< iv > Rassembler les faits observés, et les employer à découvrir des vérités inconnues, c’est, dans l’étude de la nature, la tâche que doit s’imposer d’une manière inébranlable quiconque se dévoue à concourir à ses véritables progrès. < v > MOTIFS DE CET OUVRAGE Ayant jugé à propos de donner à mes élèves, dans le Discours d’ouverture de mon cours de cette année, quelques-uns des principaux résultats de mes Recherches sur les Corps vivans, et sur les causes qui développent et qui composent ou compliquent graduellement leur organisation ; j’ai cru convenable de livrer ce Discours à l’impression, afin qu’on n’abusât point de ce qu’on auroit pu mal saisir. Je ne pensois nullement à faire un ouvrage de la moindre importance, mais seulement à publier mon Discours dans une feuille volante et fugitive, que je me proposois de distribuer à ceux qui mettroient quelqu’intérêt à mes observations. Néanmoins je sentis bientôt la nécessité d’y joindre quelques développemens pour être mieux entendu ; en sorte que je me laissai entraîner successivement dans la composition rapide < vi > de ce petit ouvrage, sans en avoir formé le projet. Je fus en outre déterminé à l’étendre, en y employant des matériaux que je réservois pour ma Biologie ; parce que, considérant que je suis extrêmement surchargé de travaux relatifs aux Sciences physiques et naturelles, et remarquant néanmoins que ma santé et mes forces sont considérablement affoiblies, j’ai craint de ne pouvoir exécuter ma Biologie (1), à laquelle je ne projette de mettre la dernière main qu’après avoir publié mes observations sur la Météorologie, qui feront le complément de ma Physique terrestre. Je sais bien que la nouveauté des considérations exposées dans cet écrit, et sur-tout que leur extrême dissemblance avec ce qu’on est dans l’usage de penser à cet égard, exigeoient des développemens plus étendus pour que le fonde- [fondement] (1) Voyez mon Hydrogéologie p. 188. < vii > ment des considérations dont il s’agit puisse être mieux établi, et plus aisément apperçu. Malgré cela, j’en ai dit assez pour que le petit nombre de ceux à qui j’adresse ces Recherches, soit dans le cas de m'entendre et de reconnoître ce qui est réellement fondé. Il y a, en effet, maintenant trop de lumières répandues parmi les hommes qui se sont sérieusement occupés d'observer la nature, pour que chacun d’eux ne puisse facilement suppléer les détails et toutes les applications qui manquent ici. Je sais encore que, quand même j‘aurois donné à cet écrit toute l’étendue que son objet comporte, il y a, relativement aux considérations de l’état actuel de la science, beaucoup de raisons qui s’opposent à ce que mes principes soient, ou plutôt paroissent goûtés de ceux qui sont sensés en être les juges naturels. J’ai acquis beaucoup d’expérience à cet égard en sorte que je connois, à-peu-près d’avance, ce qui, pour le présent, < viii > doit résulter de mes efforts pour faire connoitre quelques vérités importantes que je suis parvenu à découvrir. Mon but, néanmoins, sera complètement rempli, dès que je les aurai consignées. J’avertis ceux de mes lecteurs, qui auront quelqu'envie de saisir les raisons qui fondent les intéressantes considérations que je leur soumets, de se souvenir que le complément de celles qui sont exposées dans la première partie de ces Recherches, existe dans l’article de l’appendice, intitulé Des Espèces parmi les Corps vivans. < 1 > DISCOURS D’OUVERTURE Prononcé le 27 floréal an 10, au Muséum d'Histoire naturelle. Citoyens, La belle partie du Règne animal dont je me propose de vous entretenir pendant la durée de ce cours, est d’une étendue bien considérable ; car elle seule comprend plus d’espèces que toutes les autres prises ensemble dans le même Règne. Vous allez voir néanmoins que cette considération est la moindre de celles qui doivent vous intéresser à son égard. En effet, si on l’envisage sous les points de vue qui méritent le plus d’être saisis en elle, c'est alors la plus curieuse des parties qu’offre l’étude des corps vivans ; la plus féconde en merveilles de tout genre, la plus étonnante sur-tout par les faits singuliers < 2 > d'organisation qu’elle présente ; et cependant c’est celle qui fut en général la moins considérée sous ces grands points de vue. Il y a bien d’autres choses à y voir que l’énorme énumération des objets qu’elle embrasse, que les distinctions multipliées et sans bornes qu’elle occasionne de faire, et que l’immense nomenclature qu’elle fournit l’occasion d’établir pour la connoissance particulière de tout ce qu’elle comprend. Sans doute il est utile pour l’avancement de nos connoissances en Histoire naturelle de diviser et sous-diviser suffisamment, à l’aide de caractères communs et plus particuliers, la masse des êtres naturels observés, afin d’arriver jusqu’à la détermination des espèces, dont le nombre paroît être sans bornes dans la nature. Mais, ne vous y trompez pas ce n’est point là réellement où doivent se borner les vues du Naturaliste. Il ne doit pas consumer son temps, ses forces et sa vie entière à fixer dans sa mémoire les caractères, les noms et les synonymes multipliés de cette innom- [innombrable] < 3 > brable multitude d’espèces de tous les genres, de tous les ordres, de toutes les classes, et de tous les règnes, que la surface entière du globe que nous habitons, nous offre partout avec une fécondité inépuisable. Cette entreprise exclusive ne seroit propre qu'a rétrécir les vues de celui qui s’y livreroit inconsidérément, qu’à étouffer son génie, et qu’à le priver de la satisfaction de concourir à donner à la science l’impulsion et la véritable direction qu’elle doit avoir pour remplir son objet, c’est-à-dire, pour être à-la-fois, et la voie qui conduit à la connoissance de la nature, et le flambeau qui éclaire utilement l’homme sur tout ce qui peut servir à ses besoins. Que penseriez-vous d’un homme qui, voulant bien connoitre la Géographie, s’obstineroit à se charger la mémoire du nom de tous les hameaux, des villages, des coteaux, des monts, des torrens, des ruisseaux et de tous les petits objets de détail qu’on peut rencontrer dans toutes les parties de la terre ; et qui négligeroit, par suite des difficultés de son entreprise, de donner une attention principale à l’étendue des parties découvertes du < 4 > globe, aux divisions et aux situations respectives de ces parties, à leur climat, à l’avantage ou au désavantage de leur position, à la nature et la direction des grandes chaînes de montagnes, des fleuves et des grandes rivières qui s’y trouvent, etc., etc. ? Par suite de l’impulsion qu’un grand nombre de Naturalistes modernes ont donnée à l’étude des diverses branches de l’Histoire naturelle, et de laquelle il résulte que la plupart des Zoologistes s’épuisent pour connoître toutes les espèces d’insectes, de vers, de coquilles, de serpens, d’oiseaux, etc. ; le Botaniste à retenir dans sa mémoire, les caractères et les noms de toutes les espèces de mousses, de fougères, de graminées, etc. ; enfin le Minéralogiste à déterminer, nommer et énumérer toutes les matières et les combinaisons qu’il rencontre, ou que les opérations chimiques parviennent à produire ; objets qui font du catalogue qui les rassemble ou les mentionne, un recueil immense et sans bornes, capable d’accabler l’imagination de celui qui le considère ; je crains bien que la nature de ces efforts, en un mot que cette marche bornée dans ses vues ne soit compa-[comparable] < 5 > rable à celle du Géographe dont je viens de parler. Combien donc n’importe-t-il pas, pour les progrès et la dignité des sciences naturelles, de diriger nos recherches, non-seulement vers la détermination des espèces, à mesure que l’occasion nous favorise à cet égard ; mais encore de les porter vers la connoissance de l’origine, des rapports, et du mode d’existence de toutes les productions naturelles dont nous sommes environnés par-tout ! Il me paroît que lorsqu’on se propose de se livrer à une étude quelconque, et sur-tout à celle de quelque partie de l’Histoire naturelle, on doit d’abord considérer dans son entier ou dans son ensemble l’objet que l’on cherche à connoître ; on doit ensuite s’efforcer d’y découvrir les différens genres d’intérêt qu’il présente, et avant tout s’attacher à ceux qui sont les plus généraux et les plus importans. L’on s’abaisse ensuite graduellement jusque dans les moindres détails de cet objet, si son goût et le temps que l’on peut donner à cette étude, permettent de descendre jusque-là. < 6 > En rassemblant les observations et les faits recueillis sur l’organisation des corps vivans, et en les considérant sous les points de vue essentiels qui s’y rapportent, j’en ai obtenu quelques résultats remarquables, que je crois utile de vous communiquer, et dont je vais vous faire l’exposition dans ce Discours. RECHERCHES SUR L’ORGANISATION DES CORPS VIVANS première partie Des progrès de la composition de l’organisation des corps vivans, à mesure que les circonstances les favorisent. Lorsqu’on donne une attention suivie à l’examen de l’organisation des différens corps vivans observés, à celui des divers systêmes que cette organisation présente dans chaque règne organique, enfin à certains changemens qu'on lui voit éprouver dans certaines circonstances, l’on parvient à la fin à se convaincre : 1°. Que le propre du mouvement organique est non-seulement de développer l'organisation, mais encore de multiplier les organes et les fonctions à remplir ; et qu’en outre < 8 > ce mouvement organique tend continuellement à réduire en fonctions particulières à certaines parties, les fonctions qui furent d’abord générales, c’est-à-dire, communes a tous les points du corps ; 2°. Que le résultat de la nutrition est non-seulement de fournir aux développemens d’organisation que le mouvement organique tend à former ; mais en outre que par une inégalité forcée entre les matières que fixe l'assimilation et celles qui se dissipent par les pertes (1), cette fonction à un certain terme de la durée de la vie, parvient à détériorer progressivement les organes ; en sorte que par une suite nécessaire elle amène inévitablement la mort ; 3°. Que le propre du mouvement des fluides dans les parties souples des corps vivans qui les contiennent, est de s’y frayer des routes, des lieux de dépôt et des issues ; d’y créer des canaux et par suite des organes divers ; d’y varier ces canaux et ces organes, à raison de la diversité soit des mouvemens, soit de la nature des fluides qui y donnent (1) Mém. de Phys. et d’Hist. naturelle. p. 247 et 248. et 260 à 264. < 9 > lieu ; enfin d’agrandir, d’allonger, de diviser et de solidifier graduellement ces canaux et ces organes par les matières qui se forment et se séparent sans cesse des fluides qui y sont en mouvement, et dont une partie s’assimile et s'unit aux organes, tandis que l’autre est rejetée au-dehors ; 4°. Que l’état d’organisation dans chaque corps vivant a été obtenu petit à petit par les progrès de l’influence du mouvement des fluides, et par ceux des changemens que ces fluides y ont continuellement subis dans leur nature et leur état par la succession habituelle de leurs déperditions et de leurs renouvellemens ; 5°. Que chaque organisation et chaque forme acquise par cet ordre de choses et par les circonstances qui y ont concouru, furent conservées et transmises successivement par la génération, jusqu’à ce que de nouvelles modifications de ces organisations et de ces formes eussent été acquises par la même voie et par de nouvelles circonstances ; 6°. Enfin que de concours non interrompu de ces causes ou de ces lois de la nature, de beaucoup de temps et d’une diversité presqu’inconcevable de circonstances influentes, < 10 > les corps vivans de tous les ordres ont été successivement formés. Des considérations aussi extraordinaires, relativement aux idées que le vulgaire s’est généralement formées sur la nature et l’origine des corps vivans, seroient nécessairement regardées par vous comme des écarts de l’imagination, si je ne me hâtois de vous faire l’exposé des observations et des faits qui les mettent dans la plus grande évidence. Au point où sont actuellement les connoissances d’observations, le naturaliste-philosophe a lieu d’être convaincu que c’est dans ce qu’on appelle les dernières classes des deux règnes organiques, c’est-à-dire, dans celles qui comprennent les corps vivans les plus simplement organisés, que l'on peut recueillir les faits les plus lumineux et les observations les plus décisives sur la production et la reproduction des corps vivans dont il s’agit, sur les causes de la formation des organes de ces êtres admirables, et sur celles de leurs développemens, de leur diversité et de leur multiplicité qui s’accroissent avec le concours des générations, des temps et des circonstances influentes. Aussi, l’on peut assurer que c’est unique- [uniquement] < 11 > ment parmi les êtres singuliers de ces dernières classes, et particulièrement dans les derniers ordres de ces classes, qu’il est possible de trouver de part et d’autre des ébauches de la vie, et ensuite celles des facultés les plus importantes de l’animalité et de la végétalité. Quelque singulière que vous paroisse cette consideration, comme vous allez voir qu’elle est fondée sur des faits incontestables, elle fixera sûrement l’attention de ceux parmi vous qui attachent à la connoissance de la verité tout l’intérêt qu’elle mérite d’obtenir. Je devrois peut-être me borner à un examen général des animaux sans vertèbres, c’est-à-dire, de ceux dont nous devons nous occuper pendant la durée de ce cours ; parce qu’ils nous montrent aussi bien que les autres, cette étonnante dégradation dans la composition de l’organisation, et cette diminution progressive des facultés animales qu’il importe que je vous fasse remarquer, et qui doivent intéresser si fortement le naturaliste. Mais, pour ne laisser aucun doute, à l’égard des grandes considérations que je me propose de vous exposer, il me paroît nécessaire de jeter ici un coup-d’oeil général et rapide sur le règne animal entier, et de consta- [constater] < 12 > ter sous vos yeux, par le rassemblement des faits les mieux connus, s’il est vrai que l’organisation des animaux présente une dégradation soutenue d’une extrémité à l’autre de la série qu’ils forment, et une diminution progressive et proportionnée dans le nombre des facultés de ces corps vivans. Dégradation de l’organisation d’une extrémité à l’autre de la chaîne des animaux. En examinant avec la plus sérieuse attention l’organisation et les facultés de tous les animaux connus, on est nécessairement frappé d’un fait très-singulier et qui malgré son évidence, ne paroît nullement avoir fixé l’attention des Naturalistes. On est forcé de reconnoître, que la totalité des animaux qui existent, constitue une série de masses, formant une véritable chaîne ; et qu’il règne d’une extrémité à l’autre de cette chaîne, une dégradation nuancée dans l’organisation des animaux qui la composent, ainsi qu’une diminution proportionnée dans le nombre des facultés de ces animaux en sorte que si à l’une des extrémités de la chaîne dont il s’agit, se trouvent les animaux les < 13 > plus parfaits à tous égards, l’on voit nécessairement à l’extrémité opposée, les animaux les plus simples et les plus imparfaits qui puissent se trouver dans la nature. Combien cette étonnante dégradation dans la composition de l’organisation et cette diminution progressive des facultés animales, ne doit-elle pas intéresser le naturaliste philosophe ! Il sent que cette dégradation conduit insensiblement au terme inconcevable de l’animalisation, c’est-à-dire, à celui où sont placés les animaux le plus simplement organisés, en un mot, où se trouvent ceux qu'on soupçonne à peine doués de l’animalité, qui en sont vraisemblablement les premières ébauches, et sans doute par lesquels la nature a commencé, s’il est vrai, qu’à l’aide de beaucoup de temps et des circonstances favorables, elle soit ensuite parvenue à former tous les autres. Mais avant de tirer aucune induction de ce fait étonnant, voyons s’il est réellement fondé, ou si ce n'est pas une de ces vues hypothétiques, qui, comme bien d’autres, entravent continuellement les sciences, dans leurs progrès. Il existe, ai-je dit, dans la composition de < 14 > l’organisation des animaux, une dégradation singulière qui règne d’une extrémité à l’autre de la chaîne animale, et une diminution progressive du nombre des facultés de ces corps vivans : voilà ce qu’il s’agit de vous faire maintenant remarquer. Pour cela je devrois commencer par l’exposition des caractères des animaux les plus simplement organisés, pour m’élever ensuite graduellement jusqu’à celle des animaux les plus parfaits, et suivre ainsi l’ordre que la nature paroît avoir tenu en les formant. Mais comme les premiers vous sont bien moins connus que les derniers, et qu’il est plus convenable de procéder du connu à l’inconnu, que de commencer par ce qu’on connoît mal, je vais prendre l’ordre en sens inverse de celui de la nature, et suivre l’organisation des animaux dans sa simplification toujours croissante, depuis ceux qui sont les plus parfaits, les plus complètement organisés, jusqu' à ceux qui n’offrent de l'animalité que les plus foibles ébauches. < 15 > LES MAMMAUX Ils doivent évidemment se trouver à l’une des extrémités de la chaîne animale, et être placés à celle qui offre les animaux les plus parfaits, les plus riches en organisation et en facultés ; car c'est uniquement parmi eux que se trouvent ceux qui ont l'intelligence la plus développée. Il est certain que le perfectionnement des facultés, prouve celui des organes qui y donnent lieu. Dans ce cas, tous les animaux à mamelles et qui seuls sont véritablement vivipares, ont donc l’organisation la plus perfectionnée ; puisqu’il est reconnu que ces animaux ont plus d’intelligence, plus de facultés, et une réunion de sens plus parfaite que tous les autres. Leur organisation présente un corps affermi dans ses parties par un squelette articulé, complet, et dont la base est une colonne vertébrale ; une tête mobile, avec des yeux à paupières ; quatre membres articulés ; un diaphragme entre la poitrine et l’abdomen ; un coeur à deux ventricules et le sang chaud des poumons libres circonscrits dans < 16 > la poitrine ; enfin ils sont seuls vivipares. Ce sont donc les mammaux qui occupent le premier rang dans le règne animal, sous le rapport du perfectionnement de l’organisation et du plus grand nombre de facultés. Remarquez que vers cette extrémité de l’échelle animale, tous les organes essentiels sont isolés ou ont des foyers isolés en des lieux particuliers. Vous verrez bientôt que le contraire a parfaitement lieu vers l’autre extrémité de la même échelle (1). LES OISEAUX Le second rang appartient évidemment aux oiseaux : car si l’on ne trouve point dans ces (1) .On passe des mammaux aux oiseaux par les cétacés, et particulièrement par l’ornithorynchus, animal aquatique de la nouvelle Hollande (Voyez le Bulletin des Sciences, n0 39, p. 113), qui paroît, par diverses considérations, appartenir à la classe des mammaux, quoiqu’on assure qu’il manque de mamelles ; et qui, par d’autres considérations, semble se rapprocher des oiseaux, et particulièrement des oiseaux aquatiques, tels que les manchots, les pingouins, etc. Si l’on a point vu des mamelles à l’ornothorynchus, c’est qu’apparemment on a observé que les indivi-[individus] < 17 > animaux un aussi grand nombre de facultés et autant d’intelligence que dans les animaux du premier rang ; ils sont les seuls qui aient comme les mammaux un coeur à deux ventricules et le sang chaud. Ils ont donc avec eux des qualités communes et exclusives, et par conséquent des rapports qu'on ne sauroit retrouver dans aucuns des animaux des rangs postérieurs. Mais ils manquent essentiellement de mamelles, organes dont les animaux du premier rang sont les seuls pourvus, et qui tiennent à un systême de génération qu’on ne retrouve plus ni dans les oiseaux, ni dans aucun des animaux des rangs qui vont suivre. Le diaphragme qui, dans les mammaux dividus mâles, en qui les vestiges de ces organes ont pu se trouver effacés. Il a des mandibules applaties, édentées munies de stries transversales, absolument comme dans les canards. Les doigts de ses pieds ont des membranes qui les unissent, comme dans les oiseaux aquatiques, mais qui sont plus amples. L’ornithorynchus est un cétacé qu’aucune considération fondée ne peut autant rapprocher des reptiles que des oiseaux < 18 > sépare complètement, quoique plus ou moins obliquement, la poitrine de l’abdomen, cesse ici d’exister et ne se retrouve plus dans aucun des autres animaux. Les oiseaux présentent donc dans leur organisation, un corps sans mamelles, ayant une tête distincte et quatre membres articulés ; un squelette à colonne vertébrale ; un cerveau et des nerfs ; un coeur à deux ventricules et le sang chaud ; des poumons adhérens pour la respiration ; ce sont des ovipares (1). LES REPTILES Au troisième rang se placent naturellement et nécessairement les reptiles ; puisqu'on ne retrouve plus dans leur coeur, qui est uniloculaire, cette conformation qui appartient essentiellement aux animaux du premier et du deuxième rang, et que leur sang est froid, presque comme celui des animaux des rangs postérieurs. Chez les reptiles, l’organe respiratoire, encore constitué par un véritable poumon, (1) On passe des oiseaux aux reptiles par les tortues. < 19 > est à cellules fort grandes, proportionnellement moins nombreuses et déjà fort simplifié. Dans beaucoup d’espèces, cet organe manque dans le premier âge, et se trouve alors remplacé par des branchies, organe respiratoire qu’on ne retrouve jamais dans les animaux des rangs antérieurs. Quelquefois ici les deux sortes d’organes cités pour la respiration, se rencontrent à la fois dans le même individu. Enfin c’est chez les reptiles que les quatre membres essentiels aux animaux les plus parfaits, se perdent presqu’entièrement ; car, excepté dans un poisson singulier d’Egypte, qui en offre encore quelques vestiges, on ne retrouve plus dans aucun des animaux des rangs postérieurs, rien qui soit analogue à ces quatre membres qui sont le propre de la conformation des animaux les plus parfaits. Ainsi, les reptiles présentent dans leur organisation, un corps sans mamelles, ayant une tête distincte, et quatre ou seulement deux ou même aucuns membres articulés ; un squelette dégradé, à colonne vertébrale ; un cerveau et des nerfs ; un coeur à un ventricule et le sang froid ; des poumons pour la < 20 > respiration, au moins dans le dernier âge ; ils sont ovipares (1). LES POISSONS En suivant le cours de cette dégradation soutenue dans l’ensemble de l’organisation et dans la diminution du nombre des facultés animales, on place nécessairement les poissons au quatrième rang. On ne retrouve plus en eux, ou que rarement et pendant un temps limité, l’organe respiratoire des animaux les plus parfaits ; c’est-à-dire qu’ils manquent en général de véritables poumons, et qu’ils n’ont à la place de cet organe que des branchies ou feuillets pedinés et vasculifères, disposés aux deux côtés du cou : l’eau que ces animaux respirent, entre par la bouche, passe entre les feuillets des branchies, et sort latéralement par les ouies. Ces animaux, ainsi que tous ceux des rangs postérieurs n'ont ni trachée-artère, ni larinx, ni voix véritable, ni paupières sur (1) L’on passe des reptiles aux poissons par les serpens et les anguilles. < 21 > les yeux. Voilà des organes et des facultés ici perdus, et qu’on ne retrouve plus dans le reste du règne animal. Leur sang est entièrement froid. Ainsi, les poissons offrent dans leur organisation, un corps sans mamelles, ayant une tête distincte et des nageoires, qui ne sont point en rapport avec les quatre membres articulés des animaux les plus parfaits ; un squelette très-dégradé, à colonne vertébrale ; un cerveau et des nerfs ; un coeur à un ventricule, et le sang froid ; des branchies pour la respiration, en général dans tous les âges, et toujours dans le premier ; ils sont ovipares. Anéantissement de la colonne vertébrale. Parvenus à ce point de l’échelle animale, la colonne vertébrale se trouve entièrement anéantie ; et comme cette colonne fait la base de tout véritable squelette, les animaux qui vont être cités en sont tous complétement dépourvus. Ainsi, aucun des animaux qui ne font point partie soit des mammaux, soit des oiseaux, soit des reptiles, soit enfin des poissons, n’est < 22 > muni de colonne vertébrale, et conséquemment n’a point de véritable squelette. Tous ceux qui sont dans ce cas ont donc des facultés plus bornées que ceux qui ont un squelette articulé dans ses parties ; puisqu’outre l’affermissement que ceux-ci en retirent pour leur corps, ils en obtiennent des moyens plus étendus et plus variés pour leurs mouvemens divers ; moyens dont ceux des animaux sans vertèbres qui ont des parties dures à l’extérieur, ne sauroient malgré cela posséder aussi complétement. D’ailleurs aucun des animaux sans vertèbres (sans colonne vertébrale) ne respire par des poumons cellulaires ; aucun d’eux n’a de voix, ni conséquemment d’organe pour cette faculté ; enfin ils paroissent la plupart dépourvus de véritable sang. Ici se perd en outre l’iris qui caractérise les yeux des animaux les plus parfaits car parmi les animaux sans vertèbres, ceux qui ont des yeux, n’en ont pas qui soient distinctement orné d’iris. Il est donc évident que les animaux sans vertèbres sont tous plus éloignés des animaux les plus parfaits, dans l’ordre naturel des rapports, que ceux qui font partie des qua- [quatre] < 23 > tre premières classes du règne animal. Jamais on ne pourra contester cet ordre parce qu’il est fondé sur les considérations les plus importantes de l’organisation. Voyons maintenant si les classes et les grandes familles qui partagent la série des innombrables animaux sans vertèbres, présentent aussi dans la comparaison de ces masses entr’elles, une dégradation croissante dans la composition de l’organisation des animaux qu’elles comprennent. LES MOLLUSQUES Le cinquième rang, dans l’échelle graduée que forme la série générale des animaux, appartient de toute nécessité aux mollusques ; car devant être placés un degré plus bas que les poissons, puisqu’ils n’ont plus de colonne vertébrale, ce sont néanmoins les mieux organisés des animaux sans vertèbres. Ils respirent par des branchies comme les poissons, et ont tous un cerveau, des nerfs, et un ou plusieurs coeurs uniloculaires. En effet l’organisation des mollusques offre un corps sans colonne vertébrale, mollasse, non articulé ni annelé, tantôt pourvu et tan- [tantôt] < 24 > tôt dépourvu de tête, muni d’un manteau de forme variable, et ayant un cerveau et des nerfs ; des artères et des veines ; des branchies pour la respiration. Ils sont tous ovipares. LES ANNELIDES La nouvelle classe des annelides, que j’avois confondue avec les vers, ainsi que tous les naturalistes jusqu’à l’époque récente où le C. Cuvier fit connoître l’organisation des animaux qu’elle comprend, vient nécessairement après celle des mollusques, et occupe le sixième rang. Les annelides respirent par des branchies externes, tantôt saillantes et tantôt confondues ou cachées dans les pores de leur peau. Leur organisation présente un corps alongé, mollasse, sans colonne vertébrale, sans pattes articulées, annelé plus ou moins distinctement, et qui ne subit point de métamorphose. Elle offre en outre une moelle longitudinale et des nerfs ; des artères, des veines et une espèce de sang rougeâtre qui y circule ; des branchies pour la respiration. Ils sont ovipares. < 25 > Deux poches séparées, situées à la base des deux principaux troncs des artères, sont les coeurs de ces animaux. Cette organisation bien plus parfaite que celle des vers, et même que celle des insectes, les en éloigne considérablement ; et comme le défaut de pattes articulées dans les annelides, ainsi que la disposition verticale des mâchoires dans les espèces qui en ont, leur donnent moins de rapports avec les insectes que n’en ont les crustacés et les arachnides, on doit de toute nécessité les placer à la suite des mollusques. LES CRUSTACÉS La classe des crustacés, qu’on avoit jusqu’à présent confondue avec celle des insectes, comme le font encore quelques auteurs qui font peu de cas des découvertes qui leur sont étrangères, doit suivre immédiatement celle des annelides, et occuper le septième rang. La considération de l’organisation l’exige il n’y a point d’arbitraire à cet égard. En effet, les crustacés ont un coeur, des artères et des veines, et ils respirent tous et < 26 > toujours par des branchies. Voilà ce qui est incontestable, et ce qui fera toujours le tourment de ceux qui, pour suivre les divisions anciennes, s’obstinent à les ranger parmi les insectes. Les crustacés ont même plus de rapports avec les arachnides qu’avec les insectes, puisque, ainsi que les arachnides, ils ont en naissant la forme qu’ils doivent toujours conserver. On les en distingue en ce qu’ils n’ont jamais de stigmates ni de trachées aérifères. L’organisation des crustacés offre un corps sans colonne vertébrale, ayant des membres articulés, recouvert d’une peau crustacée divisée en plusieurs pièces, et qui ne subit point de métamorphose. Elle offre en outre une moelle longitudinale et des nerfs, des artères et des veines, des branchies pour la respiration ; ce sont des ovipares. Anéantissement du coeur Ici se termine l’existence du coeur, c’est-à-dire de cet organe singulier, spécial pour la circulation des fluides, et qui est si re- [remarquable] < 27 > marquable dans les animaux les plus parfaits. On ne retrouve plus rien de semblable dans ceux que nous allons citer ; et quelle que soit la nature du mouvement de leurs fluides, ce mouvement ne peut être comparable à celui des animaux qui ont un coeur ; il s’opère par des moyens moins actifs ; il doit donc être bien plus ralenti. LES ARACHNIDES Au huitième rang, viennent de toute nécessité les arachnides, qui présentent jusques-là le premier exemple d’un organe respiratoire inférieur aux branchies (des trachées aérifères), puisqu’il n’a jamais lieu dans les systêmes d’organisation qui admettent un coeur, des artères et des veines. Néanmoins, quoique plus voisins des insectes que les crustacés, les arachnides n’en doivent pas moins être distingués des insectes, et les précéder dans l’ordre du perfectionnement de l’organisation ; car ils ont, comme tous les animaux de tous les rangs antérieurs, la faculté d’engendrer plusieurs fois dans le cours de leur vie, faculté dont presque tous les insectes sont privés. < 28 > En outre les arachnides doivent former une classe particulière, car ils ne subissent point de métamorphose, et ils ont dès les premiers développemens de leur corps, des pattes articulées, et des yeux à la tête. Leurs rapports avec les crustacés forcent de les placer entre ceux-ci et les insectes. L’organisation des arachnides présente un corps sans colonne vertébrale, ne subissant point de métamorphose, ayant en tout temps des yeux à la tête et des pattes articulées. Elle offre en outre une moelle longitudinale et des nerfs, un systême de circulation nul ou obscurément prononcé, des stigmates et des trachées pour la respiration. Ce sont des ovipares. LES INSECTES Après les arachnides, viennent immédiatement et nécessairement les insectes, c’est-à-dire cette immense série d’animaux qui subissent des métamorphoses, qui ont en naissant un état moins parfait que celui dans lequel ils se régénèrent, et qui tous, ou presque tous, n’engendrent qu’une seule fois dans le cours de leur vie. Ils occupent donc, < 29 > sans arbitraire, le neuvième rang dans l’échelle animale. Ces animaux, infiniment curieux par les particularités relatives à leur organisation, à leurs métamorphoses et à leurs habitudes, ont une organisation moins composée que celle des mollusques, des annelides et des crustacés ; puisque le systême de circulation constitué par des artères et des veines manque entièrement chez eux, selon les observations du citoyen Cuvier. L’organisation des insectes présente un corps sans colonne vertébrale, subissant des métamorphoses diverses (1), et ayant dans l’état parfait des yeux et des antennes à la tête, six pattes articulées, des stigmates sur les côtés du corps, et des trachées qui se répandent par-tout. Elle offre en outre une moelle longitudinale noueuse et des nerfs ; un défaut absolu d’artères et de veines. Ce sont les derniers animaux qui offrent une génération sexuelle, et qui soient vraiment ovipares. (1) Si quelqu’anomalie par avortement habituel, efface dans une espèce tout vestige de métamorphose, ce cas doit être jugé par la considération des congénères, comme on fait dans la botanique où il est fréquent. < 30 > Anéantissement de la fécondation sexuelle. Ici me paroissent s’éteindre totalement toutes les traces de la fécondation sexuelle ; et en effet, dans les animaux qui vont être cités, il n’est plus possible de découvrir le moindre indice d’une véritable fécondation. Néanmoins nous allons encore retrouver dans les animaux des deux classes qui suivent, des espèces d’ovaires abondans en corpuscules oviformes. Mais je regarde ces espèces d’oeufs, qui peuvent produire sans fécondation, comme des gemmules internes, en un mot, comme constituant une génération gemmipare interne, faisant le passage à la génération sexuelle, dite ovipare. Leur mode de génération les constitue pour moi des gemmovipares. LES VERS La classe qui doit suivre immédiatement les insectes, ne peut être autre que celle des vers. Elle seule peut être placée au dixième rang. Comme les insectes, beaucoup de vers < 31 > paroissent encore respirer par des trachées, dont les ouvertures à l’extérieur sont des stigmates ; mais je soupçonne que ces trachées sont aquifères et non aérifères, comme celles des insectes. Plusieurs vers laissent en outre appercevoir quelques vestiges d’une moelle longitudinale et de nerfs, ce qui leur donne quelques rapports avec les insectes. Néanmoins les vers diffèrent essentiellement des insectes, en ce qu’ils conservent leur état toute leur vie, et qu’ils n’ont jamais de pattes articulées et jamais d’yeux. L’organisation des vers présente un corps mou, sans colonne vertébrale, n’ayant jamais d’yeux, jamais de pattes articulées, ne subissant point de métamorphose, et ne vivant que dans l’intérieur des autres animaux. Elle offre en outre quelques vestiges de nerfs dans plusieurs, des stigmates pour la respiration, un défaut absolu de circulation artérielle et veineuse : ce sont des gemmovipares. < 32 > Anéantissement de l’organe de la vue. Dans une partie des mollusques et des annelides, l’organe de la vue a commencé à manquer ; beaucoup d’insectes en sont privés dans le premier âge ; mais c’est dans les animaux de la classe des vers que cet organe, si utile aux animaux les plus parfaits, se trouve pour toujours totalement anéanti. Il en est de même de l’ouïe, sens qui cesse totalement d’exister, et qu’on ne retrouvera plus dans les animaux que je vais mentionner. Enfin la langue, ou ce qui en tenoit lieu dans les animaux antérieurs, manque encore tout à fait ici, et ne se retrouve plus dans aucun autre. LES RADIAIRES Nous voilà parvenus au onzième rang, où il faut placer nécessairement les radiaires qui composent l’avant-dernière classe des animaux sans vertèbres et de tout le règne animal. Quoique ces animaux fort singuliers soient en général encore peu connus, ce qu’on sait de leur organisation indique évidemment la < 33 > place que je leur assigne. En effet, l’organe spécial du sentiment, dont tous les animaux des classes précédentes sont doués, ne se distingue plus chez eux. Il paroît qu’ils n’ont réellement ni moelle longitudinale ni nerfs, et qu’ils ne sont plus que simplement irritables. Cependant les radiaires ne forment pas le dernier échelon que l’on puisse assigner dans le règne animal. Il faut encore descendre nécessairement, et distinguer ces animaux des polypes qui constituent véritablement le dernier anneau de cette chaîne intéressante. Il n’est pas plus possible de confondre les radiaires avec les polypes, qu’il ne l’est de ranger les crustacés parmi les insectes, ou les reptiles parmi les poissons. En effet, dans les radiaires, non-seulement on apperçoit encore des organes qui paroissent destinés à la respiration ; mais on observe en outre des organes particuliers pour la génération, tels que des ovaires de diverses formes. A la vérité, rien ne constate, rien même n’indique que les prétendus oeufs qui naissent de ces ovaires reçoivent une fécondation sexuelle ; et je les regarde comme < 34 > des gemmules internes et perfectionnées, par une suite nécessaire des rapports des radiaires avec les polypes, dont les premiers ordres offrent des gemmipares externes. Il n'est donc pas convenable de confondre les radiaires avec les animaux de la dernière classe, en qui aucun organe spécial, soit pour la génération, soit pour la respiration, n’est perceptible. L’organisation des radiaires présente un corps sans colonne vertébrale, régénératif dans toutes ses parties, dépourvu de tête, d’yeux, de pattes articulées, et ayant une disposition générale dans ses parties à la forme rayonnante. Elle offre en outre un défaut complet des organes du sentiment, des organes de la circulation et seulement la présence de quelques organes spéciaux soit pour la respiration, soit pour la génération ce sont des gemmovipares. Plus d’yeux, plus d’ouïe : les sens de l’odorat et du goût n’y sont sensés exister que par hypothèse. < 35 > LES POLYPES Après tous les autres animaux, viennent enfin les polypes. Ils composent nécessairement la dernière classe du règne animal, et présentent le dernier des échelons qu’on a pu remarquer dans ce règne, c’est-à-dire, le douzième et dernier rang. C’est parmi eux que se trouve le terme inconnu de l’échelle animale, en un mot les premières ébauches de l’animalisation ; ébauches que la nature forme et multiplie avec tant de facilité dans les circonstances favorables ; mais aussi qu’elle détruit si facilement et si promptement par la simple mutation des circonstances propres à les conserver ce que je mettrai bientôt dans la plus grande évidence. Quoique les polypes soient les moins connus de tous les animaux, ce sont sans contredit ceux dont l’organisation est la plus simple, et ceux par coséquent qui ont le moins de facultés. On ne retrouve en eux aucun organe particulier, soit pour le sentiment, soit pour la respiration, soit pour la circulation, soit enfin < 36 > pour la génération. Tous leurs viscères se réduisent à un simple canal alimentaire qui, comme un conduit aveugle, ou comme un sac, n’a qu’une seule ouverture qui est à la fois la bouche et l’anus. Le toucher est le seul sens qui reste aux polypes, et ainsi que dans les radiaires, il ne s’exerce plus par l’influence des nerfs. Tous les points de leur corps paroissent se nourrir par succion et absorption, autour du canal alimentaire. L’animal retourné, comme on retourne un gant, peut continuer de vivre, sa peau externe étant devenue pour lui membrane intestinale ; et tous les points de son corps en étant separés d’une manière quelconque, sont régénérateurs de l’animal entier. En un mot, on peut dire que tous les points du corps de ces animaux ont en eux-mêmes cette modification de la faculté de sentir, qui constitue l’irritabilité et la nature animale. Enfin, les animalcules qui terminent le dernier ordre des polypes, ne sont plus que des points animalisés, que des corpuscules gélatineux, transparens, d’une forme très-simple, et contractiles dans tous les sens. C’est parmi eux sans doute que se trou- [trouvent] < 37 > vent les premières ébauches de l’animalité opérées directement par la nature, en un mot, les générations spontanées. Sans doute elles échapperont toujours à nos sens à cause de leur extrême petitesse et de leur état particulier ; et conséquemment elles ne nous seront jamais connues que par des voies d’induction. Mais cette condition à laquelle les bornes de nos sens nous réduisent, n’anéantit nullement les inductions aux quelles nous arrivons par un examen suivi des faits bien observés. Tel est, citoyens, le résumé succinct des faits généraux relatifs à l’organisation de tous les animaux connus, et l’ordre admirable qu’indique cette organisation. (Voyez le tableau ci-joint.) Les faits qu’il présente sont pour la plupart très-connus, et conséquemment ne peuvent être contestés, ni considérés comme des hypothèses. C’est donc un fait maintenant incontestable, qu’il existe dans les masses qui composent l’échelle animale, une dégradation soutenue dans l’organisation des animaux qu’elles comprennent ; une simplification croissante de l’organisation de ces corps < 38 > vivans, et une diminution progressive du nombre de leurs facultés. En sorte que si l’extrémité inférieure de cette échelle offre le minimum de l’animalité, l’autre extrémité en présente nécessairement le maximum. Remontez du plus simple au plus composé ; partez de l’animalcule le plus imparfait, et élevez-vous le long de l’échelle jusqu’à l’animal le plus riche en organisation et en facultés ; conservez par-tout l’ordre des rapports dans les masses ; alors vous tiendrez le véritable fil qui lie toutes les productions de la nature, vous aurez une juste idée de sa marche, et vous serez convaincus que les plus simples de ses productions vivantes ont successivement donné l’existence à toutes les autres. Avant de faire voir que la nature a effectivement suivi cette marche dans la formation de toutes ses productions vivantes, je vais prouver que les faits particuliers qu’on a saisis pour nier la série qui constitue l’échelle animale, ont été mal jugés, et je vais poser les véritables principes rélatifs à cette série. < 39 > La série qui constitue l’échelle animale réside dans la distribution des masses, et non dans celle des individus et des espèces. J’ai déjà dit (1) que par cette graduation nuancée dans la complication de l’organisation, je n’entendois point parler de l’existence d’une série linéaire et régulière considérée dans les espèces et même dans les genres une pareille série n’existe pas. Mais je parle d’une série assez régulièrement graduée dans les masses principales, c’est-à-dire dans les principaux systêmes d’organisation reconnus, qui donnent lieu aux classes et aux grandes familles observées ; série très-assurément existante, soit dans les animaux, soit dans les végétaux, quoique dans la considération des genres et sur-tout dans celle des espèces, elle soit dans le cas d’offrir en beaucoup d’endroits des ramifications latérales dont les extrémités sont des points véritablement isolés. Or, quoiqu’on ait nié dans un ouvrage (1) Syst. des animaux sans vertèbres, p. 16 et 17. < 40 > très-moderne, l’existence dans un règne d’une série unique, naturelle, et à la fois graduée dans la composition de l’organisation des êtres qu’elle comprend, série à la vérité formée nécessairement de masses subordonnées les unes aux autres sous le rapport de l’organisation, et non d’espèces ni même de genres considérés isolément ; je demande quel est le Naturaliste instruit qui maintenant voudroit présenter un ordre différent dans le placement des douze classes du règne animal dont je viens de faire l’exposition ? Qui est-ce qui osera assurer que l’ordre que je viens d’indiquer, est un ordre systématique, arbitraire, et qu’il lui faut préférer une disposition qui présente les classes, les ordres et les genres placés dans différens points, soit en manière de réticulation, soit comme ceux d’une carte de géographie ou d’une mappemonde ? J’ai déjà fait connoître ce que je pensois de cette vue, qui a paru sublime à quelques modernes, et que le professeur Herman avoit essayé d’accréditer. Je ne doute pas qu’à mesure qu’on aura des connoissances plus profondes sur l’organisation des corps vivans, qu’on s’occupera moins exclusivement de la < 41 > considération des espèces, et qu’on aura plus étudié la nature, cette vue erronée ne soit abandonnée totalement, et même généralement rejetée. La série unique dont je viens de parler ne peut donc se déterminer que dans le placement des masses, parce que ces masses, qui constituent les classes et les grandes familles, comprennent chacune des êtres dont l’organisation générale est dépendante de tel systême particulier d’organes essentiels. Ainsi, chaque masse distincte a son systême particulier d’organes essentiels, et ce sont ces systêmes particuliers qui vont en se dégradant, depuis celui qui présente la plus grande complication, jusqu’à celui qui est le plus simple. Mais chaque organe considéré isolément, ne suit pas une marche aussi régulière dans ses dégradations : il la suit même d’autant moins, qu’il a lui-même moins d’importance. En effet, les organes de peu d’importance ou non essentiels à la vie, ne sont pas toujours en rapport les uns avec les autres dans leur perfectionnement ou leur dégradation ; en sorte que si l’on suit toutes les espèces d’une classe, on verra que tel organe, dans telle < 42 > espèce, jouit de son plus haut degré de perfection ; tandis que tel autre organe, qui dans cette même espèce et fort appauvri ou fort imparfait, se trouve très-perfectionné dans telle autre espèce. Ces variations irrégulières dans le perfectionnement et dans la dégradation des organes non essentiels, tiennent à ce que ces organes sont plus soumis que les autres aux influences des circonstances extérieures ; elles en entraînent de semblables dans la forme et dans l’état des parties les plus externes, et donnent lieu à une diversité si considérable et si singulièrement ordonnée des espèces, qu’au lieu de les pouvoir ranger, comme les masses, en une série unique, simple et linéaire, sous la forme d’une échelle régulièrement graduée, ces mêmes espèces forment souvent autour des masses dont elles font partie, des ramifications latérales, dont les extrémités offrent des points véritablement isolés. Il faut, pour changer chaque systême intérieur d’organisation, un concours de circonstances plus influentes et de bien plus longue durée, que pour altérer et modifier les organes extérieurs. < 43 > J’observe néanmoins que lorsque les circonstances l’exigent, la nature passe d’un systême à l’autre, sans faire de saut, pourvu qu’ils soient voisins. C’est en effet par cette faculté qu’elle est parvenue à les former tous successivement, en procédant du plus simple au plus compose. Il est si vrai qu’elle a cette faculté, qu’elle passe d’un systême à l’autre, non-seulement dans deux familles différentes lorsqu’elles sont voisines par leurs rapports, mais encore elle passe d’un systême à l’autre dans un même individu. Les systêmes d’organisation qui admettent pour organe de la respiration des poumons véritables, sont plus voisins des systêmes qui admettent des branchies, que ceux qui exigent des trachées, Ainsi, non-seulement la nature passe des branchies aux poumons dans des classes et dans des familles voisines comme l’indique la considération des poissons et des reptiles mais elle y passe même pendant l’existence d’un même individu, qui jouit successivement de l’un et de l’autre systême. On sait que la grenouille dans l’état imparfait de têtard, respire par des branchies, tandis que dans son état plus parfait < 44 > de grenouille elle respire par des poumons. On ne voit nulle part la nature passer d’un systême à trachées à un systême à poumons. Il est donc vrai de dire qu’il existe pour chaque règne des corps vivans une série unique et graduée dans la disposition des masses, conformément à la composition croissante de l’organisation, en s’élevant dans le règne animal des animalcules les plus simples jusqu’aux animaux les plus parfaits. Tel paroît être le véritable ordre de la nature, et tel est effectivement celui que l’observation la plus attentive, et qu’une étude suivie de tous les traits qui caractérisent sa marche, nous offrent évidemment. Revenons à la simplification croissante de l’organisation, à mesure que l’on procède des animaux les plus parfaits vers ceux qui le sont moins, et considérons sur-tout la manière dont se perd progressivement l’isolement en des lieux particuliers des organes essentiels. On n’a pas fait assez d’attention à la simplification croissante de l’organisation vers l’extrémité de l’échelle, soit animale soit végétale, qui offre les corps vivans les plus simples, et sur-tout on n’en a donné < 45 > presque aucune à cette observation, qui nous apprend qu’à mesure que l’organisation se simplifie, les organes essentiels cessent d’être isolés, perdent leur centre ou foyer particulier, deviennent peu à peu communs à toutes les parties, sont modifiés dans leur nature, et à la fin disparoissent tout-à-fait. Lorsque nous avons considéré l’organe de la circulation des fluides, que l’on sait être si perfectionné dans les animaux à mamelles, et dont le coeur en est le foyer isolé ; nous l’avons vu se dégrader d’abord dans son foyer avec beaucoup de diversité, ensuite dans les autres parties qui s’y rapportent, ainsi que dans les fluides qu’il fait mouvoir, et nous perdons entièrement cet organe long-temps avant d’être parvenus à l’autre extrémité de l’échelle animale. Nous observons la même chose à l’égard de l’organe de la respiration qui, très-isolé dans les animaux les plus parfaits, y est connu sous le nom de poumon. Nous l’avons vu se dégrader peu à peu dans chaque masse ou dans chaque systême, se transformer en branchies, puis en trachées aériennes, qui se répandent par-tout, puis en trachées aquifères, puis enfin disparoître totalement, < 46 > n’étant sans doute suppléé que par des pores qui absorbent l’eau. La même chose se rend singulièrement remarquable dans l’organe du sentiment, dont le cerveau est le foyer, et qu’on sait être si compliqué et si perfectionné dans l’homme. Ce foyer se dégrade aussi bientôt de diverses manières, s’évanouit ensuite, et est remplacé par des ganglions médullaires, qui à la fin disparoissent eux-mêmes, ainsi que les faisceaux et les filets nerveux. Les derniers ordres du règne animal ne nous offrent plus en effet la moindre trace de cet organe. Tous les autres organes sont dans le même cas, en sorte que ceux de la génération, qui ont tant d’importance pour la nature, n’en sont pas même exceptés. Dans les animaux à mamelles, et qui sont les plus parfaits, nous voyons une génération sexuelle constituant des vivipares ; une succession immédiate du mouvement vital dans l’embryon, à la fécondation qu’il vient de recevoir ; une nutrition du foetus pendant ses premiers développemens, aux dépens de la substance de la mère, avec laquelle il ne cesse de communiquer jusqu’à sa naissance. < 47 > Cette génération, qui ne se retrouve plus dans aucun des degrés inférieurs, est remplacée par la génération sexuelle dite ovipare, dans laquelle on remarque un intervalle entre l’acte de la fécondation de l’embryon, et le premier mouvement vital que l’incubation lui communique. Il est bon de remarquer que dans les ovipares aucun des organes de la fécondation n’est en saillie au-dehors, comme cela a lieu dans celle des animaux du premier rang. Dans des degrés inférieurs, on voit à la génération des ovipares succéder une génération dans laquelle aucun vestige de fécondation, ni aucune apparence d’organes sexuels ne se manifestent. Je l’ai nommée génération des gemmovipares, parce qu’elle paroît constituer des gemmipares internes, c’est-a-dire qui offrent des gemmes internes, ressemblant à des œufs(1). Or, l’existence bien constatée des gemmipares externes dans les polypes, rend très-probable celle des (1) Dans les végétaux, les prétendues graines des champignons des algues, et vraisemblablement des mousses et des fougeres, ne sont que des gemmules ou des corpuscules reproductif s, qui n’ont besoin d’aucune fécondation pour se former et reproduire un végétal semblable à celui d’où ils proviennent. Dans les végétaux imparfaits, comme dans les animaux imparfaits ou le plus simplement organisés, le plan de la nature est constamment le même. < 48 > gemmipares internes, comme passage ou acheminement de la nature, qui tend à créer la génération sexuelle des ovipares. Ainsi dans les degrés les plus bas, la nature supplée à l’appauvrissement de ses moyens pour la génération par des bourgeons ou des gemmes qui n’exigent plus de fécondation, et qui résultent d’une faculté régénératrice également répandue dans toutes les parties de l’animal. A la fin des scissions de parties, qu’elle-même effectue, deviennent dans ses mains le moyen qu’elle est forcée d’employer, pour multiplier les individus parmi les corps vivans les plus simplement organisés. Nous avons considéré les choses en suivant un ordre inverse à celui de la nature ; mais si on les considère en prenant l’ordre opposé, c’est-à-dire en partant du plus simple pour s’élever graduellement jusqu’aux objets les plus composés, qui est-ce qui ne voit pas < 49 > dans les faits que je viens de citer les résultats très-marqués de la tendance du mouvement organique, à développer et composer l’organisation, et en même temps celle qu’il a à réduire en fonctions particulières à certaines parties, les fonctions qui furent originairement, c’est-à-dire dans les corps vivans les plus simples, des facultés générales et communes à tous les points du corps de l’individu ? Je reprends maintenant l’examen de l’échelle animale, et je dis qu’en s’élevant sur cette échelle depuis l’animalcule le plus simplement organisé et le plus pauvre en facultés, jusqu’à l’animal le plus riche en facultés et en organisation, on se conforme à la marche qu’a suivie la nature dans la formation de toutes ses productions vivantes. Pour que l’on puisse saisir le fondement de cette assertion, il convient de faire remarquer d’abord tout ce qui résulte de la proposition suivante, et tout ce qui la fonde. < 50 > Ce ne sont pas les organes, c’est-à-dire la nature et la forme des parties du corps d’un animal, qui ont donné lieu à ses habitudes et à ses facultés particulières ; mais ce sont au contraire ses habitudes, sa manière de vivre, et les circonstances dans lesquelles se sont rencontrés les individus dont il provient, qui ont avec le temps constitué la forme de son corps, le nombre et l’état de ses organes, enfin les facultés dont il jouit. Que l’on pèse bien cette proposition, et qu’on y rapporte toutes les observations que la nature et l’état des choses nous mettent sans cesse dans le cas de faire ; alors son importance et sa solidité deviendront pour nous de la plus grande évidence. Si l’on considère, comme je l’ai dit ailleurs, la diversité des formes, des masses, des grandeurs et des caractères que la nature a donnés à ses productions ; la variété des organes et des facultés dont elle a enrichi les êtres qu’elle a doués de la vie ; on ne peut s’empêcher d’admirer les ressources infinies que < 51 > ’Auteur suprême de son existence lui a données pour arriver à son but. On apperçoit en effet que l’extrême multiplicité de ces ressources naît elle-même de la diversité inexprimable des situations et des circonstances qui, dans tous les points de la surface du globe, influent avec le temps sur chaque corps doué de la vie, et le constituent dans l’état où il se trouve. Cette diversité dans les formes, dans le nombre et le développement des organes ainsi que des facultés, est si considérable, qu’il semble que tout ce qu’il est possible d’imaginer ait effectivement lieu ; que toutes les formes, toutes les facultés et tous les modes aient été épuisés dans la formation et la composition de cette immense quantité de productions naturelles qui existent. Au reste, Si l’on examine avec attention les moyens que la nature paroît employer pour cet objet, l’on sentira que leur puissance et leur fécondité ont pu suffire pour produire tous les effets dont il s’agit. Du temps et des circonstances favorables, sont, comme je l’ai déjà dit, les deux principaux moyens qu’emploie la nature pour donner l’existence à toutes ses productions. < 52 > On sait que le temps n’a point de limite pour elle, et qu’en conséquence elle l’a toujours à sa disposition. Quant aux circonstances dont elle a eu besoin et dont elle se sert encore chaque jour pour varier tout ce qu’elle continue de produire, on peut dire qu’elles sont en quelque sorte inépuisables pour elle. Les principales naissent de l’influence des climats ; de celle des diverses températures de l’atmosphère et de tous les milieux environnans ; de celle de la diversité des lieux et de leur situation ; de celle des habitudes, des mouvemens les plus ordinaires, des actions les plus fréquentes ; enfin de celle des moyens de se conserver, de la manière de vivre, de se défendre, de se multiplier, etc. Or, par suite de ces influences diverses, les facultés s’étendent et se fortifient par l’usage, se diversifient par les nouvelles habitudes long-temps conservées, et insensiblement la conformation, la consistance, en un mot, la nature et l’état des parties ainsi que des organes, participent des suites de toutes ces influences, se conservent et se propagent par la génération. Systême des animaux sans vertèbres, p. 13. < 53 > Ces vérités, dont vous trouverez quelques traces succinctement énoncées dans mon systême des animaux sans vertèbres, et qu’à force d’observations je suis parvenu à reconnoître, sont, dans tous les cas, éminemment confirmées par les faits ; elles indiquent clairement la marche de la nature dans la diversité de ses productions. Il m’est aisé de faire voir que l’habitude d’exercer un organe, dans tout être vivant qui n’a point atteint le terme de la diminution de ses facultés, non-seulement perfectionne cet organe, mais même lui fait acquérir des développemens et des dimensions qui le changent insensiblement ; en sorte qu’avec le temps, elle le rend fort différent du même organe considéré dans un autre être vivant qui ne l’exerce point ou presque point. Il est aussi très-facile de prouver que le défaut constant d’exercice d’un organe, l’appauvrit graduellement et finit par l’anéantir. Si, à deux enfans nouveaux nés et de sexes différens, l’on masquoit l’oeil gauche pendant le cours de leur vie si ensuite on les unissoit ensemble, et l’on faisoit constamment la même chose à l’égard de leurs < 54 > enfans, ne les unissant jamais qu’entre eux, je ne doute pas qu’au bout d’un grand nombre de générations, l’oeil gauche chez eux ne vînt à s’oblitérer naturellement, et insensiblement à s’effacer. Par la suite même d’un temps énorme, les circonstances nécessaires restant les mêmes, l’oeil droit parviendroit petit à petit à se déplacer. Mettons cela en évidence par la citation de faits connus. Des yeux à la tête sont une partie essentielle du systême d’organisation des mammaux. Cependant la taupe, qui par ses habitudes fait très-peu d’usage de la vue, n’a que des yeux très-petits et à peine apparens, parce qu’elle exerce très-peu cet organe. L’aspalax d’Olivier (Bulletin des sc. N°38, p.105), qui vit sous terre comme la taupe, et qui vraisemblablement s’expose encore moins qu’elle à la lumière du jour, a totalement perdu l’usage de la vue. Aussi n’offre-t-il plus que des vestiges de l’organe qui en est le siège ; et encore ces vestiges sont tout-à-fait cachés sous la peau et sous quelques autres parties qui les recouvrent et ne laissent plus le moindre accès à la lumière. En < 55 > revanche, le besoin d’entendre ayant contraint ce petit animal à exercer continuellement son ouïe, a fortement agrandi en lui l’appareil intérieur de cet organe. Il entre dans le systême d’organisation des mammaux d’avoir des mâchoires armées de dents pour exécuter la mastication. Cependant qu’un animal de ce rang prenne l’habitude, par des circonstances déterminantes, d’avaler sa nourriture sans jamais exercer de mastication, la continuité de cette habitude conservée dans toute sa race, fera perdre les dents à tous les individus qui la composent, et l’animal dont il est question sera, comme nous voyons le fourmilier (myrmecophaga), entièrement dépourvu de dents. C’est aussi parce que les oiseaux ne mâchent réellement pas, les uns avalant leur nourriture qu’ils saisissent avec leur bec, et les autres la divisant par un seul effort sans broiement, que les animaux de cette classe ont tous des mandibules privées de dents à alvéoles. L’on vient de voir que le défaut d’emploi d’un organe qui devroit exister, le modifie, l’appauvrit, et finit par l’anéantir. < 56 > Je vais maintenant démontrer que l’emploi continuel d’un organe, avec des efforts faits pour en tirer un grand parti dans des circonstances qui l’exigent, fortifie, étend et agrandit cet organe, ou en crée de nouveaux, qui peuvent exercer des fonctions devenues nécessaires. L’oiseau que le besoin attire sur l’eau pour y trouver la proie qui le fait vivre, écarte les doigts de ses pieds lorsqu’il veut frapper l’eau et se mouvoir à sa surface. La peau qui unit ces doigts à leur base, contracte par ces écartemens sans cesse répétés des doigts, l’habitude de s’étendre. Ainsi avec le temps, les larges membranes qui unissent les doigts des canards, des oies, &c. se sont formées telles que nous le voyons. Les mêmes efforts faits pour nager, c’est-à-dire, pour pousser l’eau afin d’avancer et de se mouvoir dans ce liquide, ont étendu de même les membranes qui sont entre les doigts des grenouilles, des tortues de mer, &c. Au contraire l’oiseau que sa manière de vivre habitue à se poser sur les arbres, et qui provient d’individus qui avoient tous contracté cette habitude, a nécessairement les doigts des pieds plus alongés, et conformés < 57 > d’une autre manière que ceux des animaux aquatiques que je viens de citer. Ses ongles avec le temps se sont alongés, aiguisés et courbés en crochet pour embrasser les rameaux sur lesquels l’animal se repose si souvent. De même l’on sent que l’oiseau de rivage, qui ne se plaît point à nager, et qui cependant a besoin de s’approcher des bords de l’eau pour y trouver sa proie, sera continuellement exposé à s’enfoncer dans la vase. Or, cet oiseau voulant faire en sorte que son corps ne plonge pas dans le liquide, fait tous ses efforts pour étendre et alonger ses pieds. Il en résulte que la longue habitude que cet oiseau et tous ceux de sa race contractent d’étendre et d’alonger continuellement leurs pieds, fait que les individus de cette race se trouvent élevés comme sur des échasses, ayant obtenu peu à peu de longues pattes nues, c’est-à-dire, dénuées de plumes jusqu’aux cuisses et souvent au-delà. Systême des animaux sans vertèbres, p. 14. L’on sent encore que le même oiseau voulant pécher sans mouiller son corps, est obligé de faire de continuels efforts pour alonger son col. Or, les suites de ces efforts ha- [habituels] < 58 > bituels dans cet individu et dans ceux de sa race, ont dû avec le temps lui alonger singulièrement le col ; ce qui est en effet constaté par le long col de tous les oiseaux de rivage. Si quelques oiseaux nageurs, comme le cygne et l’oie, et dont les pattes sont courtes, ont néanmoins un col fort alongé, c’est que ces oiseaux, en se promenant sur l’eau, ont l’habitude de plonger leur tête dans l’eau aussi profondément qu’ils peuvent, pour y prendre des larves aquatiques et différens animalcules dont ils se nourrissent, et qu’ils ne font aucun effort pour alonger leurs pattes. Qu’un animal, pour satisfaire à ses besoins, fasse des efforts répétés pour alonger sa langue, elle acquerra une longueur considérable ; qu’il ait besoin de saisir quelque chose avec ce même organe, alors sa langue se divisera et deviendra fourchue. Celle des oiseaux-mouches, etc. offre une preuve de ce que j’avance. Le quadrupède à qui les circonstances ont depuis long-temps donné, ainsi qu’à ceux de sa race, l’habitude de brouter l’herbe, et de marcher ou de courir simplement sur la terre, a une corne épaisse qui enveloppe < 59 > l’extrémité des doigts de ses pieds. Comme ils servent peu, la plupart d’entre eux se raccourcissent, s’effacent et disparoissent. Au lieu que celui que d’autres circonstances ont forcé, ainsi que toute sa race, soit à grimper, soit à vivre de chair, et pour cela à attaquer et mettre à mort sa proie, a eu besoin continuellement d’enfoncer l’extrémité de ses doigts dans l’épaisseur des corps qu’il veut saisir. Or, cette habitude, en favorisant la séparation de ses doigts, lui a graduellement formé les griffes dont nous les voyons armés. Il y a plus, celui que le besoin, et conséquemment que l’habitude de déchirer avec ses griffes, a mis dans le cas tous les jours de les enfoncer profondément dans le corps d’un autre animal, afin de s’y accrocher et ensuite de faire effort pour arracher la partie saisie, a dû, par ces efforts répétés, procurer à ces griffes, une grandeur et une courbure qui l’eussent ensuite beaucoup gêné pour marcher ou courir sur les sols pierreux. Il est arrivé dans ce cas que l’animal a été obligé de faire d’autres efforts pour retirer en arrière ces griffes trop saillantes et crochues qui le gênoient ; et il en est résulté, petit à petit, la < 60 > formation de ces gaînes particulières dans lesquelles les chats, les tigres, les lions, &c. retirent leurs griffes lorsqu’ils ne s’en servent point. Ainsi, les efforts dans un sens quelconque, long-temps soutenus ou habituellement faits par certaines parties d’un corps vivant, pour satisfaire des besoins exigés par la nature ou par les circonstances, étendent ces parties et leur font acquérir des dimensions et une forme qu’elles n’eussent jamais obtenues, si ces efforts ne fussent point devenus action habituelle des animaux qui les ont exercés. Les observations faites sur tous les animaux connus, en fournissent par-tout des exemples. Lorsque la volonté détermine un animal à une action quelconque, les organes qui doivent exécuter cette action y sont aussi-tôt provoqués par l’affluence de fluides subtils qui y deviennent la cause déterminante des mouvemens qu’exige l’action dont il s’agit. Une multitude d’observations constatent ce fait, qu’on ne sauroit maintenant révoquer en doute. Il en résulte que des répétitions multipliées de ces actes d’organisation, fortifient, étendent, développent et même créent les < 61 > organes qui y sont nécessaires. Il ne faut qu’observer attentivement ce qui se passe par-tout à cet égard, pour se convaincre du fondement de cette cause des développemens et des changemens organiques. Or, chaque changement acquis dans un organe par une habitude d’emploi suffisante pour l’avoir opéré, se conserve ensuite par la génération, s’il est commun aux individus qui dans la fécondation concourent ensemble à la reproduction de leur espèce. Enfin ce changement se propage et passe ainsi dans tous les individus qui se succèdent et qui sont soumis aux mêmes circonstances, sans qu’ils aient été obligés de l’acquérir par la voie qui l’a réellement créé. Au reste, dans les réunions reproductives, les mélanges entre des individus qui ont des qualités ou des formes différentes, s’opposent nécessairement à la propagation constante de ces qualités et de ces formes. Voilà ce qui, dans l’homme qui est soumis à tant de circonstances diverses qui influent sur les individus, empêche que les qualités ou les défectuosités accidentelles qu’ils ont été dans le cas d’acquérir, se conservent et se propagent par la génération. < 62 > Vous concevez maintenant tout ce qu’avec un pareil moyen, et une inépuisable diversité de circonstances, la nature, par la suite des temps, a pu et a dû produire. Si je voulois ici passer en revue toutes les classes, tous les ordres, tous les genres et toutes les espèces des animaux qui existent, je pourroîs vous faire voir que la conformation des individus et de leurs parties ; que leurs organes, leurs facultés, &c. &c. sont uniquement le résultat des circonstances dans lesquelles chaque espèce et toute sa race s’est trouvée assujettie par la nature, et des habitudes que les individus de cette espèce ont été obligés de contracter. Les influences des localités et des températures sont si frappantes, que les Naturalistes n’ont pu s’empêcher d’en reconnoitre les effets sur l’organisation, les développemens et les facultés des corps vivans qui y sont assujettis. On savoit depuis long-temps que les animaux qui habitent la zone torride, sont fort différens de ceux qui vivent dans les autres zones. Buffon fit en outre remarquer que, même dans des latitudes à-peu-près égales, < 63 > les animaux du nouveau continent n’étoient pas les mêmes que ceux de l’ancien. Enfin le C. Lacépede voulant donner à cette considération bien fondée, la précision dont il la crut susceptible, a tracé vingt-six divisions zoologiques sur les parties sèches du globe, et huit autres parmi l’étendue des eaux. Mais il y a bien d’autres influences que celles qui dépendent des localités et des températures. Tout concourt donc à prouver mon assertion savoir que ce n’est point la forme, soit du corps, soit de ses parties, qui donne lieu aux habitudes, et à la manière de vivre des animaux ; mais que ce sont au contraire les habitudes, la manière de vivre et toutes les autres circonstances influentes qui ont avec le temps constitué la forme du corps et des parties des animaux. Avec de nouvelles formes, de nouvelles facultés ont été acquises, et peu à peu la nature est parvenue à l’état où nous la voyons actuellement. Peut-il y avoir en Histoire naturelle une considération plus importante et à laquelle on doive donner plus d’attention que celle que je viens d’exposer ? Et, comme dans l’instant je viens de faire voir qu’il existe par- [parmi] < 64 > mi les animaux un ordre fortement prononcé, montrant une diminution graduée dans la composition de l’organisation ainsi que dans le nombre des facultés animales, qui est-ce qui ne pressent pas maintenant la marche qu’a tenue la nature dans la formation de ces êtres vivans ? qui est-ce ensuite qui n’apperçoit pas les causes de la production et des développemens des divers organes de ces êtres, et qui ne voit pas celles de leur multiplicité toujours croissante par la diversité des circonstances et toujours conservée et propagée par la génération ? Enfin, comme c’est uniquement à cette extrémité du règne animal où se trouvent les animaux le plus simplement organisés, qu’on rencontre ceux qui peuvent être regardés comme les véritables ébauches de l’animalité, et qu’il en est de même à l’extrémité semblable de la série des végétaux ; qui est-ce qui ne sent pas que c’est par cette extrémité de l’échelle, soit animale, soit végétale, que la nature a commencé et recommence sans cesse les premières ébauches de ses productions vivantes ? Qui est-ce en un mot qui ne voit pas que le perfectionnement de celles de ces premières ébauches que les cir- [circonstances] < 65 > constances auront favorisé, aura de proche en proche, et par suite des temps, donné lieu à tous les degrés du perfectionnement et de la composition de l’organisation, d’ou sera résultée cette multiplicité et cette diversité d’êtres vivans de tous les ordres, dont la surface extérieure de notre globe est presque par-tout remplie ou couverte. En effet, si l’usage de la vie tend à développer l’organisation, et même a composer et à multiplier les organes, comme le prouve l’état d’un animal qui vient de naître, comparé à celui où il se trouve lorsqu’il a atteint le terme où ses organes (commençant à se détériorer) cessent d’exécuter de nouveaux développemens ; Si ensuite chaque organe particulier reçoit des changemens remarquables, selon qu’il est plus exercé et selon la manière dont il l’est, comme je vous en ai montré des exemples ; vous concevez qu’en vous reportant à l’extremité de la chaîne animale où se trouvent les organisations les plus simples, et qu’en considérant parmi ces organisations celles dont la simplicité a pu être si grande, qu’elle s’est trouvée à la portée de la puissance créatrice de la nature ; alors cette < 66 > même nature, c’est-à-dire, l’état des choses qui exîstent a pu former directement les premières ébauches de l’organisation ; elle a pu ensuite par l’emploi de la vie et à l’aide des circonstances qui favorisent sa durée, perfectionner progressivement son ouvrage, et l’amener au point où nous le voyons maintenant. Le temps me manque pour vous présenter la suite des résultats de mes recherches sur cette matière intéressante, et pour vous développer, 1° Ce que c’est réellement que la vie. 2° Comment la nature crée elle-même les premiers traits de l’organisation dans des masses appropriées où il n’en existoît pas. 3° Comment le mouvement organique ou vital est par elle excité et entretenu à l’aide d’une cause stimulante et active qu’elle a abondamment à disposition dans certains climats et dans certaines saisons de l’année. 4° Enfin comment ce mouvement organique, par l’influence de sa durée et par celle de la multitude de circonstances qui modifient ses effets, développe, compose et complique graduellement les organes des corps vivans qui en jouissent. < 67 > Telle a été sans doute la volonté de la sagesse infinie qui règne sur toute la nature ; et tel est effectivement l’ordre des choses clairement indiqué par l’observation de tous les faits qui s’y rapportent. Fin du discours d’ouverture, et de la première partie de ces recherches < 68 > SECONDE PARTIE De la formation directe des premiers traits de l’organisation, de la cause qui produit et entretient le mouvement organique, et par suite de l’origine des corps vivans. Qui oseroit entreprendre d’assigner les bornes de l’intelligence humaine, et assurer que jamais l’homme n’acquerra telle connoissance ou ne pénétrera tel secret de la nature ? Des intérêts particuliers et les difficultés qu’oppose avec constance l’ignorance toujours intolérante, peuvent à la vérité arrêter ses efforts, ou au moins en borner et même en anéantir les résultats : je crois malgré cela que tout ami sincère de la vérité, que tout homme patient, capable d’observer, de rassembler les faits, et de réfléchir avec quelque profondeur, doit tout examiner, tenter de tout connoître, et confier ensuite à la postérité l’usage qu’elle jugera convenable de faire de ce qu’il aura su appercevoir. < 69 > Je sais bien que maintenant peu de personnes prendront intérêt à ce que je vais exposer, et que parmi celles qui parcourront cet écrit, la plupart prétendront n’y trouver que des systêmes, que des opinions vagues, nullement fondées sur des connoissances exactes. Elles le diront ; elles ne l’écriront pas. L’expérience du passé m’a suffisamment instruit à cet égard, et la réflexion m’a fait sentir que les causes de cet effet sont dans la nature des choses. Mais je sais aussi qu’il pourra se trouver des hommes à qui les objets dont je vais parler offriront de grands sujets de méditation, et qu’il pourra arriver que, sans se presser de prononcer, ces hommes me sauront quelque gré de les avoir excités à peser les considérations nouvelles que je leur soumets, ainsi qu’aux siècles à venir. Essayer, comme naturaliste, de chercher quelle peut être l’origine des corps vivans, et comment ils ont été formés, ce n’est une témérité condamnable qu’aux yeux du vulgaire et de l’ignorant, et non à ceux du véritable philosophe ; ce n’en est pas une surtout aux yeux de celui qui est assez sage < 70 > pour ne pas assigner à la puissance suprême, créatrice de toute la nature, le mode qu’il a du suivre pour faire exister tout ce qui est. Mais pour que la recherche de l’origine des corps qui jouissent de la vie soit susceptible de quelque succès, il est, avant tout, nécessaire de déterminer ce que c’est que la vie elle-même, d’assigner en quoi elle consiste s’il est possible, et de lever a cet égard le voile qui a jusqu’à présent couvert le phénomène le plus admirable de la nature. D’après l’opinion depuis long-temps et généralement répandue dans le vulgaire, et même d’après celle de plusieurs savans modernes, la vie est un être particulier, un principe quelconque dont la nature n’est pas connue, et que possèdent les corps vivans. Ce que j’ai dit à cet égard dans mes différens ouvrages, quoique appuyé sur des faits, seroit bien absurde, s’il étoit vrai que la vie fût quelque chose qui ait une existence propre, en un mot, que ce fut un être particulier de quelque nature que ce soit. Mais je suis convaincu que cela n’est point ainsi la vie est un phénomène très naturel, un fait physique, à la vérité un peu com-[compliqué] < 71 > pliqué dans ses principes, et ce n’est point un être particulier quelconque. Voici sa véritable définition. La vie est un ordre et un état de choses dans les parties de tout corps qui la possède, qui permettent ou rendent possible en lui l’exécution du mouvement organique, et qui, tant qu’ils subsistent, s’opposent efficacement à la mort. Dérangez cet ordre et cet état de choses au point d’empêcher l’exécution du mouvement organique, ou la possibilité de son rétablissement, alors vous donnez la mort. Ce dérangement, qui produit la mort, la nature le forme elle-même nécessairement au bout d’un temps quelconque, et en effet c’est le propre de la vie d’amener inévitablement la mort. A l’ordre et à l’état de choses dont je viens de parler, et que j’ai dit constituer la vie, il faut ajouter l’existence d’un orgasme vital dans toutes celles des parties du corps vivant, qui doivent se prêter au mouvement organique et concourir à l’exécuter. < 72 > Sans cet orgasme vital, aucun mouvement organique ne peut s’opérer ; et quoique l’orgasme dont il s’agit subsiste quelque temps encore après l’anéantissement forcé du mouvement organique, il se détruit lui-même alors nécessairement. Ainsi, de la réunion de l’orgasme vital à un ordre et un état de choses dans les parties d’un corps organisé, se compose donc ce qu’on nomme la vie dans tout individu qui la possède. Avant de faire connoître l’organisme vital, sa cause, et les effets qu’il produit, je dois m’opposer à la propagation de quelques erreurs, qui empêchent qu’on ne saisisse en quoi consiste réellement le phénomène de la vie. Elles proviennent de ce qu’on a mal jugé certains faits qui y sont relatifs, et qu’on a voulu les expliquer en se fondant sur les principes évidemment faux d’une théorie à laquelle on s’est laissé entraîner. Il n’est pas vrai, comme on l’a dit (1), que tout ce qui entoure les corps vivans tende à les détruire : en sorte que si ces corps ne (1) Bichat, Recherche sur la vie et la mort, p.1. Cuv. Lec. d’anatomie. comp., p.3. < 73 > possédoient en eux un principe de réaction, ils succomberoient bientôt par les suites de l’action qu’exercent sur eux les corps inorganiques qui les environnent. Ce raisonnement qui, quoique sans fondement, est très-spécieux, n’est appuyé que sur la supposition reçue que l’action de tous les corps environnans, c’est-à-dire que celle de l’air, de l’humidité, de la chaleur, etc, sur les corps organisés qui existent, tient sa cause de l’affinité élective de ces divers agens, pour les différens élémens qui composent chaque corps organisé. Mais cela n’est pas ainsi : les affinités ne sont que des rapports et des convenances entre certaines matières, et ne sont pas des forces particulières actives. Toute espèce d’attraction à laquelle obéissent les molécules des corps en s’unissant d’une manière quelconque, sont des résultats du principe de la gravitation universelle, et les difficultés ou les facilités qu’on observe entre les molécules de différentes matières, pour s’unir entre elles, tiennent aux différens degrés d’affinité de ces matières les unes à l’égard des autres, c’est-à-dire aux différens degrés de rapports dans la nature, la masse et la < 74 > forme des molécules des matières dont il s’agit. Voilà ce que l’on peut assurer comme une vérité, que, malgré toute prévention quelconque, il ne sera jamais possible de détruire ; comme une vérité qui ne craint aucune réfutation solide, et à laquelle tôt ou tard l’on sera forcé de se rendre. Lorsqu’à force d’observer et de rassembler les faits recueillis, et qu’à l’aide de ses méditations on a le bonheur de découvrir et de pouvoir mettre en évidence une vérité importante, si elle contredit des hypothèses erronées mises à la place, on n’a de puissance pour faire prévaloir cette vérité, que celle que la raison fournit. Or, dans le cas où des intérêts particuliers feroient à cet égard mettre la raison de côté, afin de soutenir les préventions par les petits moyens d’usage, alors on doit tout abandonner au temps ; on a rempli honorablement sa tâche. Maintenant je dis que si l’on a mis à la place du principe que je viens d’indiquer dans l’instant, la supposition d’une force active et particulière, qu’on a attribuée à chaque sorte d’affinité, et que si l’on s’est à la fin trouvé dans la nécessité de supposer des < 75 > affinités électives, c’est qu’on a méconnu de tout temps la tendance qu’ont les élémens constitutifs des composés à se dégager de l’état de combinaison (1) ; c’est qu’on n’a point apperçu la cause véritable qui opère les fermentations, et qui fait que toute matière composée, que les effets de la vie ne défendent pas ou n’entretiennent pas, va continuellement en s’altérant, se détruisant, et laissant échapper ou dégager successivement les différens principes qui la constituoient. La cause de l’altération progressive, quoique plus ou moins prompte, de cette matière composée que la vie ne maintient plus, est en elle ; car elle est dans la tendance de ses propres principes au dégagement de l’état où ils se trouvent ; et la décomposition dont il s’agit, s’opère à l’aide de différens provocateurs externes qui favorisent ou hâtent cette décomposition selon les circonstances (2). Voilà des considérations qu’il faut consigner et laisser à un autre temps ; puisqu’il (1) Voyez mes Mém. de phys. et d’hist. nat. p. 88, et suiv. (2)Voyez dans mes Mém. de phys. et d’hist. nat. celui qui concerne la cause des dissolutions, p.111, et suiv. < 76 > ne se trouve maintenant en Europe aucun homme qui ose entreprendre de les examiner, ou de les avouer s’il les reconnoît ; et puisqu’il ne s’y en trouve aucun qui soit susceptible d’éprouver ce doute philosophique qui ne permet d’admettre que provisoirement les théories enseignées, quelque accréditées qu’elles soient. Pour revenir à ce qui est relatif aux corps vivans, et réfuter l’hypothèse par laquelle on assure que tout ce qui environne ces corps tend à les détruire, il me suffit d’ajouter à ce que je viens de dire à cet égard, que la cause qui amène essentiellement la mort de chaque corps vivant, est en lui-même, et non hors de lui ; qu’elle résulte de la différence entre les matières assimilées par la nutrition, et celles rejetées par ses déperditions inévitables (1) ; qu’elle résulte encore (1).Tous les corps, et principalement ceux en qui une chaleur plus forte que la température commune des corps environnans, se développe pendant le cours de leur vie, ont continuellement une portion de leurs humeurs et même du tissu de leur corps, dans un véritable état de décomposition. et font par conséquent sans cesse des pertes réelles. Ces pertes amèneroient bientôt la détérioration des < 77 > de la variation dans les proportions relatives à l’exécution de ces fonctions ; enfin, que cette cause qui amène la mort, réside, par suite de ce que je viens d’exposer, dans l’ indurescence progressive des organes ; indures-[indurescence] des organes et de tout le corps de l’individu si la nature n’eût pas donné aux êtres vivans qui les éprouvent, une faculté essentielle à leur conservation c’est celle donc les réparer. La nutrition remplit cet objet, mais plus ou moins complètement, car il résulte de l’état toujours changeant des organes, une inégalité constante dans les proportions et la nature des matières assimilées. J’ai fait voir dans mes Recherches, etc. vol. 2, p. 202. que la cause de cette inégalité vient de ce que L’assimilation fournit toujours plus de principes ou matières fixes, que la cause des pertes n’en enlève ou n’en fait dissiper. les pertes et les réparations successives qui se font sans cesse dans les corps vivans, ont été de tout temps reconnues ; mais on a négligé de faire attention que ces pertes étoient toujours les suites de véritables décompositions ; que sans cesse les fluides du corps s’altéroient et changeoient de nature, et que c’étoit le résultat même de ces décompositions qui donnoit lieu à la formation des diverses matières sécrétoires Voyez mes Mém. de phys. et d’histoire nat., p. 260 à 263, et mon Hydrogéologie, p. 112 a 115. < 78 > cence qui produit peu à peu la rigidité des parties et le rétrécissement des vaisseaux, qui détruit insensiblement l’influence des solides sur les fluides, en un mot, qui dérange à la fin l’ordre et l’état des choses qui constituoient la vie, au point de l’anéantir. Tout ce que l’on peut dire à l’égard des influences des corps environnans, c’est que dans beaucoup d’animaux (les moins parfaits sur-tout), l’orgasme vital n’existe que par une influence extérieure ou qui est hors d’eux. Mais cette influence, loin de tendre à les détruire, est au contraire la seule cause de leur conservation. En effet, au lieu de pouvoir dire que tout ce qui entoure les corps vivans tend à les détruire, je vais dans l’instant faire voir qu’indépendamment de l’état et de l’ordre des choses dans les parties des corps vivans, qui permettent l’exécution du mouvement organique, ce mouvement néanmoins ne peut avoir lieu qu’autant que l’état des milieux environnans le favorise. Maintenant je dois déterminer ce que j’entends par orgasme vital, montrer son existence et sa cause, et faire voir que sans cet orgasme, au moins dans les ani- [animaux] < 79 > maux, aucun mouvement organique ne peut s’opérer. ORGASME VITAL J’appelle orgasme vital, dans les animaux, une tension particulière dans tous les points des parties molles de ces corps vivans, qui tient leurs molécules dans un certain écartement entr’elles, et qu’elles sont susceptibles de perdre, par le simple effet de l’attraction, lorsque la cause qui l’entretient cesse d’agir. Cet écartement des molécules des parties molles des animaux vivans, ne va pas au point d’empêcher la cohésion de ces molécules et de détruire leur adhérence, leur agglutination et leur ténacité, tant que l’intensité de l’orgasme n’excède pas certaines proportions. Mais la tension qui en résulte empêche le rapprochement qu’auroient ces molécules, si la cause de cette tension n’existoit pas, et qu’elles reprennent en effet aussi-tôt que cette cause cesse son influence. L’excessive tension que forme l’orgasme dans certaines circonstances, soit dans toutes les parties molles de l’individu, soit dans certaines d’entr’elles, et qui ne va pas néan-[néanmoins] < 80 > moins au point de rompre la cohésion des parties, est connue sous le nom d’éréthisme, dont le maximum produit l’inflammation ; et l’excessive diminution de l’orgasme, mais qui ne va pas au point de le rendre nul, est en général désigné par le nom d’atonie. La tension qui constitue l’orgasme pouvant varier d’intensité entre certaines limites, d’une part sans détruire la cohésion des parties, et de l’autre sans cesser d’exister, cette variation rend possibles les contractions et les distensions subites des parties, lorsque la cause de l’orgasme est instantanément suspendue et rétablie dans ses effets. Voilà la cause première de l’irritabilité animale. Un fluide subtil et expansif, qui s’émane continuellement du sang artériel, constitue dans toutes les parties molles des animaux les plus parfaits, et sur-tout de ceux qui ont le sang chaud, la cause qui entretient l’orgasme de ces parties. Ce fluide, qui se dissipe continuellement des parties dans lesquelles il s’étoit répandu et qu’il distendoit, y est sans cesse renouvelé par la continuité des émanations nouvelles que le sang artériel de l’animal ne cesse de fournir. Un fluide semblable, c’est-à-dire subtil, < 81 > expansif, et de même nature que celui dont il vient d’être question, se trouve répandu dans les milieux environnans, et fournit sans cesse à l’orgasme des animaux vivans. Il aide plus ou moins celui des animaux les plus parfaits, et suffit seul à l’entretien de celui de tous les autres. Il est sur-tout la cause unique de l’orgasme de tous les animaux qui n’ont ni artères ni veines, c’est-à-dire qui manquent de systême de circulation. Aussi tout mouvement organique s’affoiblit graduellement dans ces animaux, à mesure que la température des milieux environnans s’abaisse, c’est-à-dire à mesure qu’il fait plus froid ; et si cet abaissement de température va trop loin, leur orgasme s’anéantit complètement et ils périssent. Rappelez-vous de l’engourdissement qu’éprouvent les abeilles, les fourmis, etc. lorsque la température s’abaisse jusqu’à un certain point, et jugez. On sent, d’après ce que je viens d’exposer, que le fluide subtil et expansif, qui entretient l’orgasme de tous les animaux vivans, soit celui qui s’émane du sang artériel des plus parfaits, à mesure qu’il en est dégagé de l’état de combinaison, soit celui < 82 > qui se trouve répandu dans les milieux environnans, et que la lumière solaire y a formé (1), on sent, dis-je, que ce fluide n’est qu’un calorique déjà très-raréfié, mais qui continue à s’étendre, n’étant pas encore parvenu à l’état de feu éthéré (2). Tout corps étranger qui vient à toucher quelque point des parties molles des animaux vivans, fait dissiper dans ce point une portion plus ou moins grande du fluide subtil qui y causoit l’orgasme (3). Dès l’instant même toutes les molécules cohérentes de la partie 1.Mém. de physique. nat.. p. 183.§. 223 à 232. 2. Voyez dans mes Mém. de physique et d’hist. nat., tableau p. 227.l’échelle thermométrique milligrade. 3. Soit que le contact dont il s’agit fournisse au fluide subtil en question un conducteur qui l’enlève dans les points touchés, soit qu’il lui présente une occasion ou un moyen de dissipation, on ne peut résister à l’induction qui nous fait croire que cela se passe ainsi. .Sous le prétexte que cela n’est pas prouvé, rejetez cette supposition d’une dissipation particulière, dans chaque point de contact du fluide subtil qui y constituoit l’orgasme, jamais alors vous ne parviendrez à démêler les causes des faits organiques qu’il importe tant de saisir sous toutes sortes de considérations. < 83 > touchée éprouvent, par l’effet de l’attraction qui ne rencontre plus d’obstacle, un rapprochement qui fait contracter subitement la partie touchée dont il s’agit, et qui constitue le phénomène de l’irritabilité. Ainsi, dans les actions diverses des corps étrangers sur les organes des animaux vivans, des alternatives de dissipation subite et de prompt rétablissement du fluide subtil, qui entretient l’orgasme des parties, donnent lieu à tous les faits qui dépendent des actions et des réactions entre les fluides et les solides des animaux vivans. L’orgasme des parties molles des animaux vivans, sa cause et ses effets étant déterminés, je reviens à la considération de la série des animaux connus. C’est un fait incontestable, comme je l’ai fait voir, qu’il existe dans l’échelle animale une gradation soutenue dans le perfectionnement de l’organisation, et dans la multiplicité croissante des organes et des facultés des animaux ; en sorte que si l’extrémité inférieure de cette échelle offre le minimum de l’animalité, l’autre extrémité en présente nécessairement le maximum. Dans cet état de choses, on n’est nulle-[nullement] < 84 > ment étonné de voir qu’à mesure que l’organisation animale se complique, c’est-à-dire devient plus composée, à mesure aussi les facultés animales deviennent plus nombreuses. Mais ce qui doit exciter notre surprise, et nous éclairer fortement sur le sujet qui nous occupe, c’est d’apprendre qu’en se multipliant, les facultés animales les plus générales perdent réellement de leur étendue, c’est-à-dire, que dans les animaux qui ont le plus de facultés, celles de ces facultés qui sont communes à tous les animaux, y ont beaucoup moins d’étendue ou de puissance qu’elles n’en ont dans les animaux à organisation plus simple en sorte qu’il est vrai de dire Plus l’organisation est simple, plus le nombre des facultés est borné ; plus le nombre des facultés est borné, plus les facultés qui existent ont d’étendue ou de puissance. Ainsi, la faculté de se régénérer se rencontrant dans tous les animaux, quelle que soit la simplification ou la complication de leur organisation, leurs moyens de multipli- [multiplication] < 85 > cation sont d’autant plus nombreux et d’autant plus faciles, que les animaux ont une organisation plus simple. Voilà ce qu’il est bien important de remarquer, et ce qui peut jeter un grand jour sur la marche de la nature et sur le fondement des vues que je viens d’exposer. Comparez les moyens de multiplication de l’éléphant ou du cheval avec ceux de la poule ou du pigeon, ceux de la baleine avec ceux de la carpe ; comparez ensuite les moyens de multiplication des animaux à vertèbres avec ceux des animaux invertébrés ; enfin, parmi ces derniers, comparez les moyens dont il s’agit, qu’on observe dans les mollusques avec ceux des polypes, en vous rappelant que ceux-ci, outre leur gemmation continuelle qui les multiplie sans cesse, ont toutes leurs parties susceptibles de former autant de polypes semblables lorsqu’on les coupe, c’est-à-dire, lorsqu’on les sépare de l’individu par des sections, et vous verrez l’énorme différence de ces moyens considérés dans les différens animaux que je viens de citer. Vous verrez que la faculté de se multiplier s’accroît en raison de la plus grande simplicité de l’organisation. < 86 > Vous verrez qu’il en est de même de la faculté de régénérer les parties tronquées ; car si vous coupez la patte ou la queue d’un chien, elle ne repoussera pas, et si vous coupez la patte d’une écrevisse elle repoussera bien plus, si vous coupez les rayons d’une étoile-de-mer, non-seulement ils repousseront, mais en outre chaque rayon coupé redeviendra une étoile-de-mer complette, ce dont j’ai acquis la preuve. Si vous considérez l’irritabilité, vous remarquerez qu’elle suit en général la même loi ; car, après avoir coupé la tête ou la gorge d’un mouton ou de tout autre mammifère, l’irritabilité de sa chair ou de son coeur ne se conserve que peu d’heures après la mort de l’individu et j’ai vu, vingt-quatre heures après avoir ouvert une grenouille, et lui avoir arraché le coeur et les entrailles, ce coeur séparé être encore irritable (1). Qui ne connoît la longue durée des mouvemens des parties d’une anguille coupée par morceaux ? Dans les animaux sans vertèbres, les moin- [moindres] (1) Ce fait, dont j’ai été témoin, fut démontré aux leçons d’Anatomie comparée de Vic-d’Azyr. < 87 > dres contacts sur les parties molles ou non recouvertes des corps durs, présentent le phénomène d’une sensibilité exquise. Mais dans ces animaux, sur-tout dans ceux dont l’organisation se trouve plus simplifiée, le phénomène que je viens de citer tient plus de l’irritabilité que du sentiment. Ceux qui, pour faire des collections d’insectes, sont dans l’usage de piquer ces animaux et de les fixer avec des épingles, ont pu s‘appercevoir qu’après l’effet instantané de la piqûre, l’animal vit assez long-temps, et ne paroît nullement souffrir. Jugez de l’étendue de l’irritabilité que produit l’orgasme entretenue par les fluides environnans, si vous la considérez dans les animaux que je vais citer. J’ai vu une larve du grand paon (Bombix pavonia), que le cit. Dufresne, aide-naturaliste du Muséum, avoit entièrement vidée, dont il avoit enlevé tous les viscères, et qu’il avoit ensuite recousue, se promener encore vingt-quatre heures après cette opération, comme si elle étoit bien portante. Trente heures après, elle avoit encore la faculté de se mouvoir. Que l’on trouve un exemple semblable < 88 > dans les animaux à vertèbres, et sur-tout dans ceux dont l’organisation est la plus composée et la plus parfaite ! Qu’importe pour l’objet que je considère ici les anomalies particulières à certains systêmes d’organisation, anomalies néanmoins qui tiennent à des causes qui rentrent dans le principe ? Il n’en est pas moins très facile de prouver que l’irritabilité devient plus grande et plus durable, à mesure que l’organisation animale approche plus de sa simplification. De même il est facile de démontrer qu’avec cet accroissement dans la simplification de l’organisation, la faculté de régénérer les parties tronquées s’accroît proportionnellement, en sorte qu’à mesure que l’organisation animale devient plus simple, à mesure aussi la régénération et la multiplication des individus devient plus facile, plus prompte et plus considérable. Aussi la place que les animaux sans vertèbres tiennent dans la nature, est-elle immense, et de beaucoup supérieure à celle de tous les autres animaux réunis. On ne sait quel est le terme de l’échelle < 89 > animale vers l’extrémité qui comprend les animaux les plus simplement organisés. On ignore aussi nécessairement le terme de la petitesse de ces animaux ; mais on peut assurer que plus on descend vers cette extrèmité de l’échelle animale, plus le nombre des individus de chaque espèce est immense, parce que leur régénération, je le répète, est proportionnellement plus prompte et plus facile. Aussi le nombre de ces animaux est inappréciable, et n’a d’autre borne que celle que la nature y met par les temps, les lieux et les circonstances. Cette facilité, cette abondance, enfin cette promptitude avec laquelle la nature produit, multiplie et propage les animaux les plus simplement organisés, se fait singulièrement remarquer dans le temps et dans tous les lieux qui y sont favorables, c’est-à-dire dans les climats et les temps chauds. En effet, dans certains temps et dans certains climats, la terre, particulièrement vers sa surface, les eaux et même l’atmosphère, sont peuplées, en quelque sorte, de molécules animées, dont l’organisation, quelque simple qu’elle soit, suffit pour leur existence. Ces animalcules se reproduisent et se multi- [multiplient] < 90 > plient dans les temps et les climats chauds, avec une fécondité effrayante, fécondité qui est bien plus considérable que celle des gros animaux, dont l’organisation est plus compliquée. Il semble, pour ainsi dire, que la matière alors s’animalise de toutes parts ; tant les résultats de cette étonnante fécondité sont rapides. Aussi, sans l’immense consommation qui se fait dans la nature des animaux qui composent les derniers ordres du règne animal, ces animaux accableroient bientôt, et peut-être anéantiroient, par les suites de leur énorme multiplicité, les animaux plus organisés et plus parfaits, qui composent les premières classes et les premiers ordres de ce règne, tant la différence dans les moyens et la facilité de se multiplier est grande entre les uns et les autres. La nature, on le sait, dans les animaux des dernières classes, et sur-tout des derniers ordres, a prévenu les dangereux effets de cette faculté si étendue et si prompte à se multiplier. Pour cela elle a considérablement borné la vie de ces êtres ; en outre elle a rendu ces animaux la proie les uns des autres, ce qui sans cesse en réduit le nombre ; enfin, elle a fixé, par la diversité < 91 > des climats, les lieux où ils peuvent exister, et par la variété des saisons et des influences atmosphériques, les temps mêmes pendant lesquels ils peuvent conserver leur existence. Mais quel est le but de cette simplification si prononcée dans l’organisation des corps vivans, et quel est celui de la multiplication progressivement si facile et si prompte des corps de cette sorte, à mesure qu’ils sont plus simples ? Le terme le plus bas de la série de ces corps, vers l’extrémité qui offre les plus simples, ne seroit-il pas tellement à la portée de la puissance de la nature, c’est-à-dire de l’ordre et de l’influence des choses qui existent, qu’il puisse en être le produit direct ? Voilà ce qu’il s’agit d’examiner. Commençons, pour cela, par rechercher ce qu’il y a, ou au moins, ce qu’il paroît y avoir d’essentiel dans les multiplications par génération. < 92 > La nature crée elle-même les premiers traits de l’organisation dans des masses où il n’en existoit pas ; et ensuite l’usage de la vie développe et compose les organes. Quelque extraordinaire que puisse paroître cette proposition, on ne pourra s’empêcher de suspendre tout jugement qui la repousse, si l’on prend la peine d’examiner et de peser sérieusement les considérations que je vais exposer. J’ai déjà dit, page 46, que dans la génération des animaux à mamelles, il paroissoit y avoir une succession immédiate du mouvement vital dans l’embryon, à la fécondation qu’il vient de recevoir ; tandis que dans les ovipares, il y a un intervalle entre l’acte de la fécondation de l’embryon, et le premier mouvement vital que l’incubation lui communique ; et l’on sait que cet intervalle peut être quelquefois très-prolongé. Or, dans le cours de cet intervalle, l’embryon fécondé que l’on considère, n’est pas encore au nombre des corps vivans. Il est propre sans doute à recevoir la vie, et pour < 93 > cela, il ne lui faut qu’un stimulus, que peut lui fournir l’incubation ; mais tant que le mouvement organique ne lui a point été imprimé par ce stimulus, cet embryon fécondé n’est qu’un corps préparé à posséder la vie et non un corps qui en est doué. Un oeuf fécondé de poule ou de tout autre oiseau, que l’on conserve pendant un certain temps, sans l’exposer à l’incubation ou à l’élévation de température qui en tient lieu, ne contient pas un oiseau vivant. De même une graine de plante, qui est véritablement un oeuf végétal, n’est pas et ne contient pas encore un végétal vivant, tant qu’on ne l’a pas exposé à la germination. Or, si par des circonstances particulières le mouvement vital que procure l’incubation ou la germination, n’est point communiqué à l’embryon de cet oeuf ou de cette graine, il arrivera qu’au bout d’un temps relatif à la nature de chaque espèce et de certaines circonstances, les parties de cet embryon fécondé se détérioreront, et alors l’embryon dont il s’agit, n’ayant jamais eu la vie en propre, ne subit point la mort ; il cesse seulement d’être en état de recevoir la vie, et achève de se décomposer. < 94 > J’ai déjà fait voir dans mes Mémoires de physique et d’histoire naturelle (p. 250), que la vie pouvoit être suspendue pendant un temps quelconque, et reprise ensuite. Ici je vais faire remarquer qu’elle peut être préparée, soit par un acte organique, soit par la nature elle-même, sans aucun acte de ce genre ; en sorte que certains corps, sans posséder la vie, peuvent être préparés à la recevoir, par une impression qui trace dans ces corps les, premiers traits de l’organisation. Qu’est-ce, en effet, que la génération sexuelle, si ce n’est un acte qui a pour but d’opérer la fécondation ; et ensuite, qu’est-ce que la fécondation elle-même, si ce n’est un acte préparatoire de la vie, en un mot, un acte qui dispose les parties d’un corps à recevoir la vie et à en jouir ? Dans un oeuf qui n’a pas reçu la fécondation, on trouve néanmoins un corps gélatineux qui, a l’extérieur, ressemble à l’embryon d’un oeuf fécondé. Cependant, qu’est-ce que le germe d’un œuf reçu aucune fécondation, si ce n’est un corps inorganique, un corps non préparé intérieurement à recevoir la vie, et < 95 > auquel l’incubation la plus complète ne sauroit la communiquer ? C’est un fait généralement vrai que tout corps qui reçoit la vie, ou qui reçoit les premiers traits de organisation qui préparent à la possession de la vie, est alors nécessairement dans un état gélatineux, en sorte que ses solides, c’est-à-dire les plus solides d’entre ses parties, ont la plus foible consistance, la plus grande flexibilité, et sont conséquemment dans le plus grand état de souplesse possible. Il falloit que cela fût ainsi ; il falloit que les parties solides du corps dont je parle fussent dans un état très-voisin des fluides eux-mêmes, pour que la disposition qui peut rendre les parties intérieures de ce corps propres à jouir de la vie, c’est-à-dire à jouir du mouvement organique qui la constitue, puisse être facilement opérée. Or, il paroît certain que la fécondation sexuelle n’est autre chose qu’un acte qui établit une disposition particulière dans les parties intérieures du corps gélatineux qui est fécondé, disposition sans laquelle l’individu ne pourroit recevoir la vie et en jouir. Il suffit pour cela qu’une vapeur subtile et < 96 > pénétrante qui s’échappe de la matière fécondante, s‘insinue dans la molécule gélatineuse qui est susceptible d’être fécondée, qu’elle se répande dans ses parties, et qu’elle y trace, par son mouvement expansif et son état particulier, une disposition des parties qui constitue les premiers traits d’organisation de ce petit corps. On ne sauroit douter de ce fait, quoiqu’il soit impossible de connoître la nature et l’état du fluide particulier qui opère chaque fécondation. On peut seulement penser, à l’égard de ce fluide, que quoiqu’il soit généralement très répandu dans la nature, il a subi une modification particulière dans chaque espèce, soit par des mélanges ou des combinaisons, soit d’une autre manière, car il a dû y recevoir l’influence de son organisation et du mouvement de la vie qu’elle possède. Comparez l’embryon d’un animal ou d’un végétal avant la fécondation, avec le même, après avoir subi cet acte créateur de l’organisation à laquelle peut succéder la vie ; vous n’y observerez aucune différence perceptible, parce que la masse et la consistance de cet embryon sont encore les mêmes, et que la < 97 > différence de ces deux sortes de parties. se trouve dans un terme extrême d’obscurité. Alors vous sentirez qu’une flamme invisible ou une vapeur subtile (aura vitalis), émanée de la matière fécondante, n’a fait en pénétrant l’embryon gélatineux dont il s’agit, c’est-à-dire, en traversant sa masse et se répandant dans ses parties souples, qu’établir en elles une disposition et un ordre de choses qui n’existoit pas auparavant ; qu’elle n’a fait que détruire la confusion du mélange des solides et des fluides de cet embryon, et que distribuer ses solides de telle ou telle manière ; en un mot, qu’elle n’a fait que commencer l’organisation en établissant ses premiers linéamens ; enfin, vous sentirez que le mouvement vital qui succède immédiatement à la fécondation dans les animaux vivipares, et qui au contraire, dans les ovipares et dans les embryons végétaux, ne s’établit qu’a l’aide des diverses sortes d’incubations pour les uns, et de la germination pour les autres, doit ensuite développer peu à peu cette organisation et les individus qui en sont doués. Nous ne pouvons pénétrer plus avant dans le mystère admirable de la fécondation : mais < 98 > la considération que je viens d’exposer et qui la concerne, est incontestable ; elle porte sur des faits positifs ; il falloit donc la faire connoître. Il importe maintenant de faire remarquer que la nature imite elle-même son procédé de la fécondation dans un autre état de choses, sans avoir besoin du concours ou des produits d’aucune organisation préexistante. Pour cela je dois rappeler qu’un fluide subtil, pénétrant, dans un état plus ou moins expansif, et vraisemblablement d’une nature très-analogue à celui qui constitue les vapeurs fécondantes, se trouve continuellement répandu dans notre globe, et qu’il fournit et entretient sans cesse le stimulus ainsi que l’orgasme qui font la base de tout mouvement vital ; en sorte que dans les lieux et les climats où l’intensité d’action du fluide dont il s’agit est favorable au mouvement organique, celui-ci ne cesse d’exister que lorsque des changemens survenus dans l’état des organes du corps qui jouit de la vie, ne leur permettent plus de se prêter à la continuité de ce mouvement. Ainsi, dans les lieux où ce fluide est très-abondant, comme dans les climats et les < 99 > temps chauds, et particulièrement dans les lieux où une humidité considérable se trouve réunie à ces circonstances, la vie semble naître et se multiplier par-tout ; l’organisation se forme directement dans des masses appropriées où elle n’existoit pas ; et dans celles où elle existoit, elle se développe alors avec promptitude et parcourt ses différens états dans chaque individu avec une rapidité singulièrement remarquable. Je n’ai pas besoin de prouver que dans les temps et les climats très-chauds, plus les animaux ont l’organisation composée et parfaite, plus l’influence de la température leur fait parcourir promptement les différens états compris dans la durée de leur existence ; car elle en rapproche proportionnellement les époques et le terme de leur vie. On sait assez que dans ces circonstances une jeune fille est nubile de très bonne heure, et qu’aussi de très bonne heure elle voit arriver l’âge du dépérissement ou de la vieillesse. On sait encore que dans ces temps et ces lieux les maladies parcourent leurs termes avec une rapidité épouvantable. Mais cette haute température, qui est défavorable aux animaux les plus parfaits, je < 100 > la vois au contraire d’autant plus avantageuse aux corps vivans les plus simples aux animaux de cette sorte, parce qu’en eux l’orgasme et l’irritabilité dépendent entièrement des influences extérieures ; à la totalité des végétaux, parce qu’ils sont dans le même cas, et que chaleur, humidité et lumière complettent les conditions nécessaires à leur existence. Puisque la chaleur est si avantageuse aux animaux les plus simples, examinons si l’on n’a pas lieu de croire qu’elle a pu former elle-même, avec le concours des circonstances favorables, les premières ébauches de la vie animale. La nature forme nécessairement des générations spontanées ou directes, à l’extrémité de chaque règne des corps les plus simples. Cette proposition est si éloignée du principe qu’on s’est par-tout formé à cet égard, qu'on sera long-temps, et peut-être toujours, porté à la rejeter comme une erreur, et même à la regarder comme un des écarts de l’esprit humain. < 101 > Je ne demande à qui que ce soit de lui accorder la moindre confiance sur ma parole. Mais comme sûrement il arrivera tôt ou tard que des hommes, d’une part indépendans des préjugés, même les plus généralement répandus, et de l‘autre, profonds observateurs de la nature, pourront entrevoir cette vérité ; je suis bien aise qu’on sache qu’elle est du nombre de celles que, malgré les préventions de mon siècle, j’ai su appercevoir. En rapprochant les faits analogues, il me sera très-possible de faire voir que ce qui se passe dans la fécondation sexuelle, la nature l’imite dans certaines circonstances, et l’opère elle-même sur des masses isolées de matières qui se trouvent dans l’état propre à subir cet effet. Pourquoi la chaleur et l’ élecricité qui, dans certaines contrées dans certaines saisons, se trouvent si abondamment répandues dans la nature, sur-tout à la surface du globe, n’y opéreroient-elles pas sur certaines matières qui se rencontrent dans l’état et les circonstances favorables, ce que la vapeur subtile des matières fécondantes exécute sur les embryons qu’elle organise et rend propres à jouir de la vie ? < 102 > Un savant celèbre (Lavoisier, Chimie, tom. 1, p.202) a dit avec raison que Dieu, en apportant la lumière, avoit répandu sur la terre le principe de l’organisation du sentiment et de la pensée. La lumière, qu’on sait être génératrice de la chaleur, et celle-ci, qu'on a justement regardée comme la mère de toute génération, y répandent au moins le principe de l’organisation et du sentiment ; et comme ce dernier donne lieu aux actes de la pensée, par suite des impressions multipliées sur son organe, que les objets intérieurs y exercent par le moyen des sens qui y tracent les idées, vous appercevrez dans ces bases l’origine de toute faculté animale. Cela étant ainsi, il me sera facile de faire voir dans un instant que la chaleur, cette mère des générations, cette âme matérielle des corps vivans, parmi lesquels l’homme seul peut être hors de rang et privilégié, que la chaleur, dis-je, a pu être le principal des moyens qu’emploie directement la nature pour opérer sur des matières appropriées, un acte de disposition des parties, d’ébauche d’organisation, et par suite, de vitalisation analogue à celui de la fécondation sexuelle. < 103 > Non seulement la formation directe des corps vivans les plus simples a pu avoir lieu, comme je vais le démontrer ; mais la considération suivante prouve qu’il est nécessaire que de pareilles formations s’opèrent et se répètent continuellement dans les circonstances qui y sont favorables, sans quoi l’état des choses que nous observons ne pourroit exister ni subsister. J’ai dit que les animaux de la dernière classe (les polypes) ne se multiplient point par la génération sexuelle, qu’ils n’ont aucun ordre particulier pour cette géneration, que la fécondation est nulle pour eux, et que conséquemment ils ne font point d’oeuf. Or, lorsqu’il survient une saison rigoureuse qui, dans nos climats, les détruit tous, ou au moins ceux des derniers ordres, puisque ces animalcules sont si éphémères et ont une si frêle existence ; avec quoi ou comment se régénèrent-ils dans la saison où on les voit reparoitre ? N’a-t-on pas plus lieu de penser que ces corps vivans si simples, que ces ébauches d’animalité si frêle et de si peu de consistance ont été nouvellement formées, que de croire qu’elles se sont régénérées elles-mêmes ?Voilà nécessairement où il en < 104 > faudra venir à l’égard de ces êtres singuliers. On ne sauroit donc douter maintenant que dans tout concours de circonstances favorables, des portions de matières inorganiques appropriées, ne puissent, par l’influence des agens de la nature, dont la chaleur et l’humidité sont les principaux, recevoir dans leurs parties cette disposition qui ébauche l’organisation, de-là conséquemment passer à l’état organique le plus simple, et dès-lors jouir des premiers mouvemens de la vie. Sans doute il n’est jamais arrivé et il n'arrivera jamais, que des matières non organisées et sans vie, quelles qu’elles soient, aient, par un concours quelconque de circonstances, forme directement un insecte, un poisson, un oiseau, un lapin, et les autres animaux dans lesquels l’organisation est déjà compliquée et avancée dans ses développemens. De pareils animaux n’ont assurément pu recevoir l’existence que par la voie de la génération ; en sorte qu’aucun fait d’animalisation ne peut les concerner. Mais les premiers linéamens de l’organisation, les premières aptitudes à recevoir des développemens internes, c'est-à-dire, par intussusception ; enfin, les premières < 105 > ébauches de l’ordre de choses et du mouvement intérieur qui constituent la vie, se forment tous les jours sous nos yeux, quoique jusqu’à présent on n’y ait fait aucune attention, et donnent l’existence aux corps vivans les plus simples, qui se trouvent à l’une des extrémités de chaque règne organique. Il est bon d’observer que l’une des conditions essentielles à la formation de ces premiers linéamens d’organisation, est la présence de l’humidité, et surtout celle de l’eau en masse fluide. Il est si vrai que ce n’est uniquement que dans l’humidité ou dans l’eau fluide, que les corps vivans les plus simples peuvent être formés et s’y renouveler perpétuellement, c’est que tous les polypes généralement, toutes radiaires même, ne se rencontrent jamais que dans l’eau ; en sorte qu’on peut regarder comme une vérité de fait, que c’est uniquement dans l’eau que le règne animal a pris son origine. Poursuivons l’examen des causes qui ont pu créer les premiers traits de l’organisation dans des masses appropriées où il n’en existoit pas. Si, comme je l’ai fait voir, la lumière est génératrice de la chaleur, celle-ci l’est de < 106 > l’orgasme vital qu’elle produit et entretient dans les animaux qui n’en ont point en eux la cause. Elle peut donc en créer les premiers élémens dans les masses appropriées qui ont reçu la plus simple de toutes les organisations. Lorsque l’on considère que les organisations les plus simples n’exigent aucun organe particulier, c'est-à-dire aucun organe spécial, distinct des autres parties du corps de l’individu, et propre à une fonction particulière, ce que la simplification de l’organisation observée dans beaucoup d’animaux qui existent rend évident ; l’on conçoit que la plus simple de toutes les organisations pourra s’opérer dans une petite masse de matières qui possédera la condition suivante, c’est-à-dire, qui aura : Des parties solides dans l’état le plus voisin de l’état fluide, ayant par conséquent la plus grande des souplesses, et seulement une consistance suffisante pour être susceptibles de constituer des parties contenantes. Tel est l’état des corps organisés les plus gélatineux. < 107 > Dans une pareille masse de matières, les fluides subtils et expansifs répandus et toujours en mouvement dans les milieux qui l’environnent, pénétrant sans cesse et s’en dissipant de même régularisent en traversant cette masse, la disposition intérieure de ses parties, et la rendent propre alors à absorber et à exhaler continuellement les autres fluides environnans qui peuvent pénétrer dans son intérieur et qui sont susceptibles d’être contenus. Ces autres fluides, qui sont l’eau chargée de gaz dissous ou d’autres matières ténues, l’air atmosphérique que contient l’eau, etc.. je les appellerai fluides contenables, pour les distinguer des fluides subtils, tels que le calorique, la matière électrique, etc.. qu’aucun corps connu ne sauroit contenir. Les fluides contenables, absorbés par la petite masse gélatineuse dont il vient d’être question, ne restent point sans mouvement dans ses parties, parce que les fluides subtils non contenables qui y pénètrent toujours ne le permettent pas. Ainsi les fluides incontenables tracent d’abord les premiers traits de la plus simple organisation, et ensuite les fluides contena- [contenables] < 108 > bles, par leurs mouvemens et leurs autres influences la développent, et avec le temps et toutes les circonstances favorables la compliquent et la perfectionnent. PREMIÈRES FONCTIONS VITALES Avant que les fluides contenables, absorbés par la petite masse gélatineuse dont il s’agit, en aient été expulsés par les nouvelles portions des mêmes fluides qui y arrivent, ils peuvent y déposer certaines des matières qu’ils charient ; et le mouvement des fluides contenus peut appliquer ces matières aux parties contenantes du petit corps gélatineux nouvellement organisé. De là, la première des fonctions vitales qui s‘établit dans le plus simple des corps organisés, c’est-à-dire, la nutrition. Les fluides contenables environnans sont donc pour les corps vivans d’une aussi grande simplicité, un véritable chyle tout préparé par la nature. La nutrition ne peut s’opérer sans augmenter peu à peu la consistance des parties contenantes du petit corps nouvellement organisé, et sans en étendre les dimensions. De-là bientôt la seconde des fonctions < 109 > vitales, l’accroissement par développement interne. PREMIÈRE FACULTÉ DE LA NATURE ANIMALE Enfin, à mesure que la continuité de cet état de choses dans la même petite masse vivante dont il est question, augmente la consistance de ses parties contenantes et étend leurs dimensions, un orgasme vital, d’abord très-foible, mais progressivement plus intense, se forme dans ces parties contenantes et les rend susceptibles de réaction contre la légère impression des fluides en mouvement qu’elles contiennent, et en même temps les rend capables de contraction et de distension. De là l’origine de l’irritabilité animale, et la base du sentiment qui se développera lorsqu’un fluide nerveux, susceptible d’en rapporter les effets à un ou à plusieurs foyers particuliers, aura pu se former. A peine le corpuscule vivant, nouvellement animalisé, aura reçu quelque augmentation dans la consistance et les dimensions de ses parties contenantes, que par suite du < 110 > mouvement organique dont il jouit, il se trouvera assujetti à des changemens et à des déperditions successives dans sa substance. Le voilà donc obligé à se nourrir, non-seulement pour obtenir des dévéloppemens quelconques, mais encore conserver son existence individuelle, puisqu’il faut qu’il répare ses pertes sous peine de sa destruction. Or, comme l’individu dont il s’agit n’a encore aucun organe spécial pour la nutrition, il absorbe alors par les pores de sa surface extérieure, les matières qui peuvent l’alimenter. Ainsi la première manière de se nourrir d’un corps vivant aussi simple, ne peut être autre qu’une absorbtion et qu’une sorte de succion qu’il fait par les pores de sa surface extérieure. Ce n’est pas tout, jusqu’à présent le corpuscule animalisé que nous considérons, n’est encore qu’un animalcule ébauché, car il n’a encore aucun organe particulier. Voyons donc comment la nature lui a fourni un premier organe spécial quelconque, et quel est cet organe que la nature forme avant tous les autres, et qui dans les animaux les plus simples se trouve constamment unique. < 111 > La nature étant parvenue à former l’animalcule dont il s’agit, éprouve nécessairement le besoin de le conserver, c'est-à-dire de le faire subsister pendant une durée quelconque, avant celui de le multiplier. Ainsi, le premier effort qu’elle a pu faire à son égard, a dû tendre à le nourrir conformément à son caractère d’animal ; elle a dû lui former un organe nutritif spécial ; et en effet, presque tous les animaux connus se trouvent munis d'un pareil organe. On voit donc que pour un animal le premier de tous les organes que la nature doit former c’est un canal alimentaire, principal organe de la digestion ; il est en effet commun à tous les animaux, à l'exception de ceux qui sont à la fin du dernier ordre, comme les colpodes, les vibrions, les protées, les volvoces, les monades. Or, voyons comment la nature aura pu créer cet organe, et ce qu’il y a de vraisemblable à cet égard. Les premières ébauches de la vie, les molécules gélatineuses, en quelque sorte vitalisées par la fécondation de la nature, et le stimulus si répandu partout dans les temps chauds, auront, comme je viens de le dire, reçu dès les premiers temps la faculté d’ab- [absorber] < 112 > sorber, par les pores de leur surface externe, les fluides propres à les alimenter. Bientôt par suite des contractions que l’animalcule peut faire dans diverses parties de son corps, et peut-être encore par suite de l’extrême mollesse de ses parties, mais qui aura pu être inégale et plus forte en un point particulier, il se sera fait en ce point, un petit creux à la surface du corps de cet animalcule. Cette partie enfoncée du corps gélatineux de l’animalcule, aura pu recevoir principalement les matières alimentaires de cet individu. Insensiblement cette fossette, par l’habitude de se remplir, et par l’usage plus fréquent de ses pores, se sera augmentée graduellement en profondeur ; elle aura bientôt pris la forme d’une poche, ou d’un enfoncement tubuleux, poreux en ses parois, et aveugle ou n’ayant qu’une issue. Voilà le premier canal alimentaire créé par la nature, l’organe le plus simple de la digestion. Ce doit être nécessairement un sac plus ou moins alongé, une poche tubuleuse, en un mot, un tube plus ou moins simple, à une seule ouverture ; et c’est en effet ainsi que se trouve conformé le canal alimentaire et intestinal de tous les animaux de la classe des polypes. < 113 > C’est un fait connu que tout le systême d’organisation intérieure des animaux de cette classe, se réduit à la possession d’un organe spécial pour la digestion, c’est-à-dire, à la jouissance d’un canal alimentaire, ayant la forme d’un sac plus ou moins tubuleux ; que ce canal reçoit les matières à digérer, par l’ouverture unique qui constitue la bouche et l'anus de l’animal ; qu’il les conserve pendant un temps quelconque, ou jusqu’à ce qu’elles soient digérées, et qu’il rend par la même issue tout ce qui ne peut s’y fondre ou servir d’aliment. Ainsi le corps de l'animalcule absorbe, par les pores dont son canal alimentaire est criblé, les matières nutritives digérées, s’en imbibe par-tout, et se nourrit par ce moyen. Sa substance paroît n’être qu’un amas de vêsicules qui se communiquent, qui environnent le canal alimentaire, et sont recouvertes à l’extérieur par la pellicule du corps de l’animal. Cette pellicule extérieure du corps du polype, est elle-même criblée de petits pores, tellement semblables à ceux du canal alimentaire, que si l’on retourne le dedans de l’animal comme l’on fait d’un gant, alors la peau de l’animalcule devient son canal alimentaire, il conti-[continue] < 114 > nue de vivre, et la membrane qui auparavant formoit son organe digestif devient la peau de son corps. CRÉATION DE LA FACULTÉ DE SE REPRODUIRE La nature ayant pourvu au premier moyen d’existence de l’animalcule qu’elle a récemment produit, lui ayant petit à petit formé le premier organe nécessaire à un animal, c’est-à-dire lui ayant fait avoir un organe spécial pour la digestion, en un mot, un canal alimentaire quoique à une seule ouverture, il est pressant pour elle de pourvoir à la multiplication des individus, afin de conserver et d’étendre son ouvrage. Comme la jouissance même de la vie tend sans cesse à la ruine de toute organisation, en sorte que tout individu vivant ne peut se conserver longtemps dans le même état, et qu’il est obligé à la fin de périr ; il en résulte que si la nature ne parvenoit à multiplier les individus autrement que par des créations directes, ses productions seroient bornées à ces créations directes, les corps vivans à la surface du globe ne seroient pas percep-[perceptibles] < 115 > tibles, seroient comme nuls, et l’état de cette surface du globe terrestre seroit bien différent de ce qu’il est. Mais il n’en est pas ainsi, la nature a des moyens divers pour multiplier les individus ; elle les emploie chacun dans les circonstances qui y sont convenables, et par suite du long usage qu’elle en a fait, elle a amené l’état des choses que nous voyons actuellement. Mais reportons-nous à l'animalcule qu’elle a créé directement, et à qui bientôt après elle a formé un canal alimentaire. Voyons comment elle s’y prendra pour opérer, par le moyen le plus simple, la multiplication de l'individu qu’elle a formé elle-même d’une manière immédiate. En créant, comme nous l’avons vu, l’orgasme, l’irritabilité, et par une conséquence très simple de l’état physique des choses, le mouvement organique et la faculté d’accroissement, la nature a nécessairement créé dans tous les points des corps vivans, sur-tout dans ceux de ces corps dont l’organisation est la plus simple, une faculté régénérative, car cette faculté n’est qu’une suite ou une extension de celle d’accroissement. Ainsi, en créant dans un corps l’organisation la plus simple et la vie, la nature a < 116 > en même temps créé dans toutes ses parties, sans exception, cette faculté de développement et d’accroissement qu’on observe exister à un degré si éminent dans les animaux les plus simplement organisés. Cette faculté de développement et d’accroissement, non-seulement est régénérative de toutes les parties qui ont pu être tronquées et séparées du corps par quelque cause externe, mais en opérant l’extension de la masse de ce corps vivant, elle parvient en outre à varier la forme de cette masse et à y créer des lobes. Cette même faculté régénérative des animaux dont je viens de parler, est le propre de toutes leurs parties, est dans la nature même de la substance de leur corps, et ne résulte point de la fonction d’aucun organe spécial pour cet objet. Elle leur est aussi essentielle et aussi générale que celle d’être irritable ; et elle va, comme l’irritabilité, en s’affoiblissant à mesure que l’organisation se complique, que les organes se diversifient, et qu’ils acquièrent une inégalité plus grande dans la consistance et la souplesse de leurs parties. Ce ne sont point là des suppositions sans < 117 > preuves, comme celles de l’affinité convertie gratuitement en puissance active ; de la conservation constante des molécules integrantes des corps ; de l’existence d’une matière particulière qu’on nomme oxygène et qu’on suppose combinée avec le calorique et la lumière, constituant l’air élémentaire (le gaz oxygène), etc. Il suffit, pour s’en assurer, de considérer l’état de l’organisation des polypes et particulièrement des hydres, ainsi que les facultés organiques de ces singuliers animaux. Cette faculté d’accroissement dont je viens de parler, qui tend à augmenter les dimensions du corps vivant, et qui dans son maximum de puissance est changée en faculté régénératrice la plus énergique, devient bientôt inégale dans différens points du corps organisé qui la possède ; car cette inégalité est nécessairement le propre de l’exercice ou de la durée de la vie. Il en résulte que par cette voie, la nature parvient à opérer sur l’individu le plus simplement organisé qu’elle a produit directement, une scission qui partage son corps, pendant qu’il continue de vivre, et qui le multiplie. En effet, on sait que dans les polypes < 118 > amorphes(1), que d’autres ont nommés animaux infusoires ou microscopiques, la multiplication des individus se fait par une division naturelle de leur corps, par une scission particulière qui s’opère petit à petit sur la longueur ou la largeur du corps gélatineux de ces animaux. On voit d’abord paroître une liane longitudinale ou transversale sur le corps de l’individu que l’on observe ; il se forme quelque temps après une échancrure à l’une des extrémités de cette ligne. L’échancrure grandit insensiblement, et à la fin, les deux moitiés du corps se séparent, prennent bientôt après la forme même de l’individu entier dont elles faisoient partie, vivent quelque temps sous cette forme, et à leur tour se multiplient pareillement par une nouvelle division naturelle de leur corps. Ces singuliers animalcules semblent n’être point dans le cas de mourir de vieillesse. Ils périssent lorsqu’ils sont la proie de quelqu’autre animal, ou lorsqu’un abaissement dans la température du liquide dans lequel ils vivent les fait subitement mourir. La multiplication des individus par bour-[bourgeons] (1) Systême des animaux sans vertèbres, p. 392. < 119 > geons ou par gemmes qui naissent sur le corps même de l’individu, et qui, à un certain point de développement, s’en détachent, est encore une sorte de séparation d’une portion du corps de l’animal ; mais c’est une portion plus petite qui, après quelques accroissemens, s’en détache aussi par une scission naturelle. Ce mode, qui est celui de la multiplication des polypes à rayons, et qui a été si bien observé dans les hydres, conduit insensiblement à l’isolation d’un lieu particulier dans le corps de l’animal où doivent s’opérer les séparations de portions de ce corps pour le multiplier. Il donne lieu aux gemmations internes, c’est-à-dire à la formation de ces corpuscules internes et oviformes, qui ne sont encore que des bourgeons, mais intérieurs, qui se détachent de l’animal à un certain terme de développement, et qu’il évacue comme des oeufs, quoiqu’ils n’en aient encore que l’apparence (1). (1) Les végétaux agames, tels que les champignons, les algues, et peut-être les mousses et les fougères, ont aussi des gemmes externes et des gemmes internes, c’est-à-dire des corpuscules reproductifs, qui n’exigent aucune fécondation, et que beaucoup de botanistes s’efforcent de faire regarder comme des graines. < 120 > Enfin le mode de multiplication par gemmation interne, auquel la nature, dans beaucoup de polypes et dans les radiaires, est arrivée par degrés insensibles, lui fournit le moyen de créer des organes spéciaux pour la génération, de transformer ces gemmes en véritables oeufs, c’est-à-dire en petits corps particuliers, qui contiennent chacun un embryon fécondable, un bourgeon imparfait, qui a besoin pour opérer sa fonction de recevoir l’influence d’un organe fécondateur, auquel on a donné le nom d’organe mâle. Par cette voie, la nature est parvenue à l’établissement de la génération sexuelle. A l’égard de cette progression dans l’organisation qui indique la marche réelle qu’a suivie la nature, je suspendrai pour le moment tout développement et toute recherche ultérieure. Je conclurai seulement de tout ce que j’ai exposé sur ce sujet, que les corps vivans les uns simplement organisés, sont des produits directs de la nature même, c'est-à-dire de l’état des choses qui existent, et que de pareils produits se forment tous les jours, lorsque les circonstances y sont favorables. Je conclurai encore que les deux princi-[principales] < 121 > pales de ces circonstances, favorables et même essentielles, sont la présence ou le concours de la chaleur et de l’humidité. Aussi voyons-nous que dans les climats glacés, comme vers les pôles de la terre, et dans les hivers des grandes latitudes, les développemens organiques se font avec beaucoup de difficultés ; les corps vivans les moins parfaits cessent de se multiplier, et même périssent plus ou moins généralement, selon l’intensité du froid, principale des circonstances contraires, en sorte que vers les deux pôles du monde le globe est presqu'entièrement désert ; les animaux et les végétaux y sont très-peu nombreux, très-resserrés dans leurs développemens. Au contraire, dans les climats chauds et dans les saisons où beaucoup de chaleur se développe, les corps vivans abondent et se multiplient partout d’une manière étonnante. Les plus simples sont alors formés spontanément par l’ordre existant des choses qui agit et emploie les matières appropriées qui lui sont soumises ; les autres profitent des modes de multiplication que la nature est parvenue à donner à leur espèce. Ce pas difficile une fois franchi, aucun < 122 > obstacle important ne s’oppose à ce que nous puissions reconnoître l’origine et l’ordre de formation des diverses productions de la nature. En effet, nous sentons que si les premières ébauches des corps vivans se forment de nos jours avec tant d’abondance et de facilité dans les circonstances qui y sont favorables, elles doivent être néanmoins, par suite de l’ancienneté des causes qui peuvent les faire exister, les corps vivans les plus anciens de la nature. Il est certain que ces animalcules éphémères qui depuis l’antiquité la plus reculée, reçoivent et perdent successivement l’existence par intervalles peu éloignés, doivent être plus anciens dans la nature que tous les animaux, car ils n’en dépendent nullement. Or, d’après les observations que j’ai exposées dans cet ouvrage, l’on conçoit que le perfectionnement de celles des premières ébauches de l'animalité qui se seront trouvées dans des circonstances favorables et qui auront pu jouir plus long-temps de la vie, aura de proche en proche et par suite des temps, donné lieu à tous les degrés de composition de l’organisation animale, et produit à cet égard, l’état des choses que nous voyons < 123 > maintenant. Cela nécessairement a dû être ainsi, puisque l’effet direct de la durée de la vie tend toujours à composer l’organisation, et que celui de l’exercice des facultés de chaque organe tend sans cesse à les développer, à les perfectionner et à en augmenter l’étendue. L’on conçoit encore, d’après les mêmes observations, que les animaux les plus simples n’ont pu être formés que dans le sein des eaux, et nous voyons en effet que c’est là qu’habitent exclusivement tous ceux dont l'organisation est encore très-peu perfectionnée. Relisez maintenant les six propositions exposées au commencement de cet ouvrage ; p. 7 à 10, et vous jugerez de leur fondement. Que de réflexions ces considérations pourront faire naître dans l’esprit du petit nombre de ceux qui en sont susceptibles et qui sont lents à prononcer ! les autres auront bientôt fait à cet égard ils trancheront sans examen et décideront d’après ce qui leur conviendra le mieux, ou selon la portée de leurs conceptions. < 124 > QUELQUES CONSIDÉRATIONS RELATIVES A L’HOMME Quant à l’homme, à son origine, à sa nature particulière, j’ai déjà fait connoître dans cet écrit que je n’avois pas ces objets en vue dans mes observations. Son extrême supériorité sur les autres corps vivans indique que c’est un être privilégié, qui n’a de commun avec les animaux que ce qui concerne la vie animale. A la vérité, l’on observe une sorte de gradation dans l’intelligence des animaux, comme il en existe une dans le perfectionnement de leur organisation, et on remarque qu’ils ont des idées, de la mémoire qu’ils pensent, qu’ils choisissent, qu’ils aiment, qu’ils haïssent, qu’ils sont susceptibles de jalousie, et que par diverses inflexions de leur voix et par des signes, ils se communiquent et s’entendent. Il n’en est pas moins évident que l’homme seul est doué de la raison, et que par cette considération il est bien distingué de toutes les autres productions de la nature. Cependant, si l’on avoit égard au tableau < 125 > que tant d’hommes célèbres ont fait de la foiblesse et de l’insuffisance de la raison humaine, et si l’on considéroit qu'indépendamment de tous les travers dans lesquels les passions de l’homme le jettent presque continuellement, l’ignorance le rend esclave opiniâtre de l’habitude, et toujours la dupe de ceux qui veulent le tromper ; qu’elle le jette dans les égaremens les plus révoltans, puisqu’on l’a vu dans ce cas s’avilir au point d’adorer des animaux, même les plus abjects, de leur adresser ses prières, et d’implorer leur assistance. Si, dis-je, l’on avoit égard à ces considérations, ne seroit-on pas autorisé à élever quelque doute sur l’excellence de cette lumière particulière qui est l’apanage de l’homme ? Une observation qui m’a depuis long-temps frappé, c’est qu’ayant remarqué que l’usage et l’exercice habituel d’un organe en développe proportionnellement l’étendue et les facultés, comme le défaut d’emploi en affoiblit en même proportion la puissance, et l’anéantit même plus ou moins complètement ; je me suis apperçu que celui de tous les organes du corps de l’homme, qui est le plus fortement soumis à cette influence, < 126 > c’est-à-dire, en qui les effets de l’exercice et d’une habitude d’emploi sont les plus considérables, c’est l’organe de la pensée, en un mot, c’est le cerveau de l’homme ? Comparez la différence extraordinaire qui existe dans le degré d’intelligence d’un homme qui exerce rarement sa pensée, qui a toujours vécu dans l’habitude de ne voir qu’un très-petit nombre de choses, parce qu’elles sont relatives à ses besoins ordinaires et à ses désirs bornés ; qui ne pense en tout temps qu'aux mêmes objets, parce qu'il se trouve forcé de s’occuper sans cesse de pourvoir à ces mêmes besoins ; enfin, qui n’a que peu d’idées, parce que son attention, continuellement fixée sur les mêmes choses, fait qu’il ne remarque rien, qu’il ne compare rien, qu’il est au sein de la nature sans l'appercevoir, qu’il la voit à-peu-près à la manière des animaux, et que tout ce qui l’environne est nul pour lui ; comparez, dis-je, l’intelligence de cet individu avec celle de l’homme qui, preparé d’abord par l’éducation, a contracté l’utile habitude d’exercer l’organe de sa pensée en se livrant à l’étude des principales connoissances acquises ; qui observe et compare tout ce qu’il voit et tout < 127 > ce qui l’affecte ; qui s’oublie lui-même pour examiner tout ce qu’il peut appercevoir ; qui varie sans limite les actes de son intelligence ; qui s’est insensiblement habitué à juger de tout par lui-même, au lieu d’accorder une confiance aveugle à l’autorité des autres ; enfin qui, stimulé par des revers et sur-tout par l’injustice, remonte paisiblement par la réflexion jusques aux causes qui font exister tout ce qu’on observe, soit dans la nature, soit dans la société humaine ; alors vous appercevrez combien est énorme la différence qui se trouve entre l’intelligence des deux hommes dont il s’agit. Si Newton, Bacon, Montesquieu, Voltaire, et tant d’autres hommes ont honoré l'espèce humaine par l’étendue de leur intelligence et de leur génie combien ne la rapprochent pas de l’animal cette quantité d’hommes bruts, ignorans, en proie aux préjugés les plus absurdes, et constamment asservis par leurs habitudes, qui cependant composent la masse principale chez toutes les nations ? Approfondissez les choses dans la comparaison que je viens de présenter, vous verrez d’une part combien l’organe qui sert < 128 > aux actes de la pensée se perfectionne et acquiert d’étendue et de facultés, par un exercice soutenu et varié, sur-tout si cet exercice n’offre d’interruptions que celles qui sont nécessaires pour éviter l’épuisement des forces ; et de l’autre part, vous sentirez combien les circonstances qui contraignent un individu à ne point exercer cet organe, ou à ne l’exercer habituellement qu’à la considération d’un petit nombre d’objets qui sont toujours les mêmes, nuisent au développement de ses facultés intellectuelles. D’après ce que je viens d’exposer sur les suites dans l'homme du peu d’exercice de l’organe de sa pensée, on ne sera plus étonné de voir que chez les nations qui ont passé pour être les plus éclairées, parce que parmi elles un petit nombre d’hommes a pu, par l'observation et la méditation, créer ou perfectionner les hautes sciences, la multitude chez ces mêmes nations, n’a pas été pour cela exempte des égaremens les plus absurdes, et n’en a pas moins toujours été la dupe des imposteurs et victime de ses préjugés. Telle est en effet la fatalité attachée à la destinée de l’homme, qu’à l’exception d’un petit nombre d’individus qui se trouvent dans < 129 > des circonstances favorables mais particulières, la multitude partout forcée de s’occuper continuellement de pourvoir à ses besoins, reste constamment privée des lumières qu’il lui importeroit d’acquérir, exerce en général très-peu l’organe de son intelligence, conserve et propage une multitude de préjugés qui l’asservissent, et ne peut être heureuse qu’autant que ceux qui la guident sont eux-mêmes dirigés par la raison et la justice. Quant aux animaux, outre qu’ils ont graduellement l’organe de l’intelligence moins perfectionné, ils sont d’ailleurs proportionnellement plus bornés dans les moyens d’exercer et de varier leurs facultés intellectuelles. Chacun d’eux ne les exerce que sur un seul ou que sur quelques points particuliers, sur lesquels ils deviennent plus ou moins habiles selon leur espèce. Et tant que leur état d’organisation reste le même et que la nature de leurs besoins ne varie point, jamais ils ne peuvent étendre leur intelligence, ni l’appliquer à d’autres objets qu’à ceux qui sont relatifs à leurs besoins ordinaires. Quelques-uns d’entr’eux, dont l’organisation est un peu plus perfectionnée que dans < 130 > les autres, ont aussi plus de moyens pour varier et étendre leurs facultés intellectuelles ; mais c’est toujours dans des limites circonscrites par les besoins et les habitudes. Le pouvoir de l’habitude qui se retrouve encore si grand dans l’homme, sur-tout dans celui qui a peu exercé l’organe de sa pensée, est chez les animaux tout-à-fait insurmontable, tant que leur état physique reste le même. Rien ne les contraint à varier leurs moyens, car ils suffisent à leurs besoins, et ceux-ci n’éprouvent aucune mutation. Aussi ce sont constamment les mêmes objets qui exercent leur portion d’intelligence, et il en résulte que leurs actions sont toujours les mêmes dans chaque espèce. Les seuls actes de variations, c’est-à-dire, les seules actions qui sortent des limites de l’habitude et qu’on voit faire aux animaux qui en ont le moyen dans leur organisation, sont des actes d’imitation. Je ne, parle que des actions qu’ils font de leur plein gré. Les oiseaux très-bornés à cet égard dans les moyens que leur fournit leur organisation, ne peuvent faire d’actes d’imitation que par l'organe de leur voix ; cet organe, par leurs efforts habituels pour rendre des sons et les < 131 > varier, étant chez eux très-perfectionné. Aussi l’on sait que plusieurs oiseaux (le perroquet l’étourneau, le corbeau, le geai, la pie, le serin, etc.) sont imitateurs des sons qu'ils entendent. Les singes, qui sont, après l’homme, ceux des animaux qui ont le plus de moyens par l’organisation, sont très-imitateurs, et le sont sans limite d’objet. Dans l’homme, les enfans qui sont encore dans l’âge où les idées simples se forment de toute part, où la pensée s’exerce peu et ne crée pas encore des idées complexes, sont aussi très-imitateurs de tout ce qu’ils voient et de tout ce qu’ils entendent. Mais si chaque ordre de choses dans les animaux est dépendant de l’état d’organisation où se trouve chacun d’eux, ce dont on ne sauroit douter, n’a-t-on pas lieu de penser que dans ces mêmes animaux l'ordre qui est supérieur à tous les autres en organisation, l'est proportionnellement en extension de moyens, en variabilité d’actions, et par suite en facultés intellectuelles. Par exemple, dans les mammifères, qui sont les mieux organisés, les quadrumanes, qui en font partie, ont, outre les avantages < 132 > des autres mammifères, une conformation dans plusieurs de leurs organes, qui augmente considérablement leurs moyens, qui permet une grande variabilité dans leurs actions, et qui étend et même fait prédominer leur intelligence, en variant davantage les objets qui exercent l’organe de leur pensée. Sans doute, dira-t-on : mais quoique l’homme soit un véritable mammifère par les genéralités de l’organisation, et quoique parmi les mammifères les quadrumanes soient ceux qui se rapprochent le plus de lui, ce qu’on ne sauroit nier, non-seulement l’homme est fortement distingué des quadrumanes par une grande supériorité d’intelligence ; mais il l’est aussi considérablement par plusieurs traits d’organisation qui le caractérisent. Premièrement, le trou occipital étant situé tout-à-fait dans la base du crâne de l’homme, et non relevé en arrière, comme dans les autres animaux à vertèbres, fait que sa tête posée à l’extrémité de la colonne vertébrale comme sur un pivot, ne penche presque point en avant, et que son visage n’est point incliné vers la terre. Cette position de la tête de l’homme qui peut tourner facilement < 133 > de différens côtés, lui fait voir un bien plus grand nombre d’objets à la fois, que la situation tres-inclinée de la tête des autres mammaux ne leur permet d’appercevoir. Secondement, la mobilité remarquable des doigts des mains de l’homme, qu’il emploie soit tous à-la-fois, soit plusieurs ensemble, soit chacun séparément selon sa volonté, et en outre le sens du toucher très-perfectionné à l’extrémité de ces mêmes doigts, lui donnent pour juger les corps qui l’environnent, pour les saisir, pour les employer à son usage, des moyens qu’aucun des autres animaux ne possèdent à un pareil degré. Troisièmement, par l’état de son organisation, l’homme est fait pour se tenir et pour marcher debout. Il a pour cette attitude, qui lui est naturelle, de gros muscles aux extrémités inférieures qui lui suffissent pour cela, et il lui seroit aussi difficile d’aller habituellement sur ses quatre extrémités, qu’il le seroit aux autres mammifères et même aux quadrumanes d’aller aussi habituellement debout sur la plante des pieds. D’ailleurs l’homme n’est pas véritablement quadrumane ; car il n’a pas comme les singes une presqu’égale facilité à se servir des doigts < 134 > de ses pieds, et à prendre les objets par leur moyen. Dans les pieds de l’homme les pouces ne sont pas en opposition avec les autres doigts pour saisir, comme dans les singes, etc. etc. Je sens toutes ces raisons, et je vois que l’homme, quoique voisin des quadrumanes, en est tellement distingué, qu’il constitue lui seul dans la classe des mammaux un ordre particulier, dont il est le genre et l’espèce unique, offrant seulement beaucoup de variétés diverses. Cet ordre sera, si l’on veut, celui des bimanes. Cependant si l’on considère que tout ce que l’on vient de citer réside uniquement dans des différences d’état d’organisation, ne pourroit-on pas penser que cet état particulier de l’organisation de l’homme a été acquis peu à peu à la suite de beaucoup de temps, à l’aide des circonstances qui s’y sont trouvées favorables ? Quel sujet de méditation pour ceux qui ont le courage de s’y enfoncer ! Si les quadrumanes n’ont pas le trou occipital situé tout-à-fait dans la base du crâne comme l’homme, ils l’ont assurément beaucoup moins relevé postérieurement que le < 135 > chien, le chat et tous les autres mammifères. Aussi sont-ils plus souvent debout, quoique cette attitude pour eux soit encore très-gênante. Je n’ai pas observé la situation du trou occipital du jocco ou de l’orang-outang (simia satyrus.) ; mais comme je sais que cet animal marche presque habituellement debout, n’ayant jamais néanmoins les jarrets tendus, je suppose qu’il n’a point le trou occipital aussi éloigné de la base du crâne que les autres quadrumanes. La tête de l’homme nègre, moins applatie en devant que celle de l’homme européen, a nécessairement le trou occipital moins central. Plus le jocco contractera l’habitude de marcher debout, moins il aura de mobilité dans les doigts de ses pieds ; en sorte que les pouces de ces extrémités, qui sont déjà beaucoup plus courts que les autres doigts, cesseront graduellement de se mettre en opposition avec ces autres doigts, et d’être propres à saisir les corps. Les muscles et ses extrémités inférieures acquerront proportionnellement plus d’épaisseur et plus de force. Enfin l’exercice augmenté ou plus fréquent des doigts de ses mains, développera < 136 > des houpes nerveuses à leur extrémité, et y rendra le sens du toucher d’autant plus délicat. Voilà ce que la raison indique, d’après la considération d’une multitude de faits et d’observations qui l’appuient (1). Je terminerai ces considérations par l’exposition de quelques observations faites dans les années 1786 et 1787 par M. GRANDPRÉ, officier de la marine française, sur le troglodyte. “On rencontre à la côte d’Angola l’homme-des-bois, que je crois l’orang-outang de Buffon ; il est extrêmement rare ; les naturels l’appellent KIMPÉZÉY, c’est le nom Congo (simia troglodytes. Lin.). “L’intelligence de cet animal est vraiment extraordinaire ; il marche ordinairement debout, appuyé sur une branche d’arbre en guise de bâton. Les nègres le redoutent et ce (1).Que cette bête immonde est ressemblante à l’homme ! Ennius. En effet, entr’autres conformités, le singe a des mamelles, un clitoris, des nymphes, la matrice, la luette, les cils, les ongles, comme dans l’espèce humaine ; il manque aussi d’un ligament suspensoire au cou. Combien ne doit-on pas s’étonner que l’homme doué de sagesse diffère si peu d’un si grossier animal ! Lin. < 137 > n’est pas sans raison, car il les maltraite durement quand il les rencontre. Ils disent que s’il ne parle pas, c’est par paresse ; ils pensent qu’il craint en se faisant connoître pour homme, d’être obligé de travailler, mais qu’il pourroit l’un et l’autre s’il le vouloit. Ce préjugé est si fort enraciné chez eux, qu’ils lui parlent lorsqu’ils le rencontrent. ” Malgré tous mes efforts pour me procurer un individu de cette espèce, je n’ai pu y parvenir ; mais j’en ai vu un sur un vaisseau en traite ; c'étoit encore une femelle, et, comme l’autre, sujette aux mêmes incommodités accompagnées des mêmes caractères et des mêmes circonstances que chez les femmes ; je l’ai examinée et mesurée avec attention, elle s’y prêta avec beaucoup de complaisance. Debout, les talons portant à terre, elle étoit haute de quatre pieds deux pouces huit lignes. Ses bras pendans atteignoient à un pouce au-dessus du genou ; elle étoit couverte de poils, le dos fauve, les jambes et bras gris, le ventre blanc, le poil de la tête fauve et plus court que celui du cors ; le sein étoit dépourvu de poils aux environs du bouton ; les fesses étoient charnues, moins cependant que dans l’espèce humaine ; elles < 138 > étoient couvertes de poils, et au lieu de callosités communes à tous les singes, n'avoient qu’un petit durillon que l’animal avoit contracté en restant assis ; ses jambes étoient fluettes, mais les cuisses étoient extrêmement musculeuses elle n’avoit aucune apparence de queue ; et le chirurgien du vaisseau m'assura, après un long examen, qu’il étoit vraisemblable que l'épine du dos se terminoit chez elle par une courbure intérieure comme dans l’espèce humaine, et que c’étoit nécessairement à cette disposition qu’elle étoit redevable de la faculté de marcher debout. ” Il seroit trop long de citer toutes les preuves que cet animal a données de son intelligence ; je n'ai recueilli que les plus frappantes. ”Il avoit appris à chauffer le four ; il veilloit attentivement à ce qu’il n’échappât aucun charbon qui pût incendier le vaisseau, jugeoit parfaitement quand il étoit suffisamment chaud, et ne manquoit jamais d’avertir à propos le boulanger qui, de son côté, sûr de la sagacité de l’animal, s’en reposoit sur lui, et se hâtoit d'apporter sa pâte aussi-tôt que le singe venoit le chercher, sans que ce dernier l’ait jamais induit en erreur. < 139 > Lorsqu’on viroit au cabestan, il se mettoit de lui-même à tenir dessous, et choquoit à propos avec plus d’adresse qu’un matelot. Lorsqu’on envergua les voiles pour le départ, il monta, sans y être excité, sur les vergues avec les matelots, qui le traitoient comme un des leurs ; il se seroit chargé de l’empointure (partie la plus difficile et la plus périlleuse), si le matelot désigné pour ce service n’avoit insisté pour ne pas lui céder la place. ” Il amara les rabands aussi bien qu’aucun matelot ; et voyant engager l’extrémité de ce cordage pour l’empêcher de pendre, il en fit aussitôt autant à ceux dont il étoit chargé. Sa main se trouvant prise et serrée fortement entre la ralingue et la vergue, il la dégagea sans crier, sans grimaces ni contorsions ; et lorsque le travail fut fini, les matelots se retirant, il déploya la supériorité qu’il avoit sur eux en agilité, leur passa sur le corps a tous et descendit en un clin d’oeil. ” Cet animal ne parvint pas jusqu’en Amérique ; je m’informois soigneusement de ses nouvelles à Saint-Domingue, et j’appris qu’il étoit mort dans la traversée, victime de la < 140 > brutalité du second capitaine, qui l’avoit injustement et durement maltraité. Cet intéressant animal subit la violence qu’on exerçoit contre lui, avec une douceur et une résignation attendrissante, tendant les mains d’un air suppliant, pour obtenir que l’on cessât les coups dont on le frappoit. Depuis ce moment il refusa constamment de manger, et mourut de faim et de douleur le cinquième jour, regretté comme un homme auroit pu l'être ”. Voyage à la côte occidentale d’Afrique, par L. GRANDPRÉ. tom. 1, p. 26 et suiv. < 141 > APPENDICE Des espèces parmi les corps vivans J’ai long-temps pensé qu’il y avoit des espèces constantes dans la nature, et qu’elles étoient constituées par les individus qui appartiennent à chacune d'elles. Maintenant je suis convaincu que j’étois dans l’erreur à cet égard, et qu’il n’y a réellement dans la nature que des individus. L'origine de cette erreur, que j’ai partagée avec beaucoup de Naturalistes, qui même y tiennent encore, vient de la longue durée, par rapport à nous, du même état de choses dans chaque lieu qu’habite chaque corps vivant ; mais cette durée du même état de choses pour chaque lieu, a un terme, et avec beaucoup de temps il se fait des mutations dans chaque point de la surface du globe, qui changent pour les corps vivans qui < 142 > l’habitent tous les genres de circonstances. En effet, on peut maintenant assurer que rien n’est constamment dans le même état à la surface du globe terrestre. Tout avec le temps y subit des mutations diverses, plus ou moins promptes, selon la nature des objets et des circonstances. Les lieux élevés constamment se dégradent, et tout ce qui s’en détache est entraîné vers les lieux bas. Les lits des rivières, des fleuves, des mers même, insensiblement se déplacent ainsi que les climats(1) ; en un mot, tout à la surface de la terre y change peu à peu de situation, de forme, de nature et d’aspect. Voilà ce que de toute part les faits recueillis attestent : il ne faut qu’observer et y donner de l’attention pour s’en convaincre. Or si, relativement aux êtres vivans, la diversité des circonstances amène pour eux une diversité d’habitude, un mode différent d’exister, et par suite des modifications dans leurs organes et dans les formes de leurs parties, on doit sentir qu’insensiblement tout (1) J’en ai cité des preuves incontestables dans mon HYDROGEOLOGIE, et j’ai la conviction qu’un jour l’on sera forcé de reconnoître ces grandes vérités < 143 > corps vivant quelconque doit varier dans son organisation et dans ses formes. Toutes les modifications que chaque corps vivant aura éprouvées par suite des mutations de circonstances qui auront influé sur son être, se propageront sans doute par la génération. Mais comme de nouvelles modifications continueront nécessairement de s’opérer, quelle qu’en soit la lenteur, non-seulement il se formera toujours de nouvelles espèces, de nouveaux genres, et même de nouveaux ordres ; mais chaque espèce variera elle-même dans quelque partie de son organisation et de ses formes. Je sais très-bien que pour nous l’apparence presente à cet égard une stabilité que nous croirons constante, quoiqu’elle ne le soit pas véritablement ; car un assez grand nombre de siècles peuvent être une durée insuffisante pour que les mutations dont je parle soient assez fortes pour que nous puissions nous en appercevoir. Ainsi l’on dira que le flammant (phœnicopterus) a toujours eu d’aussi longues jambes et un aussi long cou que l’ont ceux que nous connoissons ; enfin, l'on dira que tous les animaux dont on nous a transmis l’histoire depuis deux ou trois < 144 > milles ans, sont toujours les mêmes, et n’ont rien perdu ni rien acquis dans le perfectionnement de leurs organes et dans la forme de leurs parties. On peut donc assurer que cette apparence de stabilité des choses dans la nature sera toujours prise pour une réalité par le vulgaire des hommes, parce qu’en général on ne juge de tout que relativement à soi. Mais, je le répète, cette considération qui a donné lieu à l’erreur admise, prend sa source dans la très-grande lenteur des mutations qui s’opèrent. Un peu d’attention donnée aux faits que je vais citer, mettront mon assertion dans la plus grande évidence. Ce que la nature fait avec beaucoup de temps, nous le faisons tous les jours, en changeant subitement nous-mêmes, par rapport à un corps vivant, les circonstances dans lesquelles lui et tous les individus de son espèce se rencontroient. Tous les Botanistes savent que les végétaux qu’ils transportent de leur lieu natal dans les jardins pour les cultiver, y subissent peu à peu des changemens qui les rendent à la fin méconnoissables. Beaucoup de plantes, très-velues naturellement, y deviennent < 145 > glabres ou à-peu-près ; quantité de celles qui étoient couchées et traînantes, y voient redresser leur tige ; d’autres y perdent leurs épines ou leurs aspérités ; enfin, les dimensions des parties y subissent des changemens que les circonstances de leur nouvelle situation opèrent immanquablement. Cela est tellement reconnu, que les Botanistes n’aiment point à les décrire, à moins qu’elles ne soient nouvellement cultivées. Le froment (triticum sativum) n’est-il pas un végétal amené par l’homme à l’état où nous le voyons actuellement, ce qu’autrefois je ne pouvois croire ? Qu’on me dise maintenant dans quel lieu son semblable habite dans la nature. A ces faits connus je vais en ajouter d’autres plus remarquables encore, et qui confirment combien le changement de circonstances influe pour changer les parties des corps vivans. Lorsque le ranunculus aquatilis habite dans des eaux profondes, tout ce que peut faire son accroissement, c’est de faire arriver l’extrémité de ses tiges à la surface de l’eau, où elles fleurissent. Alors la totalité des feuilles de la plante n’en offre que de fine- [finement] < 146 > ment découpées (1). Si la même plante se trouve dans des eaux qui ont peu de profondeur, l’accroissement de ses tiges peut leur donner assez d’étendue pour que les feuilles supérieures se développent hors de l’eau alors ses feuilles inférieures seulement seront partagées en découpures capillaires, tandis que les supérieures seront simples, arrondies et un peu lobées (2). Ce n’est pas tout, lorsque les graines de la même plante tombent dans quelque fossé où il ne se trouve plus que l’eau ou l’humidité nécessaire pour les faire germer ; la plante développe toutes ses feuilles dans l’air ; et alors aucune d’elles n’est partagée en découpures capillaires, ce qui donne lieu au ranunculus hederaceus, que les Botanistes regardent comme une espèce. Une autre preuve bien frappante de l’effet d’un changement de circonstance sur un végétal qui s’y trouve soumis, est la suivante. On a observé que lorsqu’une touffe de (1) Ranunculus aquaticus capillaceus. Tournef., p. 291. (2) Ranunculus aquaticus, folio rotundo et capillaceo.Tournef.p291. < 147 > juncus Bufonius, se trouve tout-à-fait contiguë d’un côté à l’eau d’un fossé ou d’une mare, cette plante pousse alors des tiges filiformes qui se couchent dans l’eau, s’y déforment, y deviennent traçantes, prolifères, et très-différentes de celles du juncus Bufonius qui croît hors de l’eau. Cette plante modifiée par la circonstance que je viens d’indiquer, a été prise pour une espèce c est le juncus supinus de Rotte (1). Que de citations je pourrois faire pour prouver que les changemens de circonstances relativement aux corps vivans, changent nécessairement les influences qu’ils éprouvent de la part de tout ce qui les environne ou qui agit sur eux, et opèrent aussi nécessairement des mutations dans leur grandeur, leur forme, leurs organes divers. Ainsi, parmi les corps vivans, la nature pour moi n'offre d’une manière absolue que des individus qui succèdent les uns aux autres par la génération. Cependant pour faciliter l'étude et la connoissance de ces corps, je donne le nom d’es- ( espèce) (1) Gramen junceum, &c. Moris. hist. 3,sec.8,t 9, f.4. < 148 > pèce à toute collection d’individus qui, pendant une longue durée, se ressemblent tellement par toutes leurs parties comparées entr’elles, que ces individus ne présentent que de petites différences accidentelles, que, dans les végétaux, la reproduction par graines fait disparoître. Mais, outre qu’à la suite de beaucoup de temps, la totalité des individus de telle espèce change comme les circonstances qui agissent sur elle, ceux de ces individus qui, par des causes particulières, sont transportés dans des situations très-différentes de celles où se trouvent encore les autres, et y éprouvent constamment d’autres influences ; ceux-là, dis-je, prennent de nouvelles formes par suite d’une longue habitude de cette autre manière d’être, et alors ils constituent une nouvelle espèce, qui comprend tous les individus qui se trouvent dans la même circonstance. Voilà le tableau fidèle de ce qui se passe à cet égard dans la nature, et de ce que l’observation de ses actes a pu seule nous découvrir. < 149 > DE L’ESPECE PARMI LES MINERAUX Je viens de prononcer sur l’espèce parmi les corps vivans, je ne puis me refuser de dire un mot de l’espèce considérée relativement aux minéraux. Il y a longtemps que j’ai pensé qu’il n’y avoit pas d’espèces parmi les minéraux. Ce fut aussi le sentiment de Daubenton, qui ne reconnoissoit dans ces corps bruts que des sortes. Les masses que nous offrent ces corps ne résultent que de l’agrégation de molécules intégrantes qui s’appuient les unes sur les autres, à l’aide des […] amènent, et qui adhèrent entr’elles par la puissance ou la force de l’attraction universelle. Ainsi chaque masse ne voit accroître son volume que par une simple juxtaposition que l’affinité plus ou moins grande qui se trouve entre chaque sorte de molécule intégrante, favorise ou contrarie. Maintenant une grande question se présente la voici. Les molécules intégrantes de toutes les sortes de matières qui existent sont-elles in- [invariables] < 150 > variables dans leur nature, et conséquemment aussi anciennes que le globe dont elles font partie ? Ou peuvent-elles varier dans le nombre et dans les proportions des principes combinés qui les constituent ? La solution de cette question est de la plus grande importance pour la théorie, et elle décide s’il y a ou s’il n’y a pas des espèces parmi les minéraux. On enseigne à Paris, dans les cours, que la molécule intégrante de chaque sorte de composé est d’une nature invariable, et conséquemment qu’elle est aussi ancienne que la nature. Il y a par conséquent des espèces constantes parmi les minéraux. Pour moi je déclare que je suis persuadé, et même que je suis convaincu, que la molécule intégrante de toute substance composée quelconque peut changer de nature, c’est-à-dire qu’elle peut subir des changemens dans le nombre et dans les proportions des principes qui la constituent. En effet, chaque fois qu’une molécule intégrante, de quelque composé qu’elle soit, subit quelque changement dans les proportions de ses principes, ceux qui restent com- combinés < 151 > binés après ce changement, forment alors une molécule d’une nature différente de celle de la première ; cela est de toute évidence. La molécule qui a subi le changement dont je viens de parler, n’a plus nécessairement ni la même densité, ni la même forme, ni les mêmes qualités particulières qu’elle avoit auparavant. Or, pour nier que les molécules intégrantes des composés qu'on observe puissent éprouver de pareilles variations dans leur nature, il faut nier tous les phénomènes des dissolutions, ainsi que leurs résultats ; il faut nier tout ce qui se passe dans les fermentations ; enfin, il faut nier les effets des combustions, des calcinations, et toutes les altérations que subissent plus ou moins promptement tous les corps exposés aux influences des milieux qui les environnent, et des contacts des matières provocatrices du dégagement de ceux de leurs principes qui sont le moins intimement combinés (1). Non-seulement les actes des fermentations, des dissolutions, des calcinations, des (1) Voyez dans mes Mémoires de physique et d’hist. naturelle, celui qui traite du résultat des altérations que < 152 > combustions, &c. attaquent et détruisent les masses des corps qui s’y trouvent soumis ; mais ils attaquent aussi les molécules intégrantes de ces mêmes corps ; ils dérangent l’état de combinaison de leurs principes ; ils opèrent des dissipations de certains de ces principes, et souvent des additions de quelques autres qui n’y existoient pas ; en un mot, ils donnent lieu à de nouvelles combinaisons diverses, et conséquemment ces actes chimiques exercés, soit par la nature, soit par l’art, changent réellement la nature des molécules intégrantes des matières qui en subissent les effets. Il faut reconnoître ces vérités incontestables, ou renoncer pour toujours à l’étude de la nature et au perfectionnement des sciences physiques et de la chimie. Considérez maintenant que la nature a tout aussi bien que l’art, des moyens d’opérer des actes chimiques (1), et qu’elle en la nature ou l’art peuvent faire subir aux molécules intégrantes ou essentielles des composés. p. 27. Voyez aussi celui qui traite de la véritable cause des dissolutions, p 111. (1) Voyez mes Mémoires de physique et d’hist. nat., p. 328, §. 466 et suiv. < 153 > exécute réellement, en produisant avec le concours des circonstances favorables et du temps nécessaire, une succession d’altérations diverses sur les molécules intégrantes des composés mais que cette succession est aussi irrégulière que le sont les circonstances qui amènent les causes de ces altérations. Considérez en outre que les altérations et les changemens que la nature effectue sur les molécules intégrantes des composés, peuvent présenter toutes les nuances que le nombre et les différentes proportions de principes combinés sont susceptibles d'offrir. Enfin, considérez que l’irrégularité des circonstances, et que l’abondance de certaines matières qui se produisent les premières lorsque les débris des animaux et des végétaux se consomment en résidus terreux, donnent lieu à des états stationnaires de certaines matières minérales qu’on retrouve toujours les mêmes et avec abondance. Alors vous serez convaincu qu’il ne peut y avoir dans les minéraux que des espèces relatives, c’est-à-dire, que celles qui résident dans chacune des nuances dont j'ai parlé dans l’instant, et dans les états stationnaires de certaines matières minérales. < 154 > En effet, si dans la série des altérations que subissent les détritus des corps vivans, à mesure qu'ils fournissent les matériaux de toutes les matières minérales, on observe qu’ils passent toujours par des états et des termes semblables, et qu’ils donnent constamment lieu à des matières de même nature, c’est que ces matériaux ont constamment la même origine, et qu’en général ils subissent l’influence des mêmes causes dans leurs modifications. Ainsi, comme les premières matières terreuses produites par les résidus consommés des animaux, sont des craies, soit phosphatées, soit carbonatées, et que les premières matières terreuses produites par les résidus consommés des végétaux, sont des argiles et des élémens du fer, on devra donc trouver constamment dans la nature des craies, des argiles, et les élémens du fer en très-grande abondance (1). A mesure que ces premières matières terreuses et pierreuses subiront les changemens qui les feront passer à d’autres natures de pierres, et qui donneront lieu à des gyp- gypses (1) Voyez mon Hydrogéologie, p. 153 à 160. < 155 > ses, des barytes ou spaths pesans, &c. il se reformera nécessairement, par la même voie que je viens de citer, de nouvelles craies, de nouvelles argiles, &c. Je viens de dire qu’il n’y avoit parmi les minéraux que des espèces relatives, c’est-à-dire que celles qui résident dans chaque nuance de combinaison, et dans chacun des états stationnaires de certaines matières minérales. A cela j’ajoute que ces sortes d’espèces ne sont constantes que dans les états des matières et non dans les individus. Elles sont constantes dans les états des matières, parce qu’on trouve toujours de la craie, de l’argile, de la baryte, du gypse, &c. Elles ne le sont pas dans les individus, parce que les individus de tel état changent perpétuellement, quoique avec plus ou moins de lenteur, et que d'autres arrivant à ce même état, le renouvellent sans cesse. DAUBENTON n’admettoit point d’individus parmi les minéraux, parce qu’il ne considéroit que leurs masses. Pour moi, l’individu de tout minéral quelconque réside dans sa molécule intégrante. Lorsqu’il se trouvera des hommes portés < 156 > à suivre et à approfondir ces considérations, ayant les connoissances propres à cet objet, alors l’état des choses changera complètement relativement à la minéralogie. On ne s’occupera plus minutieusement de dénommer toutes les nuances de combinaisons terreuses, pierreuses et métalliques que l’on peut rencontrer dans les matières minérales, et d’en former des listes sans bornes, présentant une nomenclature à laquelle les langues grecque et latine ne pourront suffire pour la formation des noms de tant d’objets. On pourra se contenter de nommer et caractériser ceux qui se presentent constamment et en abondance dans des états stationnaires, parce que l’emploi fréquent que nous en pouvons faire pour notre utilité, exige que nos idées soient fixées à leur égard, et toutes les nuances intermédiaires seront seulement indiquées comme des dérivés de celles-là, en spécifiant, autant qu’on pourra, celles dont elles proviennent. Tel est le seul moyen de contribuer à la connoissance de la marche de la nature et à l’avancement de la philosophie. < l57 > RECHERCHES SUR LE FLUIDE NERVEUX CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES Pour l’homme qui se dévoue à la carrière des sciences, et particulièrement à celle des sciences physiques, et qui desire de concourir à leurs progres, rien sans doute n’est plus avantageux que cette sévérité dans le principe, qui ne lui permet de se livrer qu'à des connoissances exactes, qui le porte à se méfier de toute supposition ou présomption quelconque, et sur-tout qui lui fait prendre l’importante habitude de ne jamais confondre ce qui est véritablement prouvé avec ce qui est simplement vraisemblable. Il est certain que pour quiconque veut pénétrer les secrets de la nature, aucune qualité n’est plus desirable que la sévérité dont je viens de parler. < l58 > Mais malheureusement il est des cas où la raison elle-même exige que l’on se relâche un peu de cette sévérité, quoiqu’elle soit si nécessaire dans tous les autres ; car il y a des objets qu’il est indispensable de considérer, si nous ne voulons pas nous exposer à de faux résultats relativement à l’étude des autres, et cependant les moyens à notre disposition pour cela sont extrêmement bornés. En effet, s’il étoit vrai que nos sens fussent assez délicats pour que tout corps physique, c’est-à-dire pour que toute matière quelconque puisse les affecter assez fortement pour se rendre perceptible à nous par leur moyen ; s’il étoit vrai encore que nous pussions, non-seulement appercevoir toutes les matières qui existent, mais encore en retenir des portions à notre gré, afin d’en pouvoir faire l’examen propre à nous en assurer la connoissance parfaite, sans doute on ne devroit jamais se relâcher de la sévérité dans les principes que je viens de citer. Quel est l’homme néanmoins qui, bien instruit de tout ce qui a été observé, oseroit maintenant soutenir que nous pouvons directement connoître toutes les matières qui existent dans la nature ? < l59 > Ne sait-on pas très-positivement qu’il est des fluides d’une ténuité si grande qu’ils échappent à tous nos sens, et qui ne manifestent leur existence que dans certaines circonstances, et que par quelques-uns de leurs effets qu’à force d’attention nous parvenons à saisir ; des fluides d’une subtilité si considérable, qu’il ne nous est jamais possible d’en retenir aucune portion pour en examiner les qualités et la nature ; des fluides, en un mot, que nous ne pouvons juger, ni, jusqu’à un certain point, déterminer, que par des inductions et des déterminations d’analogie, que la réunion d’un grand nombre d’observations peut nous faire obtenir ? Dira-t-on que, puisque la nature nous a donné si peu de moyens pour déterminer avec la précision et l'évidence que toute démonstration exige, la nature et les qualités de ces matières, tout homme sage et qui fait cas seulement des connoissances exactes, doit négliger leur considération ? J’ai peut-être tort ; mais j’avoue que je ne suis point de cet avis, car je suis convaincu que ces mêmes matières jouent un rôle important dans la plupart des faits physiques que nous observons, ainsi que dans le plus < l60 > grand nombre des phénomènes organiques que les corps vivans nous présentent. Or, renoncer aux recherches qui peuvent conduire à faire connoître les matières subtiles dont il s’agit, c’est refuser de saisir le seul fil que nous offre la nature pour parvenir à la vérité ; c’est renoncer aux progrès réels de nos connoissances sur les corps vivans, et sur les causes des phénomènes que nous observons dans les fonctions de leurs organes, et c’est en même temps renoncer à la seule voie qui conduit au perfectionnement des théories physiques et chimiques que nous pouvons former. Malgré le scrupule affecté des hommes qui assurent ne faire cas que des connoissances exactes, ils ont eux-mêmes prouvé que plusieurs de celles qu’ils donnent tous les jours comme telles, ne le sont que conditionnellement, ou qu’elles reposent sur des conventions. Il y a donc différens ordres de connoissances exactes ! Je le répète, je conviens que l’homme sage, qui aime véritablement l’étude de la nature et qui cherche à découvrir ses secrets les plus importans, doit être continuellement en garde contre le danger de mettre à la < l6l > place des vérités qu’il cherche, de ces hypothèses spécieuses qui séduisent les hommes ordinaires, parce que ceux-ci n’ont ni la patience ni l'aptitude de rien approfondir. Or, ces hypothèses qu'on ne propage qu’avec trop de facilité, éloignent quelquefois pour long-tems de la route qu’il faut suivre pour arriver aux ventes qu’on a tant d’intérêt de connoître. Elles seront toujours à redouter, tant qu’on ne les donnera pas pour ce qu’elles sont. Cet écueil, généralement annoncé par les savans de tous les âges, reconnu de tous ceux qui se livrent aux recherches des causes physiques, et que cependant chacun d’eux n’a su éviter lui-même, parce qu’en effet, chacun laisse aux autres le soin de s’appliquer la maxime, seroit un obstacle que l’on ne surmonteroit jamais, si l’on refusoit de reconnoître différens ordres de connoissances admissibles, et si l’on ne s’appliquoit à les distinguer. Ainsi, puisqu’il est vrai que par suite de la grande imperfection de nos organes, nous soyons réduits à ne pouvoir être que modestes dans nos décisions sur les objets physiques, et même à devoir être plus souvent < l62 > dans le doute, que fondés à prononcer définitivement ; c’est donc un motif de plus pour varier nos tentatives et multiplier nos recherches ; au lieu de les borner comme font quelques savans modernes, sous le prétexte très-peu philosophique, que les bases des théories physiques n’ont plus besoin d'être examinées. Quelque foibles que soient les moyens que dans certains cas la nature nous présente, gardons-nous de les mépriser et de refuser de les saisir. Aidons-nous, avec prudence et réserve, des inductions que nos facultés et nos observations peuvent nous faire obtenir, et dans ce cas donnons nos résultats pour ce que la nature de nos moyens permet de les donner. On va voir que ces considérations ne sont point étrangères à mon objet, qu’il est nécessaire d’y avoir égard, et qu’elles s’appliquent parfaitement à ce que j'ai à dire sur le fluide nerveux qu’il nous importe infiniment de connoître. Nos connoissances d’observation sont maintenant trop avancées pour que l’existence du fluide nerveux, c'est-à-dire, d’un fluide subtil qui circule ou se meut dans la substance < l63 > pulpeuse des nerfs, puisse être raisonnablement contestée ou révoquée en doute. Au lieu d’un silence absolu et qui n’est bon à rien, tel que celui que s’imposent les physiologistes à cet égard, voyons, sur ce sujet délicat et difficile, ce qu’il est possible de proposer de raisonnable d’après l'état des connoissances actuelles. DU FLUIDE NERVEUX Le sang des animaux vivans, ou le fluide essentiel qui en tient lieu dans ceux qui paroissent en manquer, est en tout temps pénétré d’un fluide particulier très-subtil, invisible, qu’on ne sauroit retenir dans aucun menstrue ni renfermer dans aucun vase, et qui paroît analogue au feu éthéré, dont j’ai prouvé l’existence par differens faits qui l’attestent, ou au fluide électrique, qui très-vraisemblablement n’en est qu’une modification. Il paroît que ce fluide subtil combiné d’abord sous l’état de feu fixé dans les alimens dont les animaux font usage, s'en dégage peu à peu dans l’état de calorique, à mesure que les fluides alimentaires subissent les chan- [changemens] < l64 > gemens que l’action ou le mouvement organique leur fait subir, et qu’il arrive insensiblement à l’état de fluide nerveux, c’est-à-dire de feu éthéré, animalisé par les circonstances où il se trouve. Le feu éthéré dont il s’agit, subit et conserve vraisemblablement dans les animaux qui le possèdent, quelque modification qui l’approprie aux fonctions qu’il doit remplir en eux, et qui ne lui enlève ni sa subtilité ni l’aptitude aux prompts déplacemens qu’il doit exécuter pour les besoins de l’animal. On ne le connoit que par ses effets, c’est-à-dire que par les phénomènes qu'il produit lorsqu’il se trouve dans les matières qui ont la faculté de le conduire et de favoriser ses prompts déplacemens. Les expériences galvaniques nous ont appris que le fluide électrique qui agit si facilement sur les nerfs, en se transmettant avec célérité dans leur masse, a nécessairement beaucoup d’analogie avec le fluide nerveux, dont il ne diffère vraisemblablement, comme je l’ai dit, que par quelque modification que le fluide électrique ordinaire n’a point alors. La substance propre des nerfs, par suite < l65 > apparemment d’une convenance particulière dans sa nature, se trouvant meilleure conductrice du fluide subtil dont il s’agit, que toutes les autres substances du corps animal, soutire continuellement des dernières artérioles sanguines par la voie des plus petites ramifications nerveuses, répandues dans les points du tissu celluleux qui reçoivent les extrémités capillaires des vaisseaux, le fluide subtil en question ; et chaque nerf transmet à mesure à tout le systême nerveux ce fluide qu’il soutire du sang, le dirigeant alors vers le foyer principal de ce systême (le cerveau). Ainsi, par suite des changemens que subissent continuellement les fluides principaux d’un animal, il se dégage sans cesse de l’état de feu fixé un fluide particulier qui, dès l’instant de son dégagement, se trouve dans l’état expansif de calorique, se raréfie ensuite graduellement, et arrive insensiblement à l’état d’un fluide extrêmement subtil, qui alors passe à mesure par les plus petites ramifications nerveuses dans la substance des nerfs qui en est très-bonne conductrice. Ainsi se produit sans cesse dans les animaux qui ont un systême nerveux, le fluide < l66 > invisible et subtil qui se meut dans la substance de leurs nerfs, qui y est continuellement employé à l’entretien des fonctions des organes, et dont la consommation continuelle qui s’en fait par l’emploi, exigeoit une réparation perpétuelle. De son côté, le cerveau, principal des foyers nerveux, renvoie le fluide subtil en question par la voie des nerfs aux parties qui doivent en recevoir la faculté d’air d’une manière quelconque ; ensorte que dans l’emploi qu'il en fait, il en consomme sans cesse une portion à l’entretien des fonctions des organes vitaux, et conserve l’autre portion dont il dispose, tant pour l’exercice des sens et pour celui de la pensée, que pour l’exécution des actes de la volonté. LA PENSÉE La pensée, qui ne peut s’effectuer qu’à la suite d’idées préalablement acquises à l’aide des sens, et par l’impression du fluide nerveux qui les a successivement tracées au foyer de l’organe du sentiment, est un acte physique qui s’exécute dans ce foyer, c’est-à-dire dans le cerveau, qui le contient ou le compose. < l67 > Cet acte, que l’individu peut provoquer, donne lieu à différens déplacemens du fluide subtil des nerfs, et à diverses cumulations de ce fluide dans les parties du cerveau où les idées ont été tracées. Il résulte des passages du fluide sur les impressions conservées des idées, des mouvemens particuliers que des portions de ce fluide y acquièrent dans chaque impression, qui en font naître de composés par leur rencontre, produisent de nouvelles impressions sur l’organe délicat qui les reçoit, et constituent les idées abstraites de tous les ordres, ainsi que les différens actes de la pensée. Telle est, pour moi, la base de cette grande difficulté qu’ont éprouvée la plupart des philosophes pour comprendre l’opération physique qui donne lieu à la pensée. LA VOLONTÉ La volonté est un des résultats de la pensée. Lorsqu’elle tend à effectuer une action quelconque, soit de celles qui forment la pensée, soit de celles qui produisent quelque mouvement dans quelque partie du corps, elle fait refluer une portion du fluide nerveux vers les parties qui doivent agir. < l68 > Si les parties qui doivent agir appartiennent aux organes du mouvement, alors elles éprouvent une révulsion subite, de ce fluide subtil, dont je développerai dans un instant la cause, et l’influence qui en résulte les forces à se contracter et à agir par l’effet même de leur raccourcissement. Il me semble qu’on peut regarder le foyer principal de l’organe du sentiment comme un registre où sont imprimées les idées de toutes les sortes que l’individu a pu acquérir ; en sorte que cet individu provoque à son gré une effusion de fluide nerveux dans ce registre, et la dirige dans telle de ses pages. Le premier mobile de cette provocation ne doit être cherché que dans le sentiment d’existence de l’individu, et dans le besoin qu’il éprouve dans l’instant où il pense. Mon intention n’est pas de m’étendre ici plus au long de ce sujet ;mais il m’a paru nécessaire de faire voir par un simple apperçu que toutes les opérations de l’organe du sentiment et de la pensée, et dont on retrouve des exemples dans les animeaux des premières classes, sont réellement physiques. Elles offrent des phénomènes qui, < l69 > dans les différens animaux, vont en se dégradant ou se simplifiant comme l’organe même qui y donne lieu, en sorte qu’on en perd à la fin jusqu’aux moindres vestiges. Je passe maintenant à l’examen de l’influence du fluide nerveux sur les organes du mouvement des animaux. De l’influence du fluide nerveux sur les muscles. Je dois rappeler que les déplacemens du fluide nerveux dans la masse pulpeuse des nerfs, s’exécutent par deux sortes de mouvemens ; savoir, par un mouvement de transport de ce fluide dans les nerfs qui le porte vers le cerveau, et par un mouvement de transport du même fluide qui le dirige du cerveau ou des foyers nerveux inférieurs vers les extrémités des nerfs. Je vais essayer de faire voir que dans le second cas les organes du mouvement qui subissent l’influence d’une révulsion subite du fluide nerveux, se contractent nécessairement et agissent, aussi-tôt par l’effet même de leur raccourcissement. Pour concevoir ce qui se passe dans ce < l70 > fait, et comment un muscle peut se contracter sans se gonfler proportionnellement, c’est-à-dire sans augmenter sensiblement de volume, ce que l’observation a constaté il importe de remarquer quel est l’état des parties du muscle pendant son relâchement, et de chercher ce qui a pu lui arriver chaque fois que cet état change. On sait que toute chair musculaire est un composé de fibres et de faisceaux de fibres entremêlés de trois sortes de vaisseaux (d’artérioles, de vénules et de vaisseaux lymphatiques), et de filets nerveux ; qu’ici ces trois sortes de vaisseaux et les filets nerveux, ne sont que les dernières ramifications, c’est-à-dire, que les extrémités capillaires et imperceptibles des artères, des veines, des vaisseaux lymphatiques et des nerfs ; qu’enfin, chaque fibre et chaque faisceau de fibres, avec les vaisseaux et les nerfs qui s’y trouvent et s'y terminent, sont enveloppés d’une portion du tissu cellulaire qui environne toutes les parties et communique par-tout. Les choses étant ainsi, je dis que dans l’état ordinaire des chairs vivantes, et conséquemment dans l’état de relâchement d’un muscle, les vaisseaux sanguins et nombreux < l7l > qui s’y trouvent, et sur-tout les vaisseaux artériels, sont remplis d’un fluide très-raréfié par le calorique qui y est contenu et qui les distend que le grand nombre de ces vaisseaux ainsi distendus, quoiqu' infiniment petits, tiraille continuellement et tient sans cesse dans un état d’écartement les molécules constituantes des fibres propres du muscle ; en sorte que cet état d’orgasme perpétuel, conserve à la fibre propre du muscle un alongement qui constitue son état de relâchement ordinaire (1). Pendant que cet état existe, les vaisseaux capillaires artériels, laissent échapper sans cesse par leur extrémité, non-seulement le sang qu’alors les veines capillaires et les vaisseaux lymphatiques se partagent et reprennent, mais en outre le fluide nerveux très- (1) Cet état de prétendu relâchement n’est qu’une tension moyenne des fibres du muscle, qui est suffisante pour tenir leurs molécules intégrantes dans un écartement propre à constituer la longueur moyenne de ces fibres, c’est-à-dire la longueur qu’elles ont lorsque le muscle n’agit point. S’il survient une tension plus grande des mêmes fibres, elle change alors les choses en un éréthisme qui s’augmentant devient la base des inflamations. < l72 > subtil qui s’est produit par dégagement dans le sang artériel. Or, comme la matière des nerfs est de toutes les substances animales la meilleure conductrice du fluide subtil dont il s’agit, les filets nerveux s’en chargent à mesure qu’il se dégage du sang artériel, et le conduit au foyer commun des nerfs où il s’en trouve toujours par cette voie une quantité amassée, qui se consomme perpétuellement en servant aux fonctions des organes. Le foyer commun et les foyers particuliers des nerfs, selon la nature de l’organisation de l’animal, fournissent sans cesse aux organes vitaux pour l’entretien de leurs fonctions, une portion du fluide subtil que ces foyers contiennent, et, comme je l’ai déjà dit, ils en conservent l’autre portion pour fournir aux organes qui n’agissent que par la volonté. Maintenant, pour revenir à la cause du mouvement de ceux des muscles qui n’agissent que par la volonté de l’animal, je dis que tant que ces muscles restent dans le relâchement, leurs vaisseaux sanguins conservent leur distension ordinaire, et que le fluide subtil qui s’échappe du sang artériel, est repris à mesure par les filets nerveux < l73 > qui lui fournissent un moyen de se transmettre librement au réservoir commun. Mais lorsque par suite de la pensée la volonté de l’animal se détermine au mouvement d’une de ses parties, il en résulte dans l’organe particulier du fluide nerveux une action qui fait refluer en sens contraire ce fluide subtil dans les nerfs qui aboutissent aux muscles qui doivent se contracter pour mouvoir cette partie. Dans ce cas l’arrivée subite d’une masse de fluide nerveux qui reflue vers l’extrémité des nerfs de cette partie, et qui se répand dans celles du muscle qui contient un sang raréfié par le calorique, éteint aussitôt, au moins partiellement, l’orgasme de ces parties, produit dès-lors l’affaissement des vaisseaux sanguins et dans l’instant même la cause de la distension moyenne des fibres musculaires ayant cessé, ces fibres se raccourcissent par la seule force de l’attraction de leurs molécules, et le muscle se trouve contracté. Suspendez dans les nerfs dont il s’agit la rétrogradation du fluide nerveux, dès l’intant même l’orgasme des parties se renouvelle, la distension des vaisseaux sanguins et des fibres musculaires se reforme, et le muscle < l74 > tombe dans le relâchement qui lui est propre. Mais, dira-t-on, comment l’arrivée d’une masse de fluide nerveux dans les parties distendues d’un muscle, peut-elle éteindre l’orgasme de ces parties et opérer si subitement la contraction du muscle ? Pour répondre à cette question, voici ce que la plus grande vraisemblance donne lieu de croire. Le fluide nerveux peut offrir par sa présence, au fluide expansif et répulsif qui distend les vaisseaux sanguins du muscle, un moyen de dissipation subite. Dès-lors l’affaissement très-prompt de ces mêmes vaisseaux, et le raccourcissement instantané des fibres de ce muscle en seront nécessairement la suite. Le raccourcissement du muscle dans ses contractions est un fait certain ; et il paroit qu’il est également certain que ce raccourcissement s’opère sans augmenter sensiblement le volume du muscle. Le raccourcissement des fibres musculaires s’opère donc nécessairement par un affaissement subit des vaisseaux sanguins du muscle, c’est-à-dire par une extinction partielle de l’orgasme de ses parties, et la contraction de ses fibres s’effectue par un rapprochement instantané < l75 > des molécules integrantes des fibres qui cèdent alors à la force toujours active de l’attraction. Dès que la révulsion nerveuse cesse, l’extension moyenne des fibres musculaires en résulte immédiatement, et le muscle reprenant aussi-tôt sa longueur naturelle, cesse d’agir, ou plutôt cesse de l’emporter sur son antagoniste ; on dit alors qu’il est dans le relâchement. Il restera dans cet état d’inaction apparente jusqu’à ce qu’une nouvelle révulsion de fluide nerveux vienne le contracter de nouveau. Ce qui prouve que le fluide nerveux n’agit qu’autant qu’il conserve toujours sa communication avec le sang contenu dans les artérioles capillaires, et que c’est dans ses révulsions, c’est-à-dire ses rentrées dans le sang de ces artères, que son influence se produit ; c'est que toute partie molle du corps animal où cette communication entre les deux sortes de fluides (le fluide nerveux et le sang), n’a plus lieu, perd aussitôt le sentiment et la faculté du mouvement. Ce fait est tellement constaté par une multitude d’observations et d’expériences qui sont consignées dans les ouvrages d’anatomie < l76 > et de physiologie, que je crois superflu d’en citer ici un seul exemple. Si le fluide nerveux est très-analogue au fluide galvanique, c’est-à-dire au fluide é/ectrique, comme les expériences sur le galvanisme nous autorisent à le présumer, d’après l'action connue du fluide galvanique sur les nerfs ; je pense, comme je l’ai déjà dit, que la présence d’une masse de ce fluide subtil doit détruire sur-le-champ l’action expansive et répulsive du calorique dans les parties de l’animal vivant, qui en éprouvent l’influence, et qu’elle doit produire cet effet précisément par la même raison que le vide d’air détruit dans l’instant même l’état et l’action de ce même calorique. Je ne connois rien qui n’appuie fortement cette présomption ; et je puis dire que sa vraisemblance est si grande, qu’elle tient même de l’évidence. Au reste, je le répète, il n’est nullement douteux que la présence d’une masse de fluide nerveux, qui se répand subitement dans les parties d’un muscle bien sain, n’y éteigne, ou du moins n’y amortisse aussi-tôt l’orgasme de ses parties, entretenu par l’action du calorique du sang artériel. Cette < l77 > considération mérite assurément qu'on y donne quelque attention. Je dis plus, je pense que c’est dans un ordre de choses analogue, ou à-peu-près semblable, qu’il faut rechercher la cause du sentiment. Voici quelques apperçus que mes réflexions ont fait naître à cet égard. De l’influence du fluide nerveux considéré comme cause du sentiment. Peu inquiet du sort qu’auront ces recherches auprès de ceux qui, ne voulant point prendre la peine d’approfondir les grandes questions relatives aux moyens qu’emploie la nature pour opérer les merveilles qu’elle nous présente de toute part, se sont persuadés que ce qu’ils appellent des connoissances exactes peuvent suffire et même suppléer tout ce qu’ils ignorent ; je les présente à ceux qui sont capables de sentir qu’il est utile de les examiner, de les comparer aux faits recueillis, et qui, quelque vraisemblance qu’ils trouvent dans leurs résultats, ne les adopteront jamais que provisoirement. Voici sur le sujet difficile dont il s’agit, ce qui maintenant me paroit le plus probable. < l78 > J’ai dit, p. 80, et je suis très-persuadé, qu’il existe dans les parties molles de tout animal vivant, un orgasme particulier produit et entretenu dans ceux dont l’organisation est peu composée, par des influences extérieures (sur-tout par le calorique), tandis que dans les animaux les plus parfaits, il est principalement le résultat de la production continuelle d’un fluide expansif qui se dégage de leur sang artériel. Cet orgasme ne s’entretient qu’avec le concours du mouvement organique qu’il excite lui-même, lorsque l’état des parties de l’animal en permet l’exécution, et il ne peut subsister sans lui. Mais lorsque l’altération des organes essentiels ou de quelqu’un d’eux, ne permet plus au mouvement organique de s’exécuter, alors l’orgasme s’éteint et l' animal meurt. Maintenant, je dis que toute matière qui irrite une partie molle d’un animal vivant, ou donne lieu seulement à une dissipation subite d’une portion du fluide subtil qui entretient l’orgasme en ce point, ou y augmente a tension naturelle des fibres de cette partie, en tendant à les diviser, ce qui tiraille les filets nerveux qui y aboutissent, et produit < l79 > en cet endroit une révulsion du fluide nerveux qui y opère une contraction. La révulsion du fluide nerveux dans le point irrité, y produit la contraction dont je parle, en y altérant sans doute l’orgasme vital de cette partie, comme une pareille révulsion du fluide nerveux dans un muscle, y altère l’orgasme produit par la chaleur du sang. Or, le mouvement rétrograde du fluide nerveux vers la partie qui a reçu l’irritation, n’étant point l’effet de l’acte de la volonté, cause nécessairement un ébranlement qui se fait ressentir de proche en proche jusqu’au foyer même de l’organe du sentiment, et qui y communique la perception de ce qui s’est passé dans la partie touchée ou irritée. Voilà le mécanisme du sentiment, et par conséquent, c’est aussi le mécanisme de l’action des sens. On sait en effet que les objets extérieurs ne nous sont perceptibles que parce qu’ils exécutent sur nos sens des impressions quelconques. Or, les nerfs qui aboutissent à ces organes, y opèrent aussi-tôt des révulsions de fluide nerveux qui causent un ébranlement qui se communique de proche en proche, comme je viens de le dire, et qui se fait < l80 > ressentir au foyer de l’organe du sentiment, d’où naît en nous la perception de l’action du corps extérieur, et conséquemment la sensation que nous éprouvons. Considérez maintenant que depuis l’attouchement le plus léger, souvent même agréable, jusqu’au déchirement qui cause les douleurs les plus aiguës, il n’y a d’autre différence que dans l’intensité d’irritation et conséquemment dans l’abondance de la révulsion nerveuse ; alors vous trouverez dans le même mécanisme l’échelle graduée de l’intensité des sensations. Si dans certains cas une partie saine de notre corps peut être coupée ou percée sans nous faire éprouver de la douleur, comme cela arrive lorsque dans un combat l’on reçoit un coup de sabre ou d’épée, ou que l’on est percé d’une balle, il ne faut pas attribuer l’inertie de la douleur dans ce cas, à l’agitation où l’on se trouve ou à l’effet de la chaleur du combat ; car la même chose arriveroit dans le calme d’une promenade où, à l’improviste, l’on seroit subitement blessé. Mais il faut attribuer cet effet singulier à la célérité de la lésion des parties, lésion qui fut commencée et terminée dans un instant in- [indivisible] < 181 > divisible, et qui ne permit à aucune révulsion nerveuse de pouvoir s’opérer avant la séparation des parties. Mais si toute irritation faite sur la chair d’un animal excite en cet endroit un reflux nerveux qui aussi-tôt y détruit partiellement l’orgasme des parties voisines, y produit une petite contraction et la perception du fait, comment se fait-il, me dira-t-on, que lorsqu’il s’établit une inflammation dans quelque partie, des reflux de fluide nerveux ne viennent pas aussi-tôt éteindre, en cet endroit, l’orgasme extraordinaire et le calorique abondant qu’on y observe ? Croyant appercevoir la raison de ce fait, je répondrai que la cause qui occasionne l’inflammation que l’on cite, a dérangé dans la partie qui s’y trouve soumise, l’ordre des choses établi par la nature ; que la plupart des nerfs de cette partie y sont alors lésés ; que le fluide nerveux n’y peut refluer comme auparavant, et y exercer complètement son influence ; enfin que c'est uniquement dans les parties saines du voisinage que le fluide nerveux qui y jouit de toutes ses facultés parvient à borner des désordres qui, sans ce moyen, s’étendroient de proche en proche par-tout. < l82 > Aussi l’orgasme des parties engorgées et lésées y devient alors excessif ; l'altération des fluides et sur-tout du sang, y développe un calorique si abondant et une ardeur si intense, qu’à la fin elle opère la rupture des solides même dans tous les points affectés, dénature leur substance, et amène la suppuration, suite ordinaire de ces altérations diverses. Des révulsions du fluide nerveux causées par la volonté de l’animal, produisant ses mouvemens volontaires. Ce que les corps extérieurs peuvent opérer sur les sens d’un animal, et ce que les affections internes qu’il est susceptible d’éprouver, peuvent produire en lui, en excitant sur les points affectés des révulsions de fluide nerveux ; la volonté de l’animal l’imite jusqu’à un certain point, en envoyant dans telle partie des effluves de fluide nerveux, qui y produisent un effet proportionné, soit à la quantité de fluide envoyé, soit à la nature des parties qui le reçoivent. Lorsqu’un animal veut mouvoir un de ses membres, sa volonté, qui est un résultat de sa pensée à cet égard (p. l67), envoie < 183 > dans ceux des muscles de cette partie qui doivent se contracter pour produire le mouvement voulu, le fluide nerveux nécessaire pour produire cet effet. Or, comme l’animal a la faculté de suspendre et de recommencer ces émissions, ainsi que de varier les points des envois dans certaines de ses parties, il en résulte que des alternatives d’émissions et de suspensions d’envoi de fluide nerveux dans différens muscles, sont pour lui le moyen admirable que la nature lui a donné pour exécuter les mouvemens qu’il veut faire. Les déplacemens du fluide subtil dont il s’agit, se font au gré de l’animal avec une vitesse qui ne paroît nullement le céder à celle que nous observons dans les déplacemens de la matière électrique. Aussi, dans plusieurs actions de l’animal, comme dans l’exécution de sa pensée et dans certains de ses mouvemens musculaires, la célérité des déplacemens du fluide subtil qu’il meut à son gré dans la substance médullaire de son cerveau et de ses nerfs, celle des émissions réitérées de ce fluide, de ses suspensions et de ses retours vers le foyer, enfin la célérité des contractions et des relâchemens de ceux de ses muscles qui agissent, sont de toutes < l84 > les merveilles que la nature a su produire, celle qui me paroît la plus admirable. C’est véritablement le chef-d’oeuvre de ses opérations. Assurément, la nature n’a point formé d’un seul et premier jet une machine aussi merveilleuse. Elle l’a fait petit à petit et avec beaucoup de temps, en produisant successivement tous les degrés de composition par lesquels l’organisation animale a dû passer avant d’arriver à l’état où nous la voyons dans les animaux les plus parfaits. En outre, toute la merveille ici remarquée, paroît résider entièrement dans la nature et dans les acuités particulières du feu éthéré, qui est répandu par-tout dans notre globe, et dont le fluide nerveux, la matière é/ectrique et même la matière magnétique ne sont vraisemblablement que de simples modifications. La ténuité de cette matière, sa subtilité et son extrême célérité dans ses déplacemens que quantité de faits attestent, fournissent toutes les conditions nécessaires pour qu’après avoir été dégagée du sang où elle se trouve dans l’état de feu fixe, elle ait pu passer successivement à l’état de feu calorique, et < l85 > ensuite à celui de fluide nerveux, et produire les effets observés. Il n’y a dans tout cela rien de vague, rien qui répugne aux principes sévères d’une bonne physique, et rien qui ne soit continuellement confirmé par les faits ; car il n’est question que d’un fluide qui, auparavant condensé et fixé dans une matière devient libre par la destruction de la cause qui le retenoit fixé, et se rétablit progressivement dans sa rarité et sa subtilité naturelles, à l’aide d’un mouvement expansif qui le rend répulsif de toutes les parties des corps qui l'environnent et qu’il pénètre, et qui va en s’affoiblissant graduellement. Je ferois un gros volume et même plusieurs, si je voulois rappeler ici, avec détail, tous les faits de l’organisation animale, soit dans l’état de santé, soit dans le cours des maladies ou de nos affections diverses et qui dépendent de l’influence du fluide nerveux. Mais je n’en ai ni le temps ni la volonté. Mon goût d’ailleurs pour les idées concises et essentielles, ne me porte pas a m'étendre plus au long sur ce sujet, au moins quant à présent. Les considérations nouvelles et assez nom- [nombreuses] < l86 > breuses auxquelles j’ai été conduit par mes observations devant, à ce qu’il me semble, changer beaucoup l’idée qu’on s’est formée de la nature animale, je ne puis me refuser d’en dire un mot ici. Je réserverai pour ma biologie, les développemens qu’il me sera possible de donner à cet égard. De la nature animale. La nature animale exige pour exister dans un corps vivant, la faculté d’être irritable dans ses parties. Ainsi, la présence seule de l’irritabilité subsitante dans les parties d’un corps vivant, décide et constitue la nature animale. Il ne me paroît pas vrai, comme on le pense généralement, que tout animal soit distingué du végétal par la faculté de sentir et par celle de se mouvoir volontairement. Le sentiment n’a lieu que là où il y a un organe spécial pour cette faculté ; et la volonté ne peut se former qu’à la suite d’un acte d’intelligence, qu’on nomme jugement et qui détermine. Il est vrai que la plupart des actes de la volonté sont si prompts, qu’il n’est pas pos- [possible] < l87 > sible de s’appercevoir s'ils ont été précédés d'une pensée ou d’un jugement qui leur ait donné naissance. Mais comme il faut distinguer les pensées sur lesquelles on s’arrête, et qui alors nous deviennent perceptibles, des jugemens, en un mot de ces actes d'intelligence qui s’exécutent plus promptement que l’éclair, à la suite de certaines impressions d’objets extérieurs ; on sent que la volonté qui détermine les actions, peut être très-souvent une suite de ces derniers actes d’intelligence, sans néanmoins qu’on puisse remarquer l’acte de jugement qui l’a formée. On peut donc assurer que toute volonté résulte d’une détermination libre ; que celle-ci exige un acte d’intelligence quelque foible ou borné qu' il soit ; et que par-tout où il n y a point d’idée, tout acte d’intelligence et toute volonté sont absolument impossibles. Le polype, qui ne pense pas, parce qu’il n’a point d’organe pour recevoir des idées, n’est pas plus libre de ne pas avaler les corpuscules qu’il rencontre et qui peuvent le nourrir, que les pores absorbans des végétaux ou que les ouvertures des vaisseaux lactés dans nos intestins, ne le sont d’absorber les matières atténuées ou fluides qui peu- peuvent < 188 > vent s’y introduire. Ce même polype rejette aussi, sans le besoin d’aucun acte de volonté, ceux des corpuscules qu’il a avalés, qui restent dans son sac alimentaire sans y subir de digestion. De même il n’est pas plus libre de ne pas se contracter quand on le touche, ni de ne pas se tourner et s’avancer vers la lumière qui favorise le développement de ses foibles facultés vitales, que le tournesol ne l’est de ne pas tourner sa fleur du côté où lui arrive la lumière qui le frappe. Si l’on observe dans ces animalcules des mouvemens qui paroissent indépendans et libres, c’est qu'assujettis par leur orgasme aux influences variables des fluides environnans qui les pénètrent, les impressions qu’elles en reçoivent leur font faire des mouvemens qui paroissent volontaires et choisis. Qu'on y prenne garde, la nature ne passe pas dans un corps vivant aussi simple que celui qu’elle vient de former directement, ou qui en est encore peu éloigné, à une faculté aussi supérieure que l’est le sentiment. Elle y arrive sans doute ; mais c’est après bien des nuances de composition de l’organisation qui n’existent pas encore dans les animalcules que je viens de citer. < 189 > Quelques vérités utiles à consigner. J’ai vu plusieurs fois des savans s’étonner de voir que les médecins ne s’accordent presque jamais entr’eux, que leur art reste toujours conjectural, qu’il offre un beau champ aux hypothèses de tous les genres, et qu’il n’a de valeur qu’à l’aide de beaucoup d’observations et d’expériences qui apprennent à pressentir dans chaque cas particulier ce qui peut arriver et ce qu’on doit faire. Mais point de théorie démontrée, point de certitude dans les raisonnemens. Sans doute cela est ainsi ; mais quelle en est la cause ? Dira-t-on que c’est la faute des hommes qui se livrent à l’art utile dont je viens de parler ? Assurément on auroit grand tort. Les médecins sont subordonnés nécessairement à l’état où se trouvent la physique pendant qu’ils existent, et ils en reçoivent effectivement une influence qui contient leur art dans l’état où nous le voyons. Quand la physique, au lieu d’être asservie par de fausses bases, aura des principes plus certains lorsque les hypothèses en crédit, qu’on propage par-tout exclusivement, < l90 > auront fait place aux vérités fondamentales qu’il s’agit de reconnoître, alors la physiologie changera totalement de face, les phénomènes de l’organisation des corps vivans deviendront intelligibles, et l’art précieux de guérir en sera proportionnellement éclairé. Je me suis apperçu que par suite de leur action vitale et des changemens qu’ils opèrent sur toutes les matières qu’ils absorbent, les végétaux, en composant eux-mêmes leur propre substance, avoient la faculté de former les premières combinaisons directes, et que chez eux se créoit sans cesse tout le carbone (le feu fixé carbonique) qu’on rencontre à la surface du globe et dans l’épaisseur de sa croûte externe dans differens corps, et où il s’en fait perpétuellement une si grande consommation (1). Qu’on néglige tant qu’on voudra cette importante considération, cela m'importe peu pour moi mais je sais qu’alors on ne parviendra jamais à trouver ailleurs la véritable source de cette matière inflammable. A force de subtilités, l’on pourra former des suppo- [suppositions] (1) Voyez mon Hydrogéologie, p.110 à 112. < 191 > sitions spécieuses qui prolongeront la durée de l’erreur. Mais, tôt ou tard on se verra forcé de l’abandonner, ou les sciences physiques resteront sans véritables progrès. On désire des expériences à cet égard : rien de mieux, si elles sont possibles. Dans ce cas je dirai qu’il n’y en a qu’une seule qui puisse offrir une preuve solide. Que l’homme avec ses moyens fasse un végétal vivant ; qu’il lui fournisse l’influence de la lumière, de la chaleur, de l’humidité, de l’air atmosphérique, et peut-être encore de quelques autres agens naturels, comme l’électricité, &c., &c. alors il fera du carbone ; toute autre expérience n’apprendra rien de certain. Peut-être on me demandera comment les matières que je viens de citer influent dans la production du carbone. Je répondrai qu’autant vaut-il me demander en même temps comment, à l’aide du mouvement organique dans le végétal, ces mêmes matières peuvent influer à la production des mucilages, des gommes, des résines, du sucre, des sels essentiels, des huiles fixes et des huiles volatiles, des fécules, du gluten, de la matière extractive, de la matière ligneuse, &c. < l92 > toutes substances produites par l’acte de la végétation, et tellement résultantes de combinaisons directes, que jamais l’art n’en saura former de semblables. Hydrogéologie, p. l08. Le mode de tout acte de combinaison directe qu’emploie la nature à l’aide des végétaux, ne vous est point connu, et vraisemblablement ne vous le sera jamais. J’en suis fâché, puisque je partage le sort qu’impose cette condition. Mais telles sont apparemment les limites des facultés de l’homme. Sans doute bien des choses dans la nature vous seront dévoilées à l’aide d’expériences bien faites et sur-tout bien jugées ; mais pour beaucoup d’autres choses, la voie de l’expérience vous est absolument interdite. Vous n’avez à votre disposition que celle de l’observation, et des inductions qui seront d’autant plus raisonnables, que vous aurez plus suivi la nature dans tout ce qu’elle vous présente. Prétendre tout connoître par la voie des expériences, ou que toutes les connoissances où nous pouvons atteindre ne peuvent être acquises que par cette voie, c’est témoigner < 193 > qu’on n’a pas observé la nature, c’est manquer de philosophie. L’expérience sans doute offre un moyen bien avantageux pour nous éclairer, dans tous les cas où son emploi est praticable. Mais, outre que ces cas sont bornés, il ne faut pas oublier que ce moyen présente un danger d’autant plus grand qu’on y pense moins. Or, ce danger réside en ce que tout résultat d’expérience, quoique bien connu, peut être très-mal jugé. Il peut, à l'aide d’hypothèses préalables, servir à établir l’erreur. Voilà ce qu’il est nécessaire de considérer, ce que n'apperçoivent pas les hommes qui n’approfondissent rien, et ce que l’on peut prouver par une multitude d’exemples pris dans tous les temps, sans en excepter les plus modernes. Je me suis encore apperçu que la cause première de toute décomposition naturelle résidoit dans la substance même de chaque matière composée qui la subit, ses composans ayant une tendance propre et particulière à se dégager de l’état de combinaison, et le contact de certaines matières externes et provocatrices pouvant seulement fournir < l94 > la cause déterminante des changemens qui s’opèrent dans ces composés. Négligez encore tant qu’il vous plaira cette considération ; mais alors j’ose vous annoncer que ce sera toujours en vain que vous chercherez ailleurs la cause essentielle des fermentations. En vain vous vous efforcerez de trouver quel est le ferment particulier, que vous supposez exister dans la nature, et qui produit, selon vous, les fermentations que vous avez si souvent occasion de remarquer dans les matières composées, lorsqu’elles se rencontrent dans l’état et les circonstances favorables à de pareils changemens (1). Voici d’autres considérations importantes que je dois encore consigner. D’une part, le fluide nerveux, quelque pénétrant et subtil qu’il soit, ne trouve dans l’animal de conducteur propre à le rassembler et à favoriser ses mouvemens, que dans la substance des nerfs ; de l’autre part, les expériences galvaniques nous apprennent que la substance des nerfs et aussi meilleure conductrice de l’électricité que les autres substances (1) Voyez mon hydrogéologie, p. 101 et 186. < l95 > du corps animal. Cependant le fluide nerveux ne paroît pas être le fluide électrique tel que nous le connoissons ; il en diffère au moins par quelque état particulier qui résulte de l’influence qu il aura subie dans le corps animal qui le contient, p. 96. D’ailleurs, il y a lieu de croire, par les faits relatifs aux diminutions des forces à mesure que le sang se perd ou s’appauvrit, que le fluide subtil, dont il s’agit, émane continuellement du sang artériel. Toutes ces considérations me conduisent à croire enfin ce que je n’avois fait que soupçonner depuis long-temps ; savoir, que le calorique, qui n’est tel que par l’état passager où il se trouve alors, arrive à mesure qu’il se raréfie, à l’état de fluide nerveux, et bientôt après à celui de fluide électrique ordinaire. Le feu fixé, le calorique, le fluide nerveux et le fluide électrique, ne sont donc qu’une seule et même substance, qui se trouve dans différens états. Enfin, comme le fluide électrique ne nous est perceptible que lorsqu’il est rassemblé, pressé et dans quelque état de mouvement ou de déplacement, son état de repos et d’équilibre complet, dans les corps et les milieux environnans, < l96 > constitue alors ce fluide tranquille, répandu par-tout, à qui j’ai donné le nom de feu éthéré, et que jamais l'homme ne saura directement apercevoir. C'est ce dernier que les corps ébranlent dans leurs chocs entr’eux, et qui produit en nous, dans ces circonstances, la sensation du son ou du bruit (1). Parallèle entre les qualités du calorique et celles du fluide électrique. Le calorique est un fl. invisible, expansif, répulsif, qui pénètre et se répand dans les masses des corps, avec facilité ou difficulté, selon la nature de chacun d'eux. Le fl. électrique est une matière invisible, très-subtile, et légèrement répulsive, qui pénètre et se répand dans les masses des corps, avec facilité ou difficulté, selon la nature de chacun d’eux. On amasse et on rend sensible le calorique par le frottement entre deux corps solides et secs. On amasse aussi le fl électrique par le frottement entre certains corps qui ont plus particulièrement la faculté de le rassembler et de le rendre sensible. L’eau, les corps humi- [humides] L’eau, les corps hum- [humides] (1) Voyez mon Hydrogéologie, p. 225. < 197 > des, les métaux ont la propriété de faciliter l’expansion du calorique, et de s’en charger promptement. des, les métaux ont la propriété de faciliter l’écoulement du fluide électrique et de s’en charger jusqu’à un certain point. L’air sec, la glace, la soie, les laines, etc. sont de mauvais conducteurs du calorique et s’en laisse difficilement ou lentement pénétrer. L’air sec, la glace, le verre, les résines, la soie, les laines et autres poils des animaux, sont de mauvais conducteurs du fluide électrique. Le calorique, dans un certain état de densité brûle certains corps, fond et calcine certains autres. Le fl. électrique, dans un certain état de rassemblement, brûle, fonds et oxidifie certains corps. Dans un état de condensation, nécessaire pour être calorique, ce fl. expansif dilate la masse de certains corps dans lesquels il pénètre. Trop rare pour être fortement répulsif, et trop subtil ou trop prompt dans ses écoulemens, le fluide électrique ne dilate pas sensiblement les masses des corps dans ses écoulement, le fluide électrique ne dilate pas sensiblement les masses Dans un certain état de condensation, le calorique devient lumineux : j’en ai expliqué ailleurs la raison. Mém. de phys. et d'hist.nat.p.227 Lorsqu’une masse quelconque de fluide électrique est obligée de traverser l’atmosphère ; resserrée alors par la pression qu’elle éprouve, elle devient lumineuse. < l98 > Comparez maintenant ces faits, qui sont connus et que je puis prouver, et tirez la conséquence. Voulez-vous définitivement parvenir à donner à la physique rationnelle des bases solides, fondamentales, et qui mettent un terme au vaste champ ouvert depuis si longtemps aux suppositions hypothétiques, répondez solidement aux questions suivante : Première question. Les élémens, quels qu’ils soient, ont-ils en eux une tendance à s’engager dans l’état de combinaison ? Deuxième question. Les principes ou les élémens des composés qui existent, ont-ils en eux une tendance à rester combinés, et ne sont-ils dégagés de leur état de combinaison que lorsqu’une puissance extérieure les y contraint ? Troisième question. La molécule intégrante de chaque espèce de composé est-elle inaltérable, aussi ancienne que la nature, ou peut-elle subir < 199 > des changemens dans l’état de sa combinaison, et dans les proportions ou même dans le nombre de ses composans ? Quatrième question. Les affinités entre diverses sortes de matières sont-elles des forces qui agissent, ou des convenances qui permettent ? Cinquième question. Le fluide imperceptible qui pénètre les corps, qui se répand dans leur masse, et qu’on nomme le calorique, est-il réellement d’une nature différente de la matière électrique ; et les qualités particulières que possède le calorique, appartiennent-elles à sa nature propre, plutôt qu à l’état où il se trouve alors ? Je pourrois présenter ici bien d’autres questions aussi importantes ; mais je me borne à celles-ci, parce que ce sont les plus essentielles. Ainsi, voilà de quoi méditer. Appliquez à ces questions tous les faits et toutes les observations qui sont connus ; établissez pour chacune d’elles une solution convenable ; < 200 > alors vous aurez posé des limites à cette multitude d’hypothèses qu’on forme tous les jours, d’après la considération d’un nombre quelconque de faits physiques que l’on examine, et vous aurez fait faire de vrais progrès à la science. Si, par des considérations qui peuvent vous intéresser particulièrement, vous refusez de prononcer ou de chercher à le faire ; la postérité vous attend et jugera. FIN. < 201 > TABLE RAISONNÉE DES MATIERES A. Affinités chimiques. Entre les diverses sortes de matières qui existent, les affinités sont-elles des forces qui agissent, ou des convenances qui permettent ? Question importante qui mérite d’être examinée, et dont la solution est nécessaire pour fixer solidement la théorie. (page 73) Anéantissement de la colonne vertébrale : Cette base du squelette articulé, qui sert de soutien au corps des animaux les plus parfaits, et facilite ses mouvemens divers, qui se dégrade progressivement dans chaque système d’organisation, depuis l’homme jusqu’au poisson inclusivement, et qui manque généralement dans tous les animaux des ordres inférieurs, fournit une preuve évidente de la composition croissante de l’organisation dans chaque système, depuis le polype jusqu’à l’homme. (page21) du cœur, comme tous les autres, cet organe singulier et spécial pour la circulation des fluides, se dégrade successivement, depuis les animaux à mamelles jus- [jusqu’aux ] < 202 > qu’aux arachnides ou jusqu’aux insectes, où il se trouve tout-à-fait anéanti. (page 26) de l’organe de la vue : Cet organe subit le sort de tous les autres, cesse entièrement d’exister dans les vers et dans les animaux des ordres inférieurs, et concourt à la même preuve que les indications précédentes. (page 32) Il en est donc de même de la fécondation sexuelle (page 30) Annelides (les) : Animaux du sixième rang, que l’on avoit confondus avec les vers, et dont ils sont fort éloignés par l’organisation. (page 24) Appendice. (page141) Arachnides (les) : Animaux du huitième rang, que l’on confondoit mal-à-propos avec les insectes ; ils ne subissent point de métamorphose, et leurs rapports naturels ne permettent pas qu’on les écarte des crustacés : ce sont les premiers qui offrent des stigmates et des trachées pour la respiration. (Page 27) B. Biologie (la) C’est une des trois parties de la physique terrestre ; elle comprend tout ce qui a rapport aux corps vivans, et particulièrement à leur organisation, a ses développemens, à sa composition croissante avec l’exercice prolongé des mouvemens de la vie, à sa tendance à créer des organes spéciaux, à les isoler, à en centraliser l’action dans un foyer, &c. (page173) < 203 > C. Création de la faculté de se reproduire Sans cette faculté, que la nature crée en formant les corps vivans les plus simples, aucun des perfectionnemens d’organisation, obtenus par l’exercice de la vie, ne seroit conservé ; il n’y auroit de corps vivans que ceux qui résulteroient d’une formation directe. (page114) La faculté de se reproduire n’est qu’une extension de la faculté de développement et d’accroissement qui se trouve plus ou moins perfectionnée, selon le mode de régénération où les individus ont pu parvenir. (page 113 et suiv. voyez les différens modes de génération, p. 46 et suiv.) Crustacés (les) : animaux du septième rang, que l’on confondoit mal-à-propos avec les insectes. Après eux finit l’existence du coeur, des artères et des veines.(page 124) D. Dégradation de l’organisation d’une extrémité à l’autre de la chaîne des animaux. Je n’ai cité qu’un petit nombre de faits que j’ai choisis parmi les plus importans ; mais ils suffisent pour établir l’évidence de cette dégradation. Suivez la marche de la nature, et pour cela remontez du plus simple vers le plus composé ; alors vous serez convaincu que cette dégradation prouve les progrès de la composition de l’organisation, à me- [mesure ] < 204 > sure que le temps et les circonstances les favorisent. Discours d’ouverture, E. Echelle animale Elle réside dans la distribution des masses, c’est-à-dire des différens systèmes d’organisation, et non dans celle des espèces ni même des genres. (page39) En commençant par celle de ses extrémités qui comprend les animaux les plus parfaits, on voit qu’elle présente dans ses différentes masses une dégradation de l’organisation animale, une simplification croissante de cette organisation, qui indique que la nature a successivement formé tous les animaux en suivant une marche opposée. (page 12) Elémens (les) : Quels qu’ils soient, leur considération présente une question de la première importance, que cependant l’on n’a jamais agitée, et qui, conséquemment n’a jamais subi d’examen la voici. Les élémens ont-ils en eux, une tendance à s’engager dans l’état de combinaison ? Quoiqu’il y ait les plus fortes raisons pour la négative, on a supposé le contraire, et l’on s’est ensuite occupé de créer des théories. Espèces (les) Il n’y a point d’espèces constantes d’une manière absolue parmi les corps vivans, mais seulement d’une manière relative. (page 141) La même chose a lieu pour les espèces parmi les minéraux ; leur constante apparence tient à l’état < 205 > plus ou moins stationnaire des individus, et au remplacement continuel de ceux qui sont détruits ou changés. (page149) Exercice d’un organe (l’) : tout organe fortement exercé se fortifie, se développe, accroît ses dimensions, agrandit et étend ses facultés. (page56 et suivantes, et page 65) Par une opposition nécessaire, le défaut d’exercice d’un organe l’appauvrit insensiblement, et après beaucoup de temps d’un pareil défaut d’emploi, l’organe est tout-à-fait anéanti. (page 53) De tous les organes, celui dont l’exercice développe le plus éminemment les facultés, c’est l’organe de la pensée, en un mot c’est le cerveau. (page125) F. Les facultés plus elles sont bornées dans leur nombre, plus elles ont d’étendue et de puissance, et réciproquement. (page 84) Les facultés se développent et s’étendent par l’emploi des organes qui les fournissent, et cet emploi fortifie et étends les organes mêmes qui s’y trouvent assujettis. (page 56 et suiv) La première faculté de la nature animale est l’irritabilité. Dans les corps vivans les plus simples, cette faculté est réduite à la contractibilité des parties ; mais dans ceux qui ont un organe pour le fluide nerveux, elle devient la cause immédiate de l’exercice du sentiment, sans cesser d’en être distincte. (page 109) < 206 > Fécondation (la) : elle consiste dans l’établissement d’une disposition particulière des parties intérieures d’un embryon, à l’aide d’un fluide subtil et pénétrant qui se répand dans sa masse ; ce fluide la traverse en divers sens, détruit par son mouvement et son passage qui se trouvoit dans ses parties,et y établit une disposition et un état de choses qui n’y existoit pas auparavant. (page 95 et suiv.) La nature imite son procédé de la fécondation dans un autre ordre de choses, sans avoir besoin du produit d’aucune organisation préexistante.(page 98) Fluide nerveux ; recherches sur ce fluide.(page157) Il a beaucoup d’analogie avec le fluide électrique et avec le feu éthéré,(page 163 et 196) il sert aux actes de la pensée, et c’est lui qui trace ou imprime les idées dans l’organe qui donne lieu à ces actes, (page 166) enfin il produit le mouvement musculaire (page 169). Fonctions vitales ; la première de ces fonctions, celle que la nature établit avant toute autre dans les corps organisés qu’elle crée directement, c’est la nutrition (Page 108), elle fait naître ensuite la faculté d’accroissement, et par une extension de celle-ci que l’usage de la vie perfectionne progressivement, se forment les différens modes de régénération. (page 114 et suiv.) Formation directe des premiers traits de l’organisation, (page 68, 92 et 94). La nature exécute cette formation en imitant la fécondation organique sur des matières appropriées et dans les circonstances favorables, à l’aide de fluides < 207 > subtils qui se meuvent ou circulent dans les milieux environnans. (page 98) G. Générations spontanées (les) : la nature en forme nécessairement à l’extrémité de chaque règne des corps vivans, où se trouvent les corps organisés les plus simples, (page 100).Les differens modes de génération prennent leur source dans cette fonction vitale qu’on nomme nutrition, dont l’extension donne successivement lieu à la faculté d’accroissement, à celle de la régénération des parties tronquées, et à celle des multiplications par scissions de parties, par gemmes externes, par gemmes internes, et par des embryons fécondables.(page 46 et suiv, et 115 et suiv) H Habitudes des animaux : les habitudes des animaux ne sont que des répétitions d’actions ; elles tracent les bornes qui circonscrivent l’étendue de leur intelligence, et en effet elles prennent leur source dans les actes de la pensée de l’animal qui n’exerce ses facultés intellectuelles que sur le petit nombre d’objets relatifs à ses besoins et aux dangers qu’il tend à éviter. (page 129 Moins l’homme exerce et varie sa pensée, plus il se soumet au pouvoir de l’habitude ; et ce pouvoir est d’autant plus grand, que par suite du peu d’exer- [exercice] < 208 > cice de son intelligence, l’homme a moins d’idées acquises,(page 125 et suiv.). Ce sont les habitudes des animaux qui ont donné lieu aux développemens, aux dimensions et à la forme des parties de leurs corps, et non la forme de ces parties qui ont fait naître leurs habitudes, (page 50). Aux exemples que j’ai cités j’aurois pu joindre celui de la forme de la giraffe (camelopardalis), animal herbivore qui, vivant dans des lieux où la terre est aride et sans herbages, se trouve obligé de brouter le feuillage des arbres, et de s’efforcer continuellement d’y atteindre. Homme (l’) : quelques considérations à son égard. (page 124) I. Imitation (1’) : c’est le premier degré de variation de la pensée d’un animal au-delà du cercle de ses habitudes. L’oiseau n’a de moyen d’imitation que dans l’organe de sa voix ; et comme aucun animal des ordres inférieurs n’est imitateur, il est le premier qui offre une variation et un emploi de son intelligence hors de ses habitudes. Les quadrumanes, qui sont de tous les animaux ceux qui ont les moyens les plus étendus, imitent par des actions ; enfin, l’homme-enfant est aussi très-imitateur,. (page130 et 131) Influence du fluide nerveux sur les muscles ( page 169) Insectes (les) ; animaux du neuvième rang ils subissent naturellement des métamorphoses ; ils manquent d’artères et de veines, qui de même ne se re- [retrouvent ] < 209 > trouvent plus dans aucun animal des rangs postérieurs, et ce sont les derniers animaux qui aient des yeux (page28). Irritabilité (l’) : cette faculté est le propre de la nature animale ; elle prend sa source dans /‘orgasme, et elle est nécessaire à l’exercice du sentiment, dont elle est néanmoins toujours distincte, (page109, 179 et 186). M. Mammaux (les) ; animaux du premier rang ce sont ceux qui ont l’organisation la plus perfectionnée, les facultés les plus nombreuses, et l’intelligence la plus variée et la plus étendue. Molécules intégrantes des composés (les) : sont-elles invariables dans leur nature et aussi anciennes que le globe, ou peuvent-elles varier dans le nombre et dans les proportions des principes qui les constituent, et par conséquent changer de nature ? (page 150) voilà une question de première importance pour la théorie de la minéralogie et de la chimie ; il faut donc avant tout s’occuper de la décider d’une manière solide. Mollusques (les) ; animaux du cinquième rang : ce sont les mieux organisés des animaux sans vertèbres : ils offrent les premiers exemples des deux sexes réunis dans le même individu (page 23). Motifs de l’ouvrage : Mouvement organique : le propre de ce mouvement est non-seulement de développer l’organisation ; mais < 210 > encore de tendre à multiplier les organes, et à les isoler dans des foyers particuliers En effet le propre du mouvement des fluides dans les parties souples des corps vivans, est de s’y frayer des routes, des lieux de dépôt et des issues ; d’y créer des canaux et de les varier à raison de la diversité, soit des mouvemens, soit de la nature des fluides qui y donnent lieu ; enfin d’agrandir, d’alonger, de diviser et de solidifier graduellement ces canaux, et les organes par les matières qui se forment dans ces fluides et qui s’en séparent sans cesse, (page 8 et 9). Multiplication des individus : elle se fait par une scission naturelle du corps dans les polypes amorphes,(page117 et 118) ; par bourgeons ou gemmes externes dans les polypes à rayons, (page 119) ; par bourgeons ou gemmes internes dans les radiaires, (page 120) ; enfin par fécondation organique ou génération sexuelle dans les animaux des 9 premiers rang. ibid N. Nature animale (la) : elle exige pour exister dans un corps vivant, la faculté d’être irritable dans ses parties ; ainsi la présence seule de l’irritabilité subsistante dans les parties d’un corps vivant, constitue la nature animale. Nutrition (la). C’est une faculté essentielle à l’existence et à la conservation de tout corps vivant. Non-seulement la nutrition fournit aux réparations des pertes auxquelles tout corps vivant est assujetti, et aux développemens d’organisation que le mouvement organique tend à former ; mais en outre, < 211 > jusqu’à un certain terme de la vie, elle fournit à l’accroissement et aux moyens de multiplication. Après ce terme, par la nature des matières qu’elle fixe, elle parvient à détériorer progressivement les organes, et amène inévitablement la mort. (page 8). O. Oiseaux (les) ; animaux du second rang : ce sont les plus parfaits après les mammaux : ils ont une intelligence qui produit des actes plus variés que celle des animaux des rangs inférieurs. Orgasme vital (1’) : dans les animaux les moins parfaits il est le produit du calorique des milieux environnans, et dans les autres, il résulte du calorique qui se dégage sans cesse du principal des fluides de l’animal qui en contient toujours abondamment dans l’état de feu fixé (page 79) . Dans tous les animaux l’orgasme est la cause essentielle de l’irritabilité de leurs parties, (page89) Tant que l’on négligera de donner de l’attention à l’orgasme, la vie et tous les phénomènes de l’organisation seront inintelligibles. Organes des corps vivans : on donne ce nom à toute partie d’un corps vivant qui a quelque fonction à remplir, ou quelque fluide soit à contenir, soit à transmettre, ou quelqu’action à opérer. Le premier organe spécial pour la nature animale, est celui de la digestion ; c’est un canal alimentaire. (page 111) L’organe de la pensée, surtout dans l’homme, est < 212 > celui qui de tous les organes qui acquiert les facultés les plus étendues par un grand exercice et une longue habitude d’emploi, (page 125 et suiv.) ; le défaut d’exercice de cet organe borne singulièrement l’intelligence de l’homme, l’asservit à des habitudes, et le rapproche de l’animal, (page 127 et suiv.). Ce ne sont pas les organes ni la forme particulière du corps de chaque animal qui ont donné lieu à ses habitudes ; mais ce sont au contraire les habitudes, la manière de vivre et les circonstances dans lesquelles se sont rencontrés les individus dont il provient, qui ont avec le temps constitué la forme de son corps, le nombre et l’état de ses organes, enfin les facultés dont il jouit, (page 50). Organisation : les différens états de l’organisation dans les animaux, fournissent le nombre et l’étendue de leurs facultés, et chacun de ces états a été acquis peu à peu à l’aide des circonstances qui s’y sont trouvées favorables, à la suite de beaucoup de temps, et par des habitudes contractées et devenues nécessaires, (page 9 et 134). La nature crée elle-même les premiers traits de /‘organisation dans des masses de matières appropriées et où il n’en existoit pas, en imitant à l’aide d’un fluide subtil qui se meut dans les milieux environnans la fécondation organique, (page 98 et 104). P. Pensée (la) : c’est un acte de physique qui s’exécute dans le principal foyer du système nerveux, et qui < 213 > ne peut s’exécuter qu’à la suite d’idées préalablement acquises par les sens, (page 166). Tous les actes qui constituent la pensée sont des comparaisons d’idées, soit simples, soit complexes, et les résultats de ces comparaisons sont des jugemens ces actes s’opèrent par des mouvemens du fluide nerveux, qui se déplace et se répand dans les parties de l’organe où ces idées ont été tracées, et qui y acquiert de nouveaux mouvemens que ces impressions lui communiquen tibid. Enfin, comme les différentes sortes d’agitations et de déplacement du fluide subtil des nerfs dans l’organe de la pensée y impriment autant d’idées nouvelles, il en résulte que l’exercice habituel des mouvemens de ce fluide dans l’organe dont il s’agit, y multiplie à l’infini les pensées, perfectionne l’intelligence et crée le génie. -Poissons (les) ; animaux du quatrième rang chez eux finit complètement l’existence de la colonne vertébrale, (page 20) . -Polypes (les) ; animaux du douzième et dernier rang : ce sont ceux qui ont l’organisation la plus simple, le moins d’organes spéciaux, le moins de faculté, et c’est parmi eux que se forment les premières ébauches de l’organisation. Q. Quadrumanes (les) : ce sont ceux des animaux du premier rang, qui ont les organes les plus développés, les facultés les plus nombreuses, et l’intelligence < 214 > la plus variée et la plus perfectionnée après l’homme. (page 131). Les plus parfaits d’entr’eux approchent beaucoup de l’homme, quoiqu’ils lui soient réellement inférieurs à tous égards. (page135 et suiv.). Au lieu d’être tous au même niveau de perfectionnement, ils présentent entr’eux d’aussi grandes différences, et même de plus grandes que celles qui existent entre le plus parfait des leurs et l’homme. J’ai examiné et comparé pendant assez longtemps à la ménagerie du muséum, la différence d’intelligence entre l’OUANDEROU (Simia sile-nus) et le MAGOT (Simia inuus) ; l’intelligence de celui-ci m’a paru de beaucoup supérieure à celle du premier ; il y a lieu de croire cependant qu’il y a encore pour l’intelligence, une distance énorme entre le MAGOT et le TROGLODYTE, (voyez p.136). R. Radiaires (les) ; animaux du onzième et de l’avant-dernier rang : ils manquent généralement de tête ; ils n’ont ni moelle alongée, ni nerfs perceptibles, et ne sont plus que simplement irritables, (page 32). Raison (la) : c’est l’expression de la supériorité d’intelligence qui distingue l’homme de tous les animaux, et qui lui donne la faculté d’examiner tous les objets soumis à ses sens, de comparer ces objets entr’eux, ainsi que ses idées de tous les ordres, et de tout juger. La raison de l’homme se développe avec son in- [intelligence] < 215 > telligence, à mesure qu’il exerce l’organe de sa pensée, et qu’il met à profit l’expérience ; mais ses passions la rendent trop souvent insuffisante pour son bonheur, et elle est assujettie aux désordres qui peuvent s’effectuer dans l’organe où se forment ses pensées. Reptiles (les) : ce sont les animaux du troisième rang ; moins perfectionnés dans leur organisation que les mammaux et les oiseaux, ils offrent le premier exemple d’une irritabilité long-temps prolongée après la destruction de l’individu, et d’une grande faculté reproductive ; car on a observé que la queue coupée à un lézard repousse en son entier. Chez eux finit l’organe respiratoire, appelé poumon, et les membres articulés qui dépendent du squelette. S. Sentiment (le) : c’est une faculté animale distincte de l’irritabilité, qui n’existe que dans les animaux qui ont un organe spécial (des nerfs) pour la produire, et qui, en conséquence, n’est pas le propre de tout animal, comme on le croit généralement. T. Tableau du règne animal, relatif à la gradation de composition et de perfectionnement de l’organisation des animaux, Troglodyte (le) c’est l’animal le plus voisin de l’homme, (page 136) . < 216 > V. Vie (la) : c’est un ordre de choses dans les parties de tout corps qui la possède, qui permet ou rend possible l’exécution du mouvement organique, et qui, tant qu’il subsiste, s’oppose efficacement à la mort, (page 71). A cet ordre de choses, au moins dans les animaux, il faut nécessairement joindre l’orgasme, qui complète ce qui fait l’essence de la vie,(page72). Nota. Pour ceux de mes Lecteurs, que la concision de mes idées, et sur-tout leur peu de développement mettroient dans le cas de n’en pas saisir suffisamment la liaison et leur véritable sens, cette Table raisonnée des matières sera utile à consulter ; parce qu’elle offre les principales considérations présentées dans cet écrit, réduites à leur expression la plus simple. FIN DE LA TABLE.