Les Oscillations du sol terrestre Elisée Reclus Revue des Deux Mondes T.55, 1865 I. The geological Evidences of the Antiquity of Man, by sir Charles Lyell, London, Murray, 1863. — II. Inaugural Address of sir Charles Lyell to the British Association at Bath, 1864. — III. Nord-Fahrt, von Georg Berna, erzaehlt von Cari Vogt, Frankfurt 1863. — IV. Geological Observations on South America, by Charles Darwin. — V. The Structure and distribution of Coral reefs, by Charles Darwin. Le sol, que les peuples considèrent encore comme le symbole de l’immuable, est au contraire dans un état d’oscillation constante. L’enveloppe de la terre, sollicitée d’un côté par les astres de l’espace, comprimée de l’autre par la vapeur, les gaz et les matières fondues de l’intérieur du globe, ne cesse d’onduler, comme le ferait un radeau s’élevant et s’abaissant sur les flots de la mer. Sans parler ici des tremblemens de terre qui font écrouler des pans de montagnes, renversent les cités et tarissent les fleuves, d’autres ondulations, que les instrumens délicats des physiciens peuvent seuls reconnaître, remuent incessamment dans toute son épaisseur les parties rocheuses de la planète. D’imperceptibles frissons, déterminés sans doute par les courans de chaleur et d’électricité, se propagent à travers les continens. Et non-seulement l’écorce terrestre est secouée à chaque instant par ces vibrations infiniment petites, elle est en outre animée de mouvemens uniformes et d’une incalculable puissance, qui sur divers points la soulèvent et sur d’autres la dépriment relativement au niveau de la mer. Ces gon- flemens et ces dépressions, qui rappellent les phénomènes des corps organisés, s’accomplissent le plus souvent avec une telle lenteur que, pour les constater d’une manière certaine, des générations successives d’observateurs doivent laisser des années ou même des siècles s’écouler. La « terre patiente » semble rouler inerte dans l’espace, et pourtant elle travaille sans relâche à modifier la forme de ses mers et de ses rivages. Durant chaque période géologique, la surface continentale, immobile en apparence, se redresse en certains endroits à une grande hauteur au-dessus de l’océan ; ailleurs elle s’abîme sous les eaux ; partout l’antique relief et les contours du sol se modifient lentement. Suivant quelle loi, dans quel ordre géographique, avec quelle vitesse relative se produisent ces oscillations graduelles qui ont pour résultat de changer à la longue l’aspect général du globe ? La science n’est point encore en mesure de répondre à ces questions d’une manière positive ; mais en attendant que les géologues puissent évaluer avec exactitude les dimensions et la marche de chaque vague de soulèvement formée par l’écorce du globe, il est du moins possible de grouper les faits principaux qui se rapportent aux mouvemens oscillatoires des continens et du fond des mers. C’est là ce que nous essaierons de faire dans cette étude, en évitant des citations trop nombreuses, mais en ne cessant de nous appuyer sur le témoignage des hommes éminens qui depuis Léopold de Buch jusqu’à MM. Darwin et Lyell ont élucidé cette importante question de l’instabilité des terres. De minces coquilles brisées, des restes de polypiers, épars, des rainures à peine visibles marquées çà et là sur le flanc des rochers, tous ces indices, devant lesquels la foule passait indifférente, sont devenus, grâce à la patience et à la sagacité des observateurs, autant de preuves irréfragables des balancemens réguliers du sol. Chaque année, les savans constatent sur divers points de la terre des phénomènes de soulèvement jusqu’alors inconnus, mais il leur reste encore à présenter d’une manière générale l’ensemble de tous ces mouvemens de l’écorce planétaire. C’est là pourtant un des sujets de recherche qui offrent le plus haut intérêt scientifique, car la terre est notre demeure. Il importe de savoir comment le sol empiète sur l’océan ou recule devant lui, comment il se déplace sous nos pas et se modifie diversement tandis que nous nous agitons à sa surface. D’ailleurs c’est en étudiant l’enveloppe du globe que nous apprendrons à en mieux connaître les profondeurs ; c’est en nous rendant compte des révolutions présentes que nous découvrirons dans tous ses détails l’histoire géologique des âges d’autrefois. I