues la veille ; elles trahissaient la présence d’une couche d’hydrogène incandescent dont les contours étaient indiqués par la hauteur variable des raies dans les divers points du disque. Comment la faible lumière des protubérances devient-elle visible dans ces conditions malgré l’éclat de la photosphère, qui n’est plus cachée par le disque de la lune, comme pendant l’éclipsé ? L’explication est fort simple : le prisme, qui étale la lumière solaire en un long ruban multicolore, l’affaiblit considérablement par cette dilatation, tandis que les raies brillantes des protubérances, étant à peu près monochromatiques, sont à peine dilatées et par suite ne perdent presque rien de leur intensité. Tandis que M. Janssen découvrait dans l’Inde cet ingénieux procédé d’observation, M. Lockyer, à Londres, le cherchait de son côté et finit par réussir avant que l’astronome français pût faire connaître sa découverte en Europe. Il a donc une part légitime dans la gloire qui s’attache à ce nouveau progrès. Pendant quelque temps, la méthode de M. Janssen fut employée telle que l’inventeur l’avait conçue par les astronomes qui avaient porté leurs efforts sur la physique solaire ; elle ne laissait pas pourtant d’être d’une application tant soit peu pénible. Il a suffi d’une légère modification pour la rendre tout à fait commode et pratique : en élargissant un peu la fente du spectroscope, on voit, non plus les raies, mais les protubérances elles-mêmes, telles qu’elles se montrent pendant les éclipses totales de soleil. Le capitaine Herschel, M. Huggins, M. Zœllner, ont fait ce dernier pas à peu près en même temps ; désormais les bords du disque solaire peuvent être explorés avec la plus grande facilité tous les jours, si le soleil n’est pas complètement caché par les nuages. Une foule d’astronomes, — MM. Zœllner, Huggins, Lockyer, Respighi, Secchi, Tacchini, Winlock et beaucoup d’autres, — dessinent régulièrement les protubérances qui s’aperçoivent autour du soleil. Généralement on les voit rouges, d’un rouge qui correspond à la raie C de Fraunhofer ; mais on pourrait aussi les voir bleues, en dirigeant le spectroscope sur la raie F, ou encore violettes ou jaunes ; l’image rouge est préférée parce qu’elle est plus lumineuse que les autres. La couleur rose ou fleur de pêcher que les protubérances présentent lorsqu’on les étudie à la faveur de l’obscurité des éclipses, résulte du mélange de ces diverses teintes élémentaires. À certaines époques, où il se manifeste dans la fournaise solaire comme un redoublement d’activité, où les taches s’étendent et se multiplient, les protubérances envahissent la plus grande partie du bord de l’astre. Les formes de ces émanations gazeuses sont si variées et en même temps si mobiles, qu’il est souvent difficile de les décrire, et qu’il devient presque impossible de les classer. Parfois ce sont simplement des masses de couleur rouge qui ressemblent à ces gros nuages entassés à l’horizon qu’on appelle des cumuli, ou bien ce sont des brouillards légers, des traînées de fumée légère, qui simulent tout à fait l’aspect d’un ciel pommelé. La forme la plus ordinaire est celle de flammes à structure filamenteuse ; rarement elles montent toutes droites, le plus souvent elles sont courbées comme par un vent violent, quelquefois elles se tordent en spirale. D’autres fois, ces appendices roses ressemblent à de gigantesques fleurs, ou bien ils forment des gerbes, des panachés, des éventails, des rayons, qui font songer à un colossal feu d’artifice. De temps à autre, on voit des nuages isolés, suspendus à une grande hauteur au-dessus de la photosphère, et lançant comme une pluie de feu dans toutes les directions. Rien ne peut donner une idée de la vivacité des teintes que présentent ces masses incandescentes, animées d’une activité intérieure où semble respirer la vie, qui montent et descendent, naissent et disparaissent, se forment et se transforment sans cesse sous les yeux de l’observateur qui les regarde de sa lointaine cachette. Les nuages isolés s’élèvent quelquefois à des hauteurs immenses et tout à fait surprenantes. C’est ainsi que le père Secchi a vu, le 3 avril 1872, un nuage rose dont le bord supérieur était déjà à une distance d’environ 4 minutes d’arc (180 000 kilomètres) du bord solaire, monter en moins d’une demi-heure à 7’29" (320 000 kilomètres), hauteur qui équivaut à un quart du diamètre du soleil ou à vingt-sept fois celui de la terre. Il résulte de ces nombres que pendant près d’une demi-heure la hauteur de cette protubérance s’est accrue d’environ 90 kilomètres par seconde. Il faut d’ailleurs distinguer entre les protubérances calmes et paisibles, faiblement lumineuses, dont les formes persistent assez longtemps, et les protubérances éruptives ou flamboyantes, qui possèdent une vive lumière, se transforment à vue d’œil et n’ont généralement que peu de durée. Les premières semblent composées d’hydrogène pur et d’une substance inconnue qu’on a provisoirement nommée hélium ; les secondes au contraire entraînent à de grandes hauteurs des vapeurs de sodium, de magnésium, de fer, de calcium, etc. Ces éruptions de vapeurs métalliques, d’après le père Secchi et M. Spœrer, ne se montrent que dans la région des taches, c’est-à-dire à moins de 30 degrés de l’équateur solaire. Les jets de gaz embrasés sont parfois lancés avec une force d’impulsion incroyable, à en juger par la vertigineuse vitesse avec laquelle ils s’élèvent et qui, dans certains cas, dépasse 300 kilomètres par seconde (c’est sept cents ou huit cents fois la vitesse d’un boulet de canon) [1]. En quelques instans, on voit parfois des changemens à vue s’opérer dans un espace dont l’étendue dépasse 100,000 kilomètres ; on n’a pas le temps de les dessiner. Une étude attentive fait bientôt reconnaître que les protubérances ne sont, pour ainsidire, que des exagérations d’une couche continue de couleur rose qui enveloppe le soleil de toutes parts et à laquelle M. Lockyer a donné le nom de chromosphère. À vrai dire, on l’avait déjà remarquée pendant les éclipsés : c’est « l’arc rose, » la « sierra » des observateurs de 1860. L’épaisseur apparente de la chromosphère varie beaucoup avec l’état du ciel et la puissance de l’instrument dont on fait usage ; les observations spectroscopiques ne lui assignent que 10 ou 15 secondes, mais pendant les éclipses totales on aperçoit une faible coloration rose jusqu’à des distances beaucoup plus considérables (quelques minutes, d’après M. Respighi). Le contour de cette couche paraît d’ordinaire mal terminé, frangé de flammes petites et fines qui lui donnent un aspect gazonné ; parfois ces flammes se développent davantage, et l’on croirait voir un champ où l’on brûle des herbes après la moisson. Aux époques de calme, cette enveloppe rose s’amincit singulièrement et semble presque disparaître, comme par exemple l’été dernier. Cependant on peut s’assurer qu’elle existe partout, même au-dessus des taches ; elle y paraît plus vive qu’ailleurs. Elle est aussi remarquablement élevée et presque toujours très agitée dans le voisinage des deux pôles solaires. À sa base, la chromosphère a une teinte plus vive : c’est la couche où se rencontrent les vapeurs métalliques. Cette couche n’a pas une seconde (700 kilomètres) d’épaisseur : on la voit apparaître un instant, avec ses nombreuses raies brillantes, à la fin d’une éclipse, au moment où le limbe de la lune va démasquer le bord du soleil ; mais ce n’est qu’un éclair, ces raies brillantes sont aussitôt remplacées par les raies noires du spectre ordinaire quand le premier rayon de la véritable lumière du soleil jaillit derrière la lune. Le spectroscope permet encore de retrouver les plus fortes de ces raies, — celles du fer, du sodium, du calcium, du magnésium, — dans les protubérances qui se distinguent par un vif éclat et qui, d’après le père Secchi, sont de véritables éruptions. Sous un ciel très pur, comme à Palerme, parfois à Rome, ou sur le Mont-Sherman, où M. Young a observé à une hauteur de 2 800 mètres, on réussit même à voir les raies métalliques sur de vastes plages du contour solaire. Les lignes brillantes que le spectre des protubérances renferme toujours, en tout temps, sont les quatre raies de l’hydrogène, qui sont aussi représentées, mais par leurs ombres noires, dans le spectre ordinaire du soleil, et une raie jaune à laquelle ne correspond aucune raie obscure du spectre ordinaire ; on suppose qu’elle appartient à une substance inconnue sur la terre, à laquelle, à tout hasard, on a donné le nom d’hélium. Il ne serait pourtant pas impossible que cette raie fût due à quelque combinaison de l’hydrogène. Les autres lignes brillantes que l’on observe accidentellement, — le catalogue dressé par M. Young en renferme une centaine, — appartiennent à des corps dont la présence était déjà annoncée par les stries noires du spectre ordinaire. Le fer est représenté par 450 raies noires, dont 25 au moins ont été vues renversées, c’est-à-dire brillantes. La présence du titane est attestée par plus de 100 raies, dont une vingtaine peuvent devenir brillantes ; le calcium en fournit 75, le manganèse 57 ; le cuivre, le nickel, le cobalt, le chrome, le sodium, le baryum, le magnésium, sont également représentés par des raies assez nombreuses pour que l’existence de ces corps dans la chromosphère puisse être considérée comme démontrée [2]. Les 33 raies du nickel, enchevêtrées dans les raies du fer, rappellent la constance avec laquelle le premier de ces deux métaux accompagne le second dans les météorites, soit à l’état métallique, soit à l’état de phosphure double de nickel et de fer. Ce qui est curieux, c’est qu’il n’y a pas trace de chlore » de soufre, pas même de carbone, substances que l’on rencontre souvent dans les météorites ; l’oxygène, l’azote, semblent également faire défaut, ainsi que les métaux nobles, l’or, le platine, l’argent. Peut-être l’absence des raies caractéristiques de ces corps tient-elle simplement à la température relativement, basse de la chromosphère. On sait, au surplus, que les métaux nobles font aussi défaut dans les météorites [3]. La photographie est venue à son tour abréger et simplifier la tâche des observateurs. La première application de cet art à l’astronomie a été faite en France : dès 1845, MM. Fizeau et Foucault présentaient à l’Académie des sciences une épreuve photographique du soleil sur laquelle les taches étaient nettement visibles. Vers 1857, M. Warren de la Rue, en Angleterre, réussit à simplifier notablement le procédé, et à partir de l’année suivante son photohéliographe, instrument destiné à la reproduction régulière de l’image solaire, fut installé à l’observatoire de Kew, qui est en quelque sorte l’arsenal scientifique de l’Association britannique pour l’avancement des sciences et de la Société royale de Londres. La lunette du photohéliographe, qu’un mouvement d’horlogerie entraîne de telle manière qu’elle suit le soleil, donne des images de 30 centimètres de diamètre, L’appareil a fonctionné régulièrement jusqu’au printemps de 1872, où se terminait la période pendant laquelle M. Warren de la Rue s’était engagé à faire les frais de ces observations ; il fut alors démonté et réparé, puis transféré à Greenwich. En moyenne, on a eu 170 jours par an où il a été possible de photographier le soleil, et le nombre moyen d’images obtenues chaque année est de 275. Depuis cette époque, l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg a fait installer un appareil semblable à Wilna, et l’observatoire de l’infant dom Luiz, à Lisbonne, a suivi cet exemple. Pour le Collège romain, le père Secchi a également fait construire un appareil photographique qui s’adapte au grand équatorial de cet établissement. Enfin nous savons que M. Warren de la Rue et le père Secchi ont employé, la photographie dès 1860 à la reproduction des phases d’une éclipse totale de soleil ; la comparaison de leurs épreuves a démontré l’identité des protubérances qui sont vues de deux stations différentes. Il paraît toutefois que la photographie devient insuffisante lorsqu’il s’agit de reproduire les détails les plus intimes de la structure des taches, de fixer les fugitives apparences que jusqu’à présent l’œil seul peut saisir [4]. Le père Secchi déclare nettement que les dessins à la main sont plus fidèles, et il cite comme particulièrement remarquables ceux que M. Tacchini, aussi habile dessinateur qu’astronome, exécute à Palerme. Au Collège romain, les dessins sont d’ordinaire faits au blanc de céruse sur fond noir. Ce qu’on a obtenu de plus beau en ce genre, c’est le grand dessin « typique » où M. Langley a réuni les détails les plus caractéristiques d’une tache solaire, et dont les reproductions commencent à se répandre. II On peut dire qu’une ère nouvelle date de la découverte de ces admirables méthodes d’observation, qui vont en se perfectionnant de jour en jour et qui sans doute n’ont point dit leur dernier mot. Déjà l’on voit se fonder des observatoires spécialement destinés à les mettre en pratique : à Kew, à Oxford, à Palerme, à Wilna, à Potsdam, à Calcutta, on étudie régulièrement le soleil ; en Amérique, les Winlock, les Langley, font servir à cette étude leurs puissantes lunettes, et bientôt peut-être aurons-nous à Vincennes un établissement où se poursuivront des recherches du même ordre. Grâce à cette activité soutenue, beaucoup de faits nouveaux ont été mis au jour depuis sept ans, et plus d’un point de la météorologie solaire a été complètement éclairci ; mais il en reste beaucoup sur lesquels le débat est plus vif que jamais. Parmi les faits nouveaux, il y en a qui sont inattendus, qui soulèvent des difficultés auxquelles on n’avait pas songé ; il est certain que l’étude directe des phénomènes a fait plus de progrès que la théorie, et qu’il reste à coordonner et à expliquer tous ces faits qui s’entassent un peu à l’aventure. Et pourtant la théorie physique du soleil est un des problèmes les plus curieux, non-seulement parce qu’elle nous renseignerait en même temps sur les innombrables soleils qui brillent au firmament comme de petites étoiles, mais encore parce que le soleil est le centre de notre monde à nous. Kepler sentait profondément l’importance de cette question. « L’influence du soleil sur ce monde, dit-il, influence d’où dérivent ici-bas tout mouvement et toute vie, tout ordre et tout ornement de la nature, est telle, que plus on la considère et plus on la trouve merveilleuse. De là pour le philosophe l’obligation de mettre en œuvre toutes les ressources de son esprit, afin de s’élever à une théorie digne d’un tel sujet. » La première question qui se pose lorsqu’on aborde le problème de la constitution physique du soleil, c’est évidemment celle-ci : le globe solaire est-il solide, liquide ou gazeux ? Bien avant l’invention de l’analyse spectrale, Arago avait indiqué un moyen de connaître l’état physique d’un corps par certaines propriétés de la lumière qu’il émet ; ce moyen est fourni par la coloration de la lumière polarisée. En examinant à l’aide de son polariscope les radiations d’un boulet chauffé à blanc, d’un bain de fonte liquide et d’une flamme de gaz d’éclairage, l’illustre physicien avait constaté que les corps incandescens, solides ou liquides, émettent toujours de la lumière polarisée sous des incidences obliques, tandis que les flammes ne présentent que de la lumière naturelle. Or la lumière qui vient des bords du soleil ne donne aucune trace de polarisation, pas plus que celle qui vient du centre. Arago conclut de son expérience que la photosphère est formée par des gaz incandescens. Mais voilà qu’après le polariscope est venu le spectroscope, qui à son tour affiche la prétention de nous renseigner sur l’état physique des corps lumineux. On admet aujourd’hui que les gaz incandescens fournissent des spectres discontinus, composés de raies brillantes, tandis que les corps liquides ou solides, portés à l’incandescence, donnent des spectres continus. Les nébuleuses proprement dites offrent des spectres de la première espèce, qui prouvent qu’elles sont à l’état gazeux ; au contraire, le spectre du soleil est un ruban continu ; preuve évidente, semble-t-il, que la lumière qui le fournit émane d’un corps liquide ou solide. Ce spectre, à la vérité, est sillonné d’une multitude de fines raies noires, mais nous savons que ce sont des raies d’absorption dues à une atmosphère de vapeurs métalliques qui enveloppe la source lumineuse. Comment concilier ces deux résultats opposés ? La contradiction heureusement n’est qu’apparente. Les flammes de gaz examinées par Arago doivent leur lumière à des particules solides incandescentes qu’elles tiennent en suspension, et le spectre de ces poussières qui brûlent est en réalité continu. Ce n’est pas tout. Deux chimistes de grand mérite, M. Frankland en Angleterre, M. Cailletet en France, soutiennent que les gaz eux-mêmes donnent des spectres continus lorsqu’ils sont soumis à de fortes pressions. En faisant passer l’étincelle électrique dans des tubes contenant de l’azote ou de l’hydrogène comprimé, M. Cailletet a vu les raies s’élargir à mesure qu’il élevait la pression ; vers 50 atmosphères, le spectre devenait continu et tellement brillant qu’une étincelle d’un tiers de millimètre éclairait tout le laboratoire. Or il est à supposer que les pressions qui se manifestent au niveau de la photosphère sont infiniment plus élevées, car déjà en vertu de la pesanteur solaire tous les corps sont trente fois plus lourds à la surface du soleil, qu’à la surface de la terre. Il s’ensuit que la continuité du spectre solaire ne prouve rien contre l’opinion qui veut que la photosphère soit formée de gaz lumineux. Le plus ancien des problèmes qu’a soulevés l’étude du soleil, le problème classique, c’est l’explication du phénomène des taches. Et d’abord les taches sont-elles des cavités ? C’était l’opinion de Wilson au siècle dernier, et elle reposait sur les effets de perspective que les taches présentent lorsque la rotation du soleil les amène près du bord. Lalande au contraire croyait que c’étaient les cimes des montagnes du soleil, des îlots qui de temps en temps perçaient la surface d’une mer ignée. D’autres y voyaient des scories qui surnageaient ou des nuages fuligineux flottant au-dessus de la surface lumineuse. William Herschel, observateur sans égal, adopta la théorie de Wilson ; malheureusement il la gâta par sa bizarre conception des deux enveloppes superposées : une enveloppe extérieure, lumineuse, doublée d’une enveloppe opaque qui elle-même cache un noyau solide et obscur. Lorsqu’une éruption gazeuse, partant de ce noyau obscur, vient à déchirer les deux enveloppes, nous voyons par la déchirure paraître le noyau noir et les bords de l’enveloppe inférieure comme une lisière grisâtre qui est la pénombre de la tache. Cette théorie a longtemps régné dans les livres d’enseignement. M. Kirchhoff a fait voir combien elle est contraire aux principes de la physique, pour ne pas dire au bon sens : un noyau qui demeure froid au sein d’une fournaise ! Il a suffi de signaler cette contradiction pour faire tomber toute la théorie. Mais il restait à décider si les taches sont des cavités ou des corps opaques suspendus au-dessus de la photosphère, car d’après M. Kirchhoff les effets de perspective peuvent aussi s’expliquer par des nuages étages. M. Faye a fourni la preuve que ce sont des cavités : il l’a empruntée aux observations si précises de M. Carrington. Il a montré que le mouvement qui transporte les taches d’orient en occident ne devient parfaitement régulier que si l’on tient compte d’une correction due à la profondeur des taches. En regardant au stéréoscope deux photographies d’une tache, prises à un jour d’intervalle, on voit aussi très bien qu’elle forme un creux. Une question toujours ouverte, c’est celle de l’enveloppe gazeuse qui s’étend au-delà de la photosphère. A-t-elle réellement l’énorme hauteur que lui attribuant quelques astronomes, et le père Secchi en particulier ? Une atmosphère doit se trahir par les effets de réfraction et d’absorption qu’elle exerce sur les rayons lumineux. À la vérité, la réfraction, d’après les mesures du père Secchi lui-même, est très peu sensible à la surface du soleil ; il n’en est pas de même des effets d’absorption. Nous en avons la preuve d’abord dans les raies obscures du spectre solaire, ensuite dans l’affaiblissement considérable des radiations qui viennent des bords du soleil. Cet affaiblissement saute aux yeux lorsqu’on regarde une épreuve photographique du disque solaire : les bords sont toujours beaucoup plus sombres que les parties centrales. Le père Secchi a encore constaté par des mesures photométriques directes que l’éclat de la région voisine des bords est à peine le quart de celui du centre, et une pile thermo-électrique promenée des bords au centre a fait reconnaître une dégradation analogue du pouvoir calorifique de la surface solaire. Cet appâlissement si marqué prouve évidemment que les rayons qui viennent des bords traversent une épaisseur relativement considérable d’une atmosphère absorbante, et cela s’explique si on réfléchit qu’ils doivent raser la surface solaire, tout comme les rayons d’un astre qui se trouve à notre horizon rasent la surface terrestre et nous arrivent très affaiblis, après avoir percé l’air épais des basses régions de l’atmosphère. Ainsi tout prouve qu’une enveloppe vaporeuse entoure la photosphère ? il s’agit seulement de savoir jusqu’où elle s’étend. Pour M. Faye, l’atmosphère solaire, dans le sens qu’on donne d’ordinaire à ce mot, n’est qu’un préjugé. La mince chromosphère, chargée de vapeurs, que nous révèlent les observations, suffit, dit-il, à tout expliquer, attendu que le pouvoir absorbant des vapeurs métalliques est infiniment plus énergique que celui des autres gaz. La condensation des vapeurs métalliques n’est pas complète, les particules liquides ou solides de la photosphère sont donc constamment baignées dans les vapeurs qui leur ont donné naissance, et la lumière qu’elles émettent éprouve, en traversant ce léger voile, cette absorption spéciale d’où résultent les raies noires du spectre. C’est ainsi que la raie jaune du sodium se renverse, se change en raie noire (la raie D de Fraunhofer) dès que les vapeurs que dégage le métal incandescent commencent à former autour de ce dernier une petite atmosphère où la température est relativement basse. L’ensemble de ces vapeurs non condensées forme au-dessus de la photosphère comme un banc de brume, d’une épaisseur à peine appréciable, au-delà duquel il n’y a plus que des flammes, des jets confus d’hydrogène pur, et c’est tout. — Mais il est bien difficile d’admettre que ces protubérances qui jaillissent à des hauteurs égales au quart du diamètre solaire s’élèvent dans le vide absolu, et que la force d’expansion des gaz incandescens s’arrête presque au ras de la photosphère. Lorsqu’il s’agit d’expliquer l’origine des taches, l’accord n’existe pas davantage. Pour M. Faye, qui les rattache à son ingénieuse théorie de la formation des astres, les taches solaires sont tout simplement des tourbillons. Un des argumens qu’il invoque, c’est le phénomène de la segmentation des taches, qui s’observe assez fréquemment. « Il semble que les taches aient la propriété de se reproduire d’elles-mêmes, à la manière des animaux inférieurs, car ceux-ci se segmentent aussi, et leurs tronçons forment bientôt des êtres complexes tout semblables aux premiers. C’est un genre de multiplication qui dans le domaine des phénomènes mécaniques n’appartient qu’aux mouvemens giratoires, trombes, tourbillons ou cyclones. » Or d’où viennent ces tourbillons ? Le soleil, dit M. Faye, est un globe dont la densité moyenne est un peu supérieure à celle de l’eau, mais dont les couches extrêmes sont évidemment gazeuses. La surface de ce globe offre, sur un fond relativement obscur, d’innombrables amas de particules incandescentes, solides ou liquides, qui forment des nuages isolés, d’un éclat excessif, Évidemment l’énergie et la constance de la radiation du soleil sont liées à ces « grains de riz » de la photosphère. Or le rayonnement formidable de ces nuages incandescens ne peut pas toujours durer : il faut qu’ils se renouvellent sans cesse, par une circulation qui apporte à la surface la chaleur puisée dans la masse interne. Cette masse est formée de matériaux maintenus par une température excessive à l’état gazeux en totalité ou en partie. La température doit être pour beaucoup de substances supérieure à celle où les combinaisons chimiques deviennent possibles ; elles resteront à l’état de vapeurs qui se disposeront par couches concentriques dont la densité ira en décroissant du centre à la surface et dont le pouvoir rayonnant sera relativement faible, comme celui des flammes sombres de certains gaz qui ont besoin d’être carbures pour pouvoir être employés à l’éclairage. Mais, le rayonnement vers l’espace refroidissant les couches extrêmes de la masse gazeuse, la température s’y abaisse bientôt assez pour que le jeu des combinaisons chimiques commence : dès lors on voit apparaître à la surface des poussières flottantes, d’un éclat incomparablement supérieur à celui des gaz. C’est ainsi que prend naissance la surface lumineuse, la photosphère ; c’est ainsi que la nébuleuse devient soleil. Cependant les nuages de poussières solides sont beaucoup trop lourds pour rester indéfiniment suspendus dans la couche gazeuse où ils flottent ; ils tombent lentement vers le centre, jusqu’aux régions où ils rencontrent une température capable de les vaporiser de nouveau : c’est une pluie de scories incessante, comparable aux phénomènes terrestres de la grêle et de la neige. La vaporisation de ces particules venues de la surface troublant à son tour l’équilibre des couches internes, des bulles de gaz remonteront à la surface comme du fond d’une marmite où bout de l’eau, De là une circulation incessante, un jeu régulier de courans descendans et ascendans, qui renouvelle la photosphère et alimente la radiation du soleil. La photosphère est l’appareil régulateur où s’équilibrent ces deux influences opposées : la chaleur centrale et le froid de l’espace. Maintenant, comme les zones successives et contiguës de la photosphère sont animées de vitesses de rotation différentes, il en doit résulter, comme dans l’atmosphère terrestre, comme dans nos rivières, des mouvemens tournans, des tourbillons, qui non-seulement absorbent les nuages lumineux de la photosphère, mais qui, exerçant une sorte d’aspiration sur les couches placées au-dessus, entraînent dans leur entonnoir évasé les matériaux refroidis de la chromosphère. Voilà, selon M. Faye, l’origine des taches. L’afflux de vapeurs froides serait la cause de l’opacité du noyau ; les facules s’expliqueraient par le refoulement des courans ascendans qui donnent naissance aux nuages lumineux, et la pénombre résulterait de la condensation partielle de ces courans sur les flancs du tourbillon. Cette explication ingénieuse des taches solaires a été développée par M. Faye avec beaucoup de sagacité ; mais le père Secchi repousse l’hypothèse des tourbillons. Pour quiconque a l’habitude de suivre les évolutions des taches, dit le célèbre astronome romain, les mouvemens tourbillonnaires sont un phénomène tout à fait exceptionnel. Sur trois cents taches et plus qu’on observe dans le cours d’une année, sept ou huit seulement présentent d’une manière bien nette la structure spiriforme qui devrait caractériser les tourbillons ; ce sont là de purs accidens qui ne sauraient servir de base à une théorie. Le plus souvent cette structure, lorsqu’on la rencontre, disparaît au bout d’un jour ou deux, tandis que les taches elles-mêmes subsistent encore longtemps après ce changement de forme. Quelquefois même le mouvement tournant, après s’être graduellement ralenti, reprend, mais en sens contraire. Tout cela prouve bien que le mouvement giratoire n’est nullement une propriété essentielle des taches. En lisant l’ouvrage du père Secchi, on sent que l’auteur est depuis bien des années familiarisé avec les phénomènes dont il nous parle ; ses descriptions, soutenues par de nombreux dessins, sont empreintes de cette vérité que l’on rencontre dans les récits des voyageurs qui dépeignent un pays où ils ont fait un long séjour. Très certainement cette éducation de l’œil réagit sur l’esprit, elle vous fait acquérir une sorte d’instinct sûr et presque infaillible qui vous avertit immédiatement et vous fait discerner ce qui, dans une explication, est contraire à la nature des choses ; c’est cet instnc pratique qui assure à l’observateur expérimenté une certaine supériorité sur les théoriciens et donne une grande autorité à ses jugemens. Or, pour le père Secchi, les taches sont des phénomènes d’éruption. Elles résultent de bouleversemens qui soulèvent par endroits la photosphère en donnant naissance aux brillantes facules, tandis que sur d’autres points il se forme des dépressions, des cavités plus ou moins régulières où se déposent les produits refroidis de l’éruption. Comme les fumerolles des solfatares, ces vapeurs condensées se réunissent en nuages épais qui arrêtent les radiations et font tache sur le fond lumineux de la photosphère [5]. Puis ces nuages s’abaissent, s’enfoncent lentement, en vertu de leur poids, dans la couche lumineuse, et les taches se montrent à nous sous la forme de cratères remplis de fumées opaques, sur lesquels on voit parfois s’étendre des voiles roses d’hydrogène incandescent. Ces masses sombres ne tardent pas à être envahies par la matière lumineuse ambiante ; de toutes parts, des langues de feu pénètrent dans l’intérieur de la tache, et souvent se rejoignent de manière à former des ponts qui, en s’élargissant, produisent la division, la segmentation de la tache. Ces filets, ces courans lumineux qui composent la pénombre sont des masses de matière photosphérique : les unes s’engouffrent dans la matière obscure pour s’y dissoudre ou pour y perdre leur éclat, les autres flottent encore à des niveaux plus élevés. La profondeur des taches, d’après les mesures de Wilson et du père Secchi, ne dépasse jamais un rayon terrestre (environ 6 000 kilomètres) ; en moyenne elle est de 2 000 kilomètres seulement. On croyait autrefois que la profondeur des taches mesurait l’épaisseur de la photosphère ; rien ne nous oblige à l’admettre : la couche lumineuse peut s’étendre, au-dessous des taches, à des profondeurs inconnues. On peut, dit le père Secchi, considérer la photosphère comme formée de flammés proprement dites, ou bien comme un brouillard lumineux, suspendu dans une atmosphère transparente, tout comme les nuages terrestres sont suspendus dans l’air, à cette différence près que les nuages solaires sont formés d’une matière beaucoup moins volatile. Si nous adoptons cette manière de voir, l’aspect extérieur de la photosphère ressemblera à celui que présenterait la terre enveloppée de nuages et vue de la lune. Cet aspect mamelonné s’observe quelquefois du sommet des montagnes, ou du haut d’un ballon qui plane au-dessus des nuages ; on voit des, nuages en forme de cumulus s’allonger, se masser, se dissoudre partiellement et disparaître sur place. On s’expliquerait par cette analogie la rapidité avec laquelle s’accomplissent certains changemens dans les taches sur une vaste étendue. Un changement de température, produisant d’une part une condensation, de l’autre une vaporisation, peut rendre compte de déplacemens apparens qui exigeraient des vitesses fabuleuses. C’est ainsi que, par un temps calme, nous voyons parfois le ciel se couvrir de nuages presque instantanément ou bien s’éclaircir avec la même rapidité en l’absence de courans d’air assez violens pour expliquer le transport apparent de ces masses mobiles. De même un nuage peut paraître immobile malgré le vent qui devrait l’entraîner. Nous en avons un exemple dans ce qu’on appelle les « nuages parasites » de nos montagnes : l’air humide traversant une région très froide, la vapeur qu’il renfermé s’y condense pour se vaporiser un peu plus loin, de sorte que le même espace est toujours rempli d’un brouillard qui se renouvelle à mesure qu’il disparaît. Le phénomène des taches et des facules a d’ailleurs, pour ainsi dire, son complément naturel dans celui des protubérances. Depuis sept ans, l’étude régulière des protubérances, entreprise par le père Secchi et par d’autres astronomes, a mis en pleine évidence la relation étroite qui existe entre les deux ordres de phénomènes. En dessinant jour par jour les chaînes de protubérances que la rotation du soleil amène sur les bords visibles, le père Secchi a constaté qu’en somme, si l’on considère en bloc les résultats d’une série de rotations, les taches, les facules les plus brillantes et les protubérances éruptives se montrent de préférence dans les mêmes régions du disque solaire, c’est-à-dire dans les deux zones voisines de l’équateur qui sont comprises entre le 10e et 30e degré de latitude, et que les maxima de ces phénomènes ont lieu sensiblement aux mêmes époques. Lorsqu’on se borne à comparer les observations individuelles, cette coïncidence se trouve souvent en défaut ; mais il n’y a rien là qui doive nous étonner, puisque les protubérances ne peuvent être vues que sur le bord, tandis que les taches et les facules s’observent dans le champ du disque. Au surplus, chaque fois qu’une protubérance considérable surgit au bord oriental, on est sûr de voir poindre le lendemain une tache au même endroit. Les protubérances les plus élevées sont des jets d’hydrogène ; mais il y en a beaucoup, d’une hauteur moindre, où l’analyse spectrale fait reconnaître la présence de vapeurs métalliques, et des traces des raies métalliques se manifestent presque toujours à la base des grandes. Or assez souvent ces raies empiètent sûr le disque solaire et se prolongent jusqu’au noyau d’une tache voisine du bord, C’est une preuve irréfutable que l’éruption de vapeurs métalliques a son origine près du noyau de la tache. Le père Secchi pense avoir constaté que les jets d’hydrogène pur s’élèvent généralement au-dessus des facules, et les éruptions métalliques sur les parties sombres des taches. Ces éruptions, qui sans doute sont des crises violentes provoquées par des combinaisons chimiques s’opérant à une certaine profondeur au-dessous de la surface du soleil, donnent lieu à cette effervescence, à ces mouvemens tumultueux et désordonnés qui caractérisent la première phase des taches en voie de formation. Puis le calme se rétablit, la tache prend une forme arrondie assez régulière, les filets de matière lumineuse qui s’y engouffrent de tous les côtés donnent à la pénombre une structure rayonnée. Quand l’éruption est parvenue à cet état d’épuisement et de calme, il n’existe plus au-dessus de la tache que des émanations paisibles, des flammes courtes et peu lumineuses, et, lorsqu’elle arrive au bord occidental, il ne faut pas s’étonner de la voir disparaître sans laisser après elle de protubérance élevée. La fréquence, l’étendue, la distribution, les mouvemens des taches solaires peuvent être étudiés à l’aide des moyens les plus simples : une bonne lunette qui projette l’image du soleil sur une feuille de papier blanc suffit pour cela. C’est la méthode de Scheiner, et elle avait déjà permis à ce sagace observateur de constater que les taches n’ont pas toutes la même vitesse angulaire, qu’elles ne donnent pas toutes pour la durée de la rotation du soleil la même valeur. De nos jours, ce procédé a été appliqué avec succès par le baron Schwabe, de Dessau, amateur distingué qui pendant quarante-deux ans, de 1826 à 1868, a employé tous ses loisirs à observer et à enregistrer avec soin les taches du soleil. En notant jour par jour le nombre des taches qu’il apercevait sur l’image solaire, M. Schwabe découvrit, ce qui est le rêve de tous les chercheurs, une loi. Il vit le nombre des taches varier d’année en année, croître d’abord, atteindre un maximum, puis décroître jusqu’à un minimum très marqué, pour reprendre ensuite une marche ascendante. Il y avait donc là des années grasses et des années maigres ; la période fut provisoirement fixée à environ dix ans. M. R. Wolf, professeur à l’université de Zurich, entreprit alors de réunir et de discuter toutes les observations anciennes des taches solaires, et il montra que la période du phénomène est en moyenne de onze ans et demi. L’année de la découverte des taches solaires, 1611, était une année maigre, une année de minimum ; le dernier maximum a eu lieu en 1871, et cette année même nous sommes entrés dans une époque de minimum. Le soleil, on n’en peut douter, est une étoile variable au même titre que Mira de la Baleine, qu’Algol, que Bêta de Persée, à cela près que les variations d’éclat de ces étoiles offrent des périodes beaucoup plus courtes, et qu’elles sont beaucoup plus sensibles, car Mira par exemple s’éteint presque complètement à l’époque du minimum. « Ce n’est pas sans une certaine répugnance inconsciente que les modernes eux-mêmes ont envisagé ces faits, dit M. Faye. L’idée qu’une étoile puisse osciller quelque temps, comme une flamme qui va s’éteindre et finit par disparaître, choque d’anciens préjugés depuis longtemps oubliés, mais dont les racines vivent encore en nous à notre insu. » Nous sommes encore malgré nous esclaves de l’antique croyance à « l’incorruptibilité des cieux, » que Kepler osa le premier battre en brèche. Pourtant nous sommes bien obligés d’admettre que les astres ont eu un commencement et auront une fin, qu’après la période de formation vient la période de déclin, suivie d’une extinction finale. Ces périodes sans doute embrassent des milliers de siècles ; mais, faute de les étudier dans le temps, nous les saisissons dans l’espace. « L’espace nous présente simultanément, dans l’armée céleste, des étoiles parvenues à toutes les phases de l’existence stellaire, de même qu’une forêt nous permet de suivre l’évolution d’un chêne dans la suite des siècles en nous montrant à la fois des arbres parvenus à tous les degrés de croissance. » En 1841, un astronome français, M. Laugier, dont la science déplore la perte récente, entreprit une longue série de mesures micrométriques des taches solaires, dont la conclusion fut que les rotations, déduites du mouvement de taches diversement situées sur le disque, variaient de 24 à 26 jours, offrant ainsi un écart de deux jours entiers. Ce point a été complètement élucidé par le grand travail que M. Richard C. Carrington a exécuté de 1853 à 1861 à son observatoire de Redhill, et dont les résultats ont été publiés en 1863. M. Carrington s’était proposé de. dessiner jour par jour toutes les taches visibles, de tenir en quelque sorte une comptabilité régulière de la surface du soleil. Jugeant l’emploi de la photographie trop coûteux ou trop difficile encore, il s’en tint (et c’est dommage) à la projection de l’image solaire sur un écran de verre dépoli peint en jaune. L’image avait des dimensions très suffisantes (28 centimètres) ; on observait sur l’écran les passages des deux bords opposés du disque et ceux des taches par le réticule de la lunette, c’est-à-dire par les images de deux fils d’or en croix qui formaient des angles de 45 degrés avec la direction du mouvement diurne. La discussion des précieux matériaux accumulés par M. Carrington dans l’espace de sept années a donné pour les élémens du soleil, à savoir pour l’inclinaison de son axe et pour la situation de l’équateur solaire, des nombres qui diffèrent assez peu de ceux trouvés par M. Laugier ; M. Carrington d’ailleurs déclarait que, pour obtenir une détermination plus précise, il faudrait au moins dépenser 5 000 livres sterl. (125 000 francs). On peut considérer comme une continuation de son travail les observations que M. Spœrer, professeur au gymnase d’Anclam, poursuit depuis 1861, et dont les premiers résultats ont été résumés dans un ouvrage publié il y a deux ans [6]. M. Carrington a de plus réussi à mettre en évidence la loi d’après laquelle varie la rotation apparente des taches dans les zones successives de la surface solaire : la rotation des taches est d’autant plus lente, que leur latitude ou distance à l’équateur du soleil est plus grande. Dans la zone équatoriale, la rotation est d’un peu moins de 25 jours ; sous le parallèle de 45°, elle approche de 28 jours. La rotation moyenne, conclue du mouvement des taches, semble être de 25 jours 9 heures. En dehors de cette inégalité frappante des vitesses de rotation sous les divers parallèles du globe solaire, les taches présentent des fluctuations qui les rapprochent et les éloignent de l’équateur. Quand le nombre des taches va en diminuant à l’approche des années maigres, elles semblent se concentrer dans les régions les plus voisines de l’équateur ; puis tout à coup, à l’époque où la recrudescence va commencer, les taches apparaissent à des latitudes beaucoup plus élevées, et leurs zones semblent s’élargir. Il est évident que la fluctuation périodique des zones moyennes doit se rattacher aux mêmes causes encore inconnues qui produisent l’inégalité des rotations sous les diverses latitudes. Ce sont là des énigmes proposées à la sagacité des géomètres qui tenteront de nous donner la théorie des phénomènes solaires [7]. La période des taches solaires, avec ses maxima d’activité qui reviennent tous les onze ans, a son écho sur la terre. Le général Sabine, M. Wolf, de Zurich, et M. Gautier, de Genève, ont signalé à peu près simultanément une période semblable dans les variations diurnes de l’aiguille aimantée, dont l’amplitude atteint un maximum en même temps que la fréquence des taches. Puis l’on a constaté, en examinant le catalogue des aurores boréales dressé par M. Loomis, que les aurores, dont on connaît depuis longtemps L’étroite relation avec le magnétisme terrestre, présentent aussi cette même période de onze ans. Des esprits aventureux ont voulu aller plus loin et retrouver ce nombre cabalistique dans les alternatives de calme et de recrudescence des phénomènes volcaniques, dans les changemens de niveau périodiques des grands lacs de l’Amérique du nord, etc. ; mais c’est se risquer sur un terrain où il est trop facile de perdre pied. La seule chose certaine, c’est que la période solaire de onze ans régit aussi les phénomènes magnétiques du globe terrestre. M. Hornstein a même signalé dans les observations magnétiques de Prague une période beaucoup plus courte, qui semble dépendre de la rotation du soleil, et qui donnerait pour cette dernière une durée de 24 jours 13 heures, plus petite que celles que donnent les taches. L’existence d’un rapport entre les phénomènes solaires et le magnétisme terrestre est donc désormais hors de doute ; il reste maintenant à décider si le soleil agit sur la terre directement par une influence magnétique proprement dite, pu indirectement, par la chaleur qu’il lui envoie, et qui est peut-être pour quelque chose dans la production des courans électriques auxquels On ramène l’explication du magnétisme terrestre. Quant à la cause de la période solaire elle-même, il faut avouer qu’elle nous est inconnue. On a voulu la trouver dans les conjonctions des planètes ; mais c’est peut-être oublier l’énorme disproportion qui existe entre les masses planétaires et celle du soleil. D’où vient l’énorme chaleur concentrée dans le brasier solaire, et comment se fait-il qu’en dépit d’un rayonnement formidable elle ne semble pas même diminuer depuis des milliers d’années ? Les expériences de Pouillet, de sir John Herschel, nous ont appris que la chaleur que nous recevons pendant une année suffirait pour fondre Une couche de glace qui envelopperait la terre et aurait 30 mètres d’épaisseur ; on peut en conclure que la radiation totale du soleil ferait fondre dans le même temps une couche de glace de 6 000 kilomètres qui entourerait le soleil lui-même ; elle serait engendrée par la combustion d’une couche de houille de 27 kilomètres, Si nous adoptons les vues de Laplace sur la formation du système solaire par la condensation successive d’une vaste nébuleuse, on peut expliquer la température élevée du soleil par les collisions des myriades d’atomes qui sont venus se réunir pour former l’astre central. Quant à l’entretien de la chaleur solaire, l’hypothèse célèbre de M. Waterston en rend compte par une pluie incessante de météores cosmiques qui se précipitent dans le soleil, et dont la force vive devient feu ; mais cette hypothèse, qui d’ailleurs soulève bien des difficultés au point de vue astronomique, devient inutile lorsqu’on admet, avec M. Faye, une circulation incessante qui ; en ramenant à la surface de l’astre la chaleur. des couches centrales, y maintient une température constante, qui ne s’affaiblira que dans le cours des âges. Quelle est cette température de la surface du soleil ? La réponse est difficile, car, en s’appuyant sur des mesures directes de la radiation solaire, les physiciens sont arrivés aux résultats les plus discordans, Le père Secchi et M. Waterston soutiennent que la température du soleil dépasse 4 peut-être 10 millions de degrés ; des physiciens français, M. Vicaire, M. Violle, affirment, avec plus de raison probablement, qu’elle doit être inférieure à 3 000 degrés centigrades. Ces divergences prouvent cependant que la question n’est pas mûre et qu’elle demande de nouvelles recherches, comme la plupart des problèmes que soulève l’étude de la constitution physique du soleil. Il n’en saurait être autrement. Nous ne pénétrerons pas si vite les mystères de ce monde de feu, de ce foyer de force et de lumière qui roule dans l’immensité et nous traîne à sa suite par la lisière de la gravitation. Cette distance de 37 millions de lieues, qu’un boulet mettrait un an à franchir, a beau être diminuée par les télescopes, l’œil devine plutôt qu’il ne voit ce qui se passe dans ces lointains parages. Et lorsqu’il s’agit d’interpréter ce que nos regards ont saisi, nous raisonnons toujours comme des habitans de la terre, oubliant à chaque instant que toutes les conditions sont changées là-bas. À dire vrai, les bases nous manquent pour comprendre le soleil : le plus souvent, on raisonne dans le vide. Il semble qu’il serait temps d’aborder par l’analyse la théorie de l’équilibre d’une masse gazeuse incandescente, soumise aux formidables pressions et aux températures non moins effrayantes qui doivent régner dans l’intérieur du soleil ; une pareille théorie, appuyée sur des expériences où l’on tenterait de se rapprocher de ces conditions hypothétiques, fournirait des points de départ, sérieux à l’interprétation des phénomènes que nous révèlent nos puissantes lunettes. Lorsqu’on songe aux difficultés que présentent des recherches théoriques sur un terrain encore si peu solide, on comprend que l’observation continuera pendant longtemps peut-être à devancer la théorie. L’optique appliquée marche à pas de géant. Tandis qu’il y a vingt ans un objectif de 12 pouces était considéré comme le nec plus ultra de l’habileté des opticiens, M. Alvan Clark, à New-York, a déjà construit des lunettes dont les objectifs ont 26 pouces d’ouverture, et l’Observatoire de Paris entrera bientôt en possession d’une lunette encore plus puissante, qui sera le pendant de son gigantesque télescope à miroir de verre argenté. Ce sont là de vastes préparatifs, et nul doute que de nouvelles conquêtes dans le domaine de l’observation ne soient à la veille d’être réalisées. Comme le disait M. Carrington, les grosses dépenses en fait d’instrumens ne sont jamais perdues, et il est certain qu’il y a des phases dans l’évolution de chaque science où un pas nouveau devient une question d’argent. Pour faire avancer aujourd’hui notre connaissance du soleil, il semble plus rationnel de recourir aux « grands moyens » que de laisser se multiplier à l’infini les efforts isolés, tentés avec des moyens insuffisans. R. Radau.